Attaque meurtrière sur le plateau du Golan : qui sont les Druzes, touchés par une frappe dans ce territoire occupé par Israël ?

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Des femmes druzes assistent aux funérailles des 12 enfants tués par une frappe sur le village de Majdal Shams, dans le Golan occupé, le 29 juillet 2024. (JALAA MAREY / AFP)
Les 12 jeunes tués samedi par un tir de roquette lancé depuis le Liban appartenaient à la communauté druze du Golan. Cette dernière reste attachée à sa nationalité syrienne, tout en ayant le statut de résident en Israël.

Une minorité prise en étau dans la guerre. Douze Druzes âgés de 10 à 16 ans ont été enterrés, dimanche 28 juillet, dans les communes de Majdal Shams et Ein Quniya, sur le plateau du Golan annexé par Israël. La veille, ils jouaient au football lorsqu'ils ont été touchés par un tir de roquette envoyé depuis le Liban. Selon l'armée israélienne, le tir a été perpétré par le Hezbollah, mais le mouvement islamiste libanais dément toute responsabilité.

Immédiatement, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a écourté un déplacement aux Etats-Unis pour se rendre sur place. Il a assuré que le Hezbollah paierait "le prix fort" pour cette action, qualifiée par l'armée d'"attaque la plus meurtrière contre des civils israéliens depuis le 7 octobre". Mais les dirigeants druzes se sont opposés à toute riposte. "Nous rejetons le fait de verser ne serait-ce qu'une goutte de sang sous le prétexte de venger nos enfants", ont-ils déclaré. Des déclarations qui soulignent la position complexe occupée par cette minorité vis-à-vis d'Israël. Explications.

Une minorité arabe à la croyance "secrète"

Les Druzes constituent une minorité ethnique et religieuse née en Egypte au XIe siècle. Leur religion, monothéiste, intègre des éléments de l'islam, de l'hindouisme et de la philosophie grecque classique, qui insiste sur "la pureté spirituelle", explique le journal israélien Haaretz. Ils croient en plusieurs prophètes, dont Jésus, Mahomet et Moïse. "Leur croyance est mal connue, elle reste secrète", précise pour franceinfo Alhadji Bouba Nouhou, enseignant à l'université Bordeaux-Montaigne et spécialiste du conflit israélo-arabe.

"Les Druzes ont leurs propres textes sacrés, qui ne se transmettent qu'aux initiés. Personne ne peut connaître réellement la doctrine sans y avoir été initié."

Alhadji Bouba Nouhou, enseignant à l'université Bordeaux-Montaigne

à franceinfo

Les Druzes sont arabes, mais ne sont ni musulmans ni chrétiens. Ils ne se réunissent pas dans des mosquées ou des églises, "mais dans des maisons de la sagesse", précise Alhadji Bouba Nouhou. Leur communauté demeure très peu ouverte à l'extérieur : les mariages mixtes et les conversions sont interdits. 

Une foule participe aux funérailles des jeunes Druzes tués par une roquette venue du Liban, dans la ville Majdal Shams, sur le plateau du Golan occupé par Israël, le 28 juillet 2024. (MOSTAFA ALKHAROUF / ANADOLU / AFP)

Leur population est estimée entre 800 000 et un million de personnes, dont plus de 80% vivent en Syrie et au Liban, avance Haaretz. Une petite partie, environ 150 000, habitent en Israël, selon le Bureau de la statistique israélien (en PDF). Ces derniers ont la nationalité israélienne, participent à la vie politique du pays et effectuent leur service militaire obligatoire. "Ils parlent arabe et israélien, sont particulièrement recrutés dans les services liés à la sécurité et servent d'interprètes dans les tribunaux militaires", illustre Alhadji Bouba Nouhou. Depuis le 7 octobre 2023, ils sont également engagés dans la bande de Gaza aux côtés de l'armée israélienne. "Israël est en guerre et nous faisons partie d'Israël", revendique Anan Kheir, activiste druze israélien, auprès de franceinfo. Selon Haaretz, dix soldats druzes sont morts au combat depuis le début du conflit.

Leur engagement auprès d'Israël remonte à peu avant la création de l'Etat hébreu en 1948. "Des Druzes qui ne se reconnaissaient pas dans les revendications palestiniennes ont pris contact avec David Ben Gourion [un des fondateurs de l'Etat d'Israël] et se sont rapprochés des communautés juives sionistes", rappelle Alhadji Bouba Nouhou. Afin de renforcer ses soutiens, Israël les a ensuite dissociés des autres communautés arabes et les a inscrits sur une liste de minorités non musulmanes. La mention "Druze" a alors remplacé celle d'"Arabe" sur leurs papiers d'identité, décrit le site Orient XXI. Cette distinction a eu pour effet de créer une forme de "légitimité et de loyauté" des Druzes d'Israël envers l'Etat hébreu, poursuit Alhadji Bouba Nouhou.

