Syrie : pourquoi intervenir sans le soutien de l'opinion publique est périlleux
Deux Français sur trois sont opposés à une intervention militaire en Syrie, selon un sondage Ifop pour "Le Figaro".
Intervenir pour "punir" Bachar Al-Assad. Comme François Hollande, Barack Obama est prêt à autoriser une action militaire en Syrie pour sanctionner le président syrien après l'utilisation d'armes chimiques près de Damas, le 21 août. Mais les Américains, eux, ne sont pas convaincus : près de 6 sur 10 sont opposés à l'usage de la force contre le régime syrien, selon un sondage publié mardi 3 septembre sur les sites du Washington Post (en anglais) et d'ABC News.
En France, l'hostilité est encore plus marquée. Ainsi, 64% des Français sont contre une intervention française en Syrie, selon un sondage Ifop pour Le Figaro publié vendredi 6 septembre. Les résultats sont les mêmes dans un sondage de l'institut BVA, publié le 31 août. Comme une illustration de ce ressentiment, dans les commentaires de notre live, vous faites régulièrement part de votre opposition à cette intervention, estimant que "c'est une guerre civile, [donc] nous n'avons rien à y faire !".
Or, il est difficile pour l'exécutif de se passer du soutien de l'opinion publique dans une telle situation. Francetv info vous explique pourquoi.
Parce que c'est un risque politique "majeur"
"L'opinion publique est à la fois méprisée et crainte par les décideurs, qui s'efforcent de ne pas aller contre sa sensibilité", explique Natalie La Balme, maître de conférences à Sciences Po Paris, dans son livre Partir en guerre. Décideurs et politiques face à l'opinion publique, publié en 2002 (Ed. Autrement).
Contacté par francetv info, Jean Chiche, chercheur au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), est formel : François Hollande doit d'abord convaincre les Français avant de prendre la décision d'intervenir. "C'est à lui de trouver les arguments forts. S'il n'y parvient pas, il prend un risque politique majeur", estime-t-il. Selon le chercheur, le chef de l'Etat commencera un "vrai travail de persuasion" dès qu'il connaîtra la réponse du Congrès américain. Un vote du Congrès est attendu à partir du lundi 9 septembre.
Parce que l'intervention militaire perd sa légitimité
La situation présente peu d'avantages sur le plan politique, résume Jean Chiche. Dans ces conditions, "prendre une décision envers et contre tous s'avère délicat, et sans bien-fondé", ajoute-t-il. "Aujourd'hui plus qu'hier, une force militaire qui ne bénéficie pas du soutien de l'opinion publique perd sa légitimité", explique le général de brigade Benoît Royal, auteur de La Guerre pour l'opinion publique.
Gagner en légitimité : c'est sûrement une des raisons pour lesquelles Barack Obama a finalement décidé de demander aux parlementaires américains leur autorisation pour un recours à la force, juge Jean Chiche. C'est aussi ce qui pourrait inciter François Hollande à demander au Parlement de voter, selon lui. Pour l'instant, l'exécutif refuse obstinément. Et c'est aussi ce qui a poussé le président à déclarer, vendredi après-midi à l'issue du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg (Russie), que la France attendrait le rapport des inspecteurs de l'ONU avant toute action militaire.
Dans une tribune au Figaro publiée en février 2009, à la suite de la mort d'un soldat français en Afghanistan, Benoît Royal enfonce le clou. Il estime que la réussite des opérations militaires est directement conditionnée par l'adhésion populaire. "Or, obtenir l'adhésion des populations consiste notamment à leur renvoyer l'image d'une force exempte de tout reproche", souligne Benoît Royal dans une interview sur le site du ministère de la Défense.
Parce qu'il y a peu, voire pas de précédent
Entrer en guerre alors que l'opinion publique y est hostile : depuis le début du XXIe siècle, en France, la situation est inédite. "L'opinion publique française était oposée à une intervention en Irak, mais nous n'y sommes pas allés. L'hostilité à l'envoi et à la présence de troupes françaises en Afghanistan n'existait pas majoritairement au début du conflit, elle est venue après. Le cas du Mali est difficilement comparable à celui de la Syrie, mais les Français ne pouvaient y être que favorables car il s'agissait de contrer une offensive des groupes islamistes radicaux", détaille Jean Chiche.
"Renverser l'opinion sera extrêmement difficile pour François Hollande. Mais il n'a pas vraiment le choix. Tout va se décider en dix jours", poursuit le chercheur. Pour Slate.fr, le scénario se répète lorsqu'avant chaque guerre, dans une démocratie, il s'agit de convaincre l'opinion publique sans lui demander son avis. C'est pour cette raison que le site d'information a décidé de rédiger, le 30 août, "un mode d'emploi pour convaincre les Français de partir en guerre".
Dans un article mis en ligne sur La vie des idées.fr, Frédérique Leichter-Flack, maître de conférences à l'université Paris