: Témoignage "Je ne vis que pour Keith" : un an après le 7-Octobre, le traumatisme et l'interminable attente de l'ex-otage Aviva Siegel, dont le mari est toujours captif
Sa voix sonne comme mécanique, à l'image de l'inlassable appel qu'elle répète depuis sa libération. "Tout ce que je fais, c'est parler de Keith", insiste Aviva Siegel lors d'une visioconférence organisée depuis Tel-Aviv. "Keith est la personne la plus gentille qui soit". Comme 250 autres personnes, cette Israélienne de 62 ans a été enlevée par le Hamas avec son mari, Keith Siegel, lors des attaques du 7-Octobre. Après 51 jours de captivité, elle a été libérée, mais sans son conjoint. "Je me suis oubliée depuis", confie-t-elle, les cernes creusés par la fatigue, vêtue d'un tee-shirt noir arborant la photo de son mari.
Ce samedi 7 octobre 2023 devait être un jour festif en Israël. Les juifs croyants s'apprêtaient à fêter la Simhat Torah, ce jour qui marque la fin et le recommencement du cycle de lecture de la Torah. Dans le kibboutz de Kfar Aza, dans le sud d'Israël, où Aviva et son époux vivaient depuis plus de quarante ans, le week-end s'annonçait paisible. Mais en quelques heures, l'odeur des arbres fruitiers et des cyprès a été recouverte par celle des cadavres et du brûlé. Un massacre inimaginable pour cette petite communauté installée à moins de trois kilomètres de la bande de Gaza. D'ailleurs, Kfar Aza signifie en hébreu "village de Gaza".
"On avait l'impression que c'était la fin du monde"
"A 6h30, nous avons entendu les premières sirènes. Nous avons sauté hors du lit et nous nous sommes précipités dans notre abri", raconte Aviva. Comme dans la plupart des kibboutzim, les Siegel vivaient dans une maison équipée d'un abri sécurisé. "On a l'habitude des alarmes, mais là, c'était si bruyant. On avait l'impression que c'était la fin du monde". Dehors, les roquettes lancées par le Hamas pleuvent sur Israël dans un bruit continu et strident. Le couple écrit à ses quatre enfants pour prendre des nouvelles. Aucune réponse. "J'ai compris que quelque chose de grave se passait", se remémore avec émoi Aviva.
Pendant quatre interminables heures, Aviva et Keith se terrent dans leur abri, sous les bruits terrifiants des coups de feu, des frappes, des cris. "Je tremblais, j'étais si effrayée", appuie la retraitée. Dans le kibboutz, les hommes du Hamas attaquent, frappent et tuent les civils sans distinction : adultes, enfants, nourrissons. Ils incendient les maisons, les jardins, les voitures. Sur les 950 résidents du kibboutz de Kfar Aza, 61 sont morts et 19 ont été pris en otage, rappelle The Times of Israel.
"On a entendu les terroristes entrer dans notre maison, casser la porte de notre abri. Ils ont tiré dans la main de Keith, l'ont frappé aux cotes. Puis, ils nous ont emmenés à Gaza en voiture."
Aviva Siegel, ex-otage du Hamasà franceinfo
Les souvenirs de ces instants épouvantables ressurgissent toujours tels des flashs traumatiques. Lors de leur arrivée dans la bande de Gaza, Aviva se souvient du chaos et du regard narquois d'un combattant islamiste, mimant sa mise à mort avec un couteau. "Il y avait des civils en liesse. Ils criaient, ils tiraient en l'air, ils applaudissaient. C'était les vacances pour eux, développe-t-elle avec écœurement. Je n'oublierai jamais ça".
"Ils nous ont torturés, des filles ont été violées"
Le couple Siegel est ensuite poussé avec cinq autres otages dans un trou sous terre. Il s'agit d'une des entrées vers le réseau de tunnels construit par le Hamas dans le territoire palestinien. Les captifs sont en sang, paralysés d'effroi. Une femme hurle que les combattants ont tué son mari et sa fille. "Ils ont tiré sur eux, ils ont tiré sur leur visage !", répète Aviva, poursuivant son récit sans pause. Les jours qui suivent, les otages sont transportés de cachette en cachette, parfois dissimulés sous des vêtements de Palestiniennes. "Nous avons dû changer de repaire 13 fois", compte Aviva.
A plusieurs reprises, les geôliers les laissent dans les souterrains pendant de longues heures, sans eau ni nourriture. Les passages sont si étroits qu'il est impossible de respirer convenablement. "C'est la pire chose que n'importe quel humain peut endurer", décrit Aviva, qui dit avoir beaucoup prié pour "mourir en premier".
" Nous étions allongés sur des matelas sales, nous ne pouvions même pas lever la tête tellement les tunnels étaient étroits. Tout ce qu'on faisait, c'était mourir lentement."