Pour les Druzes du Golan, un pied en Syrie, un pied en Israël

Mais les Druzes israéliens se distinguent des Druzes du Golan. Ces derniers, au nombre de 23 000 selon l'AFP, ont conservé la nationalité syrienne après la conquête par Israël de ce territoire contrôlé par Damas lors de la guerre des Six jours en 1967. En 1981, lorsqu'Israël annexe officiellement le Golan, faisant de ce dernier un territoire occupé comme la Cisjordanie, les Druzes se voient offrir la citoyenneté israélienne, mais refusent. La majorité préfère obtenir le statut de résident permanent et se met en retrait de toute démarche liée à l'Etat israélien, comme la participation aux élections locales. Aucun des 12 jeunes Druzes tués lors de l'attaque à Majdal Shams, samedi, n'avait d'ailleurs la citoyenneté israélienne, selon les autorités municipales, citées par CNN.

Cette démarcation vis-à-vis d'Israël se renforce en 1982, lorsque la loi sur l'annexion du plateau du Golan entre en vigueur en Israël. De nombreux Druzes du Golan dénoncent alors cette législation et réaffirment leur attachement à la Syrie, rappelle Haaretz. Le régime syrien appuie ce sentiment en encourageant les relations entre Damas et les Druzes du Golan. Ces derniers peuvent venir faire leurs études gratuitement en Syrie, les liens commerciaux sont favorisés, les regroupements familiaux tout comme les mariages sont facilités, explique The Times of Israel.

Des Druzes du Golan manifestent en soutien à Bachar al-Assad, dans la ville de Majdal Shams, le 14 février 2010. (DAVID SILVERMAN / GETTY IMAGES EUROPE)

Mais ces liens se sont distendus avec le début de la guerre en Syrie en 2011. Les échanges culturels et économiques ont été freinés par les combats et le soutien à Bachar al-Assad a faibli. Le conflit a brisé "l'idée d'une nation syrienne", estime l'historien Yusri Hazran auprès du Times of Israël. "L'effondrement de l'Etat syrien et les ravages dans le pays ont obligé les Druzes du Golan à choisir une option rationnelle : celle de l'intégration dans la sphère israélienne", analyse-t-il. "Mais ce n'est pas une reconnaissance du sionisme."

Résultat : les demandes de nationalité israélienne de la part des Druzes du Golan ont légèrement augmenté ces dernières années. Alors qu'elles n'étaient que d'une dizaine par an dans les années 2010, elles ont atteint le nombre record de 139 procédures en 2019, souligne The Times of Israel. L'implication des Druzes du Golan israéliens dans la vie politique de l'Etat hébreu reste toutefois faible. A Majdal Shams, la plus grande ville druze, sur 962 citoyens israéliens en âge de voter, seulement 169 ont déposé un bulletin dans l’urne lors des dernières élections à la Knesset en 2022, relève le journal israélien.

Une colonisation de plus en plus tendue

Le statut politique des Druzes du Golan leur confère des droits. Ils ont accès aux soins de santé, à l'éducation et peuvent circuler librement à l'intérieur d'Israël. Mais ils subissent des discriminations concernant l'obtention de permis de construire ou le droit de voyager à l'étranger, explique The Times of Israel. Cette situation tend à se détériorer. Depuis la loi "Etat nation" d'Israël de 2018, qui définit Israël comme étant l'Etat du peuple juif avant tout, les Druzes d'Israël et du Golan se sentent "mis à l'écart", affirme Alhadji Bouba Nouhou. "Ils étaient présentés comme un modèle d'intégration par Israël et se sentent trahis."

La loi de 2018 reconnaît notamment les implantations juives dans les territoires occupés comme étant "d'intérêt national". Depuis cette date, la colonisation sur le plateau du Golan, illégale au regard du droit international, a augmenté. A ce jour, 25 000 Israéliens vivent aux côtés des 23 000 Druzes, non sans heurts. En juin 2023, des Druzes du Golan ont menacé Israël de mener une "intifada", en raison d'un projet d'installation d'éoliennes sur leur territoire, selon The Times of Israel.

Des Druzes du Golan manifestent contre un projet israélien d'installations d'éoliennes, à Masada, le 21 juin 2023. (JALAA MAREY / AFP)

Ces tensions se sont accentuées avec le début de la guerre à Gaza. En raison des échanges de tirs entre le Liban et Israël, les Druzes du Golan font figure de cibles malgré eux. Le Golan abrite de nombreuses installations militaires israéliennes et est régulièrement visé par le Hezbollah. Après l'attaque de Majdal Shams, "les Druzes ont dénoncé un manque de protection de la part d'Israël", souligne Alhadji Bouba Nouhou. Dans les jours à venir, ils vont "peut-être durcir leurs revendications". Mardi, Israël et le Hezbollah ont de nouveau échangé des tirs, faisant craindre un embrasement de la région.

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