Guerre Israël-Hamas : dans la bande de Gaza, les enfants "risquent aussi bien de mourir sous les bombes que d'une maladie diarrhéique ou de faim"
Des "conditions désespérées". Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a mis en garde, mercredi 6 décembre, contre le risque d'un "effondrement total de l'ordre public" dans la bande de Gaza, "avec les bombardements constants des forces armées israéliennes, et en l'absence d'abris ou du minimum pour survivre". La guerre que mène Israël dans l'enclave palestinienne affecte particulièrement les enfants. Le ministère de la Santé gazaoui affirme que plus de 6 000 d'entre eux ont été tués depuis le début du conflit, sur les plus de 17 000 morts dénombrés dans le bilan établi jeudi.
Dans un entretien à franceinfo, Gloria Doñate, directrice du programme développement et qualité dans les territoires palestiniens occupés pour l'ONG Save the Children, revient sur les conséquences dramatiques du conflit pour les enfants gazaouis.
Franceinfo : Comment le conflit entre Israël et le Hamas affecte-t-il les enfants vivant dans la bande de Gaza ?
Gloria Doñate : Ce sont les premières victimes de cette guerre. Les enfants sont toujours très affectés par les conflits armés, mais dans un territoire où les mineurs représentent plus de 50% de la population, c'est particulièrement vrai. Ils sont extrêmement vulnérables face au manque de nourriture, d'eau potable et d'accès aux soins. La situation est aujourd'hui tellement critique, avec la reprise et l'intensification de l'offensive israélienne dans le Sud, qu'ils risquent aussi bien de mourir sous les bombes que d'une maladie diarrhéique ou de faim, ou encore parce qu'ils dorment dans la rue sous la pluie.
Certains sont touchés par cette guerre avant même leur naissance, lorsque des femmes enceintes meurent dans les bombardements, ou dans les jours qui suivent leur venue au monde. On se rappelle des images de ces prématurés dont on craignait de devoir débrancher les incubateurs [en octobre], faute de carburant pour alimenter les hôpitaux en électricité.
La guerre a également fait de nombreux orphelins. A-t-on une idée de combien de mineurs sont concernés aujourd'hui ?
Avec les combats incessants, il est impossible pour la communauté internationale de vérifier les bilans des autorités locales, mais on estime que plusieurs centaines d'enfants sont séparés de leurs familles ou isolés. On sait que ce chiffre est sous-estimé, car les corps de nombreuses victimes sont encore sous les décombres.
Les jeunes eux-mêmes se préparent à la possibilité de se retrouver seuls. Une amie [qui vit à Gaza] m'a raconté qu'alors qu'elle préparait un sac avec les affaires de la famille, au cas où il leur faudrait fuir précipitamment, son enfant lui a dit : "Il me faut mon propre sac, si jamais je suis séparé de toi."
Save the Children a les ressources pour identifier les enfants isolés, retrouver leurs proches ou leur apporter l'aide nécessaire, mais il nous est impossible de mettre en œuvre ces services. Les bombardements sont tels que nous n'avons pas les conditions minimum requises pour travailler en sécurité. Et de nombreux travailleurs humanitaires de la bande de Gaza sont eux-mêmes déplacés ou ont été tués.
La population déplacée à l'intérieur de l'enclave palestinienne vit dans des conditions catastrophiques. Pourquoi les enfants sont-ils particulièrement vulnérables face à cette situation ?
Les Gazaouis, et les enfants en particulier, font face à un risque sanitaire du fait de la consommation d'eau contaminée. Les maladies diarrhéiques sont parmi les premières causes de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans, or ceux qui en souffrent [dans la bande de Gaza] ne peuvent pas accéder aux soins nécessaires.
La pénurie de nourriture est un autre problème majeur. La trêve a permis de faire entrer de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza, mais c'est une goutte dans l'océan…
"On ne peut pas nourrir 2,2 millions d'habitants avec 200 camions par jour."
Gloria Doñate, directrice du programme développement et qualité de l'ONG Save the Childrenà franceinfo
Les enfants sont également très exposés à l'insécurité. Ils risquent d'être blessés par les frappes ou par des bombes non explosées, sont séparés de leurs familles et sont moins protégés face aux personnes qui pourraient leur vouloir du mal. L'immense majorité de la population déplacée vit dans des centres d'accueil surpeuplés. On imagine ce qui peut se passer dans des espaces qui accueillent 26 000 personnes au lieu des 3 000 pour lesquelles ils sont prévus, avec une toilette pour 600 personnes, et où il n'existe aucune intimité.
Quelles sont les conséquences du conflit sur la santé mentale de ces enfants ?
En 2022, notre ONG révélait dans un rapport que 80% des enfants de la bande de Gaza souffraient de dépression, de stress ou de troubles du sommeil. Depuis le début de la guerre, ils sont exposés au bruit constant des bombes et à des violences qui ont encore accru ces problématiques. On se trouve face à un traumatisme générationnel.
Par ailleurs, plus de 600 000 enfants ne sont plus scolarisés depuis deux mois. On ne parle pas uniquement de leur accès à l'éducation, qui est primordial, mais aussi d'accès à des repas sains et à la sociabilisation avec leurs amis. C'est capital pour leur bien-être. Alors que 60% des infrastructures civiles, y compris des écoles, ont été détruites depuis le début de la guerre, quand pourront-ils reprendre les cours ? Il faudra des mois, peut-être des années.
Save the Children, comme l'ensemble des acteurs humanitaires, appelle à un cessez-le-feu immédiat et durable dans la bande de Gaza, ainsi qu'au respect du droit humanitaire international et des droits humains. Sans cela, on condamne ces enfants à la mort.
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