Aviva Siegelà franceinfo
Aviva et Keith sont ensuite emmenés dans une maison. Elle se souvient de cette bouffée d'oxygène en remontant à la surface. "Je me suis dit : 'Je vais vivre, je respire.'" Mais la torture se poursuit. Le couple est gardé par "deux monstres", qualifie la retraitée. "Ils nous criaient dessus, nous brutalisaient, menaçaient de nous tuer." Lorsque les Siegel demandent de la nourriture, leurs tortionnaires répondent avec ironie que "la cuisine prend du temps", alors qu'ils mangent devant eux. Les repas des otages se limitent à une demi-pita sèche de temps en temps. Aviva n'a pas le droit de parler, de bouger, de montrer la moindre émotion. Elle ne peut que regarder, impuissante, son mari dépérir de jour en jour. "Je lui gardais la moitié de ma nourriture parce qu'il était si faible..."
La colère se fait soudainement ressentir dans sa voix. "Les filles ont aussi été violées", insiste-t-elle, alors que l'ONU a été accusée après le 7-Octobre d'avoir nié ou minimisé les violences sexuelles subies par les victimes du Hamas, pointe le New York Times. "J'ai vu une fille être emmenée les mains attachées par un terroriste. Quand elle est revenue, elle m'a raconté la pire chose qu'une femme puisse vivre." Aviva n'en dira pas davantage pour préserver la sécurité de cette otage, mais reprend : "Les hommes aussi ont été violés". En mars, après avoir enquêté, l'ONU a affirmé avoir de "bonnes raisons de croire" que des violences sexuelles ont été commises le 7-Octobre et qu'elles "étaient toujours en cours". Des accusations rejetées par le Hamas.
"Sois fort pour moi et je le serai pour toi"
Le 51e jour de leur captivité, Aviva et Keith sont transférés dans une nouvelle maison, les yeux bandés par un tissu noir. L'un des gardiens lance en anglais à l'Israélienne :"You, tomorrow Israel !" L'otage prévient qu'elle ne partira pas sans son mari, mais elle n'a pas le choix. Keith, extrêmement diminué, gît sur un matelas. Son regard est vide, l'expression figée dans un mélange de tristesse et de douleur. "J'ai lui ai murmuré : sois fort et je serai forte pour toi", raconte Aviva, très émue. Elle est libérée avec d'autres otages en échange de prisonniers palestiniens, dans le cadre de l'unique accord de trêve entre le Hamas et Israël depuis le 7-Octobre.
"Quand j'ai revu mes enfants, dont un de mes fils que je pensais mort, j'étais si heureuse", confie Aviva, esquissant un premier sourire. "Mais si triste que Keith ne soit pas avec moi..." A son retour en Israël, la retraitée n'a pas cherché à se faire soigner le corps et l'esprit. Elle avait pourtant perdu plus de dix kilos et était incapable de se tenir debout seule. "J'ai mis plus d'un mois pour être capable de manger un plat normal, car j'avais une infection à l'estomac."
"Je n'ai pas le temps de penser à moi. Tout ce que je fais, c'est prier pour que Keith revienne. Je ne vis que pour lui, je pense à lui tout le temps."
Avivaà franceinfo
Comme d'autres familles d'otages, Aviva n'a cessé ces derniers mois d'alerter sur la situation des otages dans les médias du monde entier. Elle a témoigné des violences sexuelles commises par le Hamas devant le Parlement israélien, le Congrès américain et même à l'ONU. Ses filles gèrent sa communication et ses déplacements en Israël et à l'étranger. Elle participe régulièrement à des mobilisations organisées par les proches d'otages. "Nous sommes comme une grande famille, nous ressentons la même douleur, ça m'aide beaucoup", évoque-t-elle.
"Je veux simplement dire à Bibi : 'Je veux revoir Keith en vie'"
Après un an de guerre, Aviva n'a plus aucune nouvelle de Keith. Elle ne sait pas s'il est vivant, s'il a été localisé, et doit vivre avec cette innommable douleur. Le 1er octobre, quand elle a appris qu'Israël avait envoyé des troupes au Sud-Liban, elle a eu envie de pleurer. Elle ne souhaite pas parler de politique, car elle n'est pas "politicienne", mais glisse simplement à propos du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou : "Je veux simplement dire à Bibi : 'Je veux revoir Keith en vie'".
"On ne parle plus des otages. Avec ce qu'il se passe au Liban, ils ne vont pas être libérés de sitôt. Ce nouveau front, c'est le pire pour eux."
Aviva Siegelà franceinfo
A cette douleur s'ajoute l'insécurité permanente qui l'accompagne. Elle était déjà "peureuse" avant, mais elle avait choisi d'habiter avec son mari à Kfar Aza, près de la frontière avec la bande de Gaza, "parce que nous croyions en la paix pour tous les peuples", se souvient-elle. Cette insouciance volontaire a désormais disparu. Quelques heures avant notre entretien, Aviva a d'ailleurs dû se réfugier dans un abri après le retentissement de sirènes d'alerte à Tel-Aviv. "Ils essayent encore de nous tuer", a-t-elle décrit par téléphone, avec un calme déconcertant. Pour elle comme pour beaucoup de juifs, le 7-Octobre a fait voler en éclats la certitude qu'Israël était un Etat capable de leur garantir la paix et la sécurité. A ce jour, 97 personnes sont toujours prises en otage par le Hamas, dont 33 ont été déclarées mortes par l'armée israélienne.
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