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Frappe américaine en Syrie : pourquoi Donald Trump a décidé d'intervenir militairement

L'opération militaire américaine, déclenchée vendredi matin, marque un changement de position radical de l'administration Trump dans le dossier syrien. Explications.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Donald Trump, lors d'une conférence de presse à Washington, le 5 avril 2017.  (RON SACHS / AFP)

Donald Trump a mis sa menace à exécution. Pour la première fois depuis le début du conflit syrien, les forces américaines ont frappé, vendredi 7 avril, la base militaire de Shayrat, au sud de Homs. Un bombardement en représailles à l’attaque à l’arme chimique, mardi, attribuée au régime de Bachar Al-Assad, du village de Khan Cheikhoun. Six soldats syriens sont morts dans cette frappe américaine, provoquant immédiatement la réaction de Damas, Moscou et Téhéran, qui ont condamné cette opération.

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Depuis deux jours, Donald Trump et son administration avaient déjà considérablement haussé le ton face à Damas. Lors d’une conférence de presse, le président américain avait dénoncé, mercredi, une attaque "horrible contre des innocents, y compris des femmes, des petits enfants, et même de beaux petits bébés". Avant de prévenir : "Ces actes odieux du régime d’Assad ne peuvent être tolérés."

Parce que "Trump est quelqu'un d'imprévisible"

Si Washington a prévenu ses alliés de la coalition, dont Paris, avant de procéder à ce bombardement, rares sont les observateurs qui ont anticipé une intervention si soudaine. Jusque-là, les prises de paroles de Donald Trump et de son administration allaient précisément dans le sens inverse, note le Time (en anglais). En juillet, alors qu'il n'est que candidat, il explique au New York Times (en anglais) que si Bachar Al-Assad est "un sale type", il est préférable de faire front commun pour combattre les jihadistes. Le 30 mars, Nikki Haley, l'ambassadrice américaine aux Nations unies, va même jusqu'à dire que le départ du dictateur syrien n'est pas une priorité pour Washington, rompant définitivement avec la ligne de Barack Obama sur le dossier.

Cinq jours plus tard, la même Nikki Haley dénonce, cette fois, un "crime de guerre" du régime syrien, en montrant aux caméras du monde entier une photo d'un enfant mort à Khan Cheikhoun. Interrogé le même jour sur ce changement radical, Donald Trump concède que son "attitude envers la Syrie et Assad a beaucoup changé". Avant d'ajouter : "L’attaque contre les enfants a eu un grand impact sur moi, un grand impact."

"C'est un fait, Donald Trump est quelqu'un d'imprévisible, note auprès de franceinfo Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteure de Trump, l'onde de choc populiste (FYP éditions, 2016). C'est loin d'être la première fois que Bachar Al-Assad assassine son peuple. Seulement, cette fois, il y a eu des images d'enfants gazés qui ont beaucoup choqué l'opinion américaine. Après les signaux plutôt positifs que son administration avait envoyés à Bachar Al-Assad, Trump se devait de réagir."

Parce qu'il cherche à se donner une stature internationale

Les spécialistes interrogés par franceinfo ont du mal à croire que les frappes américaines ont été menées sous le coup de l'émotion. Ils y voient plutôt une marque de "realpolitik". "En frappant de manière unilatérale, Donald Trump a voulu montrer au monde qu'il n'avait pas besoin de ses alliés et qu'il pouvait agir seul, sans résolution des Nations unies", décrypte Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Iris.

Depuis le début du conflit syrien, la Russie bloque presque systématiquement toutes les résolutions visant son allié syrien. Ce fut encore le cas après l'attaque chimique de Khan Cheikhoun : Moscou a qualifié d'"inacceptable" le projet de résolution condamnant l'attaque présenté par Washington, Paris et Londres.

Une façon aussi de montrer ses muscles sur la scène internationale sans pour autant craindre une escalade de violences avec la Russie, estime Jean-Pierre Maulny. "On est dans une riposte limitée sur une cible militaire, qui a comme objectif de dire à Bachar Al-Assad : 'Ne faites plus jamais ça.' Ce n'est pas une frappe majeure pour autant. Au contraire." Lors de ce bombardement, Washington a envoyé 59 missiles Tomahawk sur la seule base syrienne de Shayrat. En 2011, les forces américaines, appuyées par les Britanniques, avaient lancé une première vague d'environ 110 missiles sur la Libye sur plus de 20 objectifs différents, signe d'une opération d'une plus grande envergure.

Parce que ça lui permet de marquer ses différences avec la Russie

En s'opposant à Moscou sur le théâtre syrien, Donald Trump en profite aussi pour répondre à ceux qui lui reprochent d'être trop proche de Vladimir Poutine. Ces derniers mois, "il a été mis en grande difficulté par les accusations d'immixtion probable de la Russie dans la campagne présidentielle, explique Marie-Cécile Naves. Aujourd'hui, Donald Trump veut montrer l'image d'un président qui n'est pas inféodé au Kremlin et qui a son libre arbitre."

Cette position vis-à-vis de la Russie, même si il a prévenu le Kremlin avant de déclencher les frappes, permet aussi de rassembler les républicains derrière lui, alors que certains, comme John McCain, s'étaient montrés critiques envers lui dernièrement, rappelle Le Figaro. Le sénateur et anicen candidat à la Maison Blanche s'est ainsi réjoui de la décision de Donald Trump. "Les frappes du président en Syrie envoient un message important : les Etats-Unis ne vont pas rester sans rien faire pendant qu'Assad, soutenu par la Russie, massacre des innocents", a tweeté ce dernier, juste après l'intervention.

Parce qu'il peut critiquer, en creux, Obama

Depuis son arrivée au pouvoir, Donald Trump a souvent voulu marquer ses différences avec son prédécesseur, toujours très populaire. Mais cette opération en Syrie lui offre une occasion de taper encore plus durement. "Les républicains ont toujours parlé de Barack Obama comme d'un président  'qui se couche'. Avec cette frappe, Donald Trump s'inscrit dans une position de chef de guerre pour rompre avec son prédécesseur", commente Marie-Cécile Naves. Avant de frapper la base militaire, Donald Trump a justement fait allusion à la "ligne rouge" de Barack Obama, devant des journalistes. 

L'ancien président a, en effet, utilisé cette formule en 2012 pour menacer Bachar Al-Assad que s'il osait utiliser des armes chimiques contre sa population, les "conséquences seraient énormes". Cette "ligne rouge" est finalement devenue le symbole de la fragilité Barack Obama. Malgré cette menace, près de 1 400 personnes avaient péri après une attaque au sarin à la Ghouta, dans la banlieue de Damas. L'ancien président américain avait justifié son inaction en expliquant qu'il n'avait pas eu l'aval du Congrès.

"Aujourd'hui, c'est un peu comme si Donald Trump reprenait la politique dissuasive, au moment où elle s'est arrêtée, en 2013, estime Jean-Pierre Maulny. Lui ne s'est pas embarrassé à solliciter l'accord du Congrès. Il est intervenu directement. C'est le retour à la ligne de George W. Bush."

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