"La fin de l'embargo sur les armes en Syrie est une mesurette européenne face au coup de massue russe"

L'Union européenne a-t-elle eu raison de lever l'embargo sur la livraison d'armes aux rebelles syriens, lundi 27 mai ? Alors que la guerre entre Bachar Al-Assad et l'opposition a été marquée ces derniers jours par plusieurs preuves de l'usage d'armes chimiques par le président contesté de la Syrie, l'Europe a tapé du poing sur la table. Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient, analyse les conséquences de cette décision.  

Francetv info : Que change la levée de l’embargo sur les armes décidée par l’UE ?

Fabrice Balanche : A court terme, rien. Si on regarde ce qui a été décidé par l’Union européenne, il ne s’agit que d’armes défensives destinées à des groupes modérés qui respectent les valeurs de l’UE. Dans ces conditions, personne ne peut les réceptionner.

La levée de l’embargo peut-elle contrarier l’organisation de la conférence internationale Genève 2 qui aura lieu le 10 juin ?

Cette levée de l’embargo est destinée à faire pression sur le régime d’Assad, de façon à ne pas arriver à Genève 2 sans cartes en main. Les Russes sont très mécontents de cette mesure. Ils ont beau jeu de dire que l’Europe cherche une solution politique alors qu’elle privilégie la solution militaire en autorisant la livraison d’armes aux rebelles. Pour les Russes, l’Europe jette de l’huile de feu. La réplique des Russes a été immédiate. Ils ont annoncé qu’ils allaient livrer les missiles S-300 [des missiles sol-air sophistiqués] au régime d’Assad. Pour sa part, l’Iran ouvre une ligne de crédit de quatre milliards de dollars pour le régime syrien. Que vaut la mesurette européenne face au coup de massue russe et au rouleau compresseur iranien ?

Est-ce qu’on risque une régionalisation du conflit avec la livraison des missiles S-300 à la Syrie ?

Les Israéliens ont annoncé qu’ils réagiraient militairement en cas de livraison de ces fameux missiles S-300. Ce qui risque de provoquer une réponse du Hezbollah. On aurait alors une nouvelle confrontation entre le groupe chiite et Israël. Les Iraniens, qui contrôlent le Hezbollah, ne resteront pas les bras croisés face à une nouvelle attaque israélienne en Syrie.

Quelle est la vraie ligne rouge pour les Occidentaux en Syrie ?

A-t-on véritablement les moyens militaires pour intervenir en Syrie comme on l’a fait en Libye ? J’en doute. Pour les Occidentaux, cela veut dire ramener des porte-avions, demander aux Turcs d’utiliser leurs bases, y aller sans le Conseil de sécurité de l’ONU, puisque les Russes et les Chinois ne donneront pas leur accord. D’autre part, a-t-on vraiment la volonté d’y aller ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait une majorité de Français qui souhaitent une intervention en Syrie. Concernant l’utilisation des armes chimiques, Assad sait très bien que les pays occidentaux n’interviendront pas militairement pour une utilisation sporadique d’armes chimiques contre les rebelles.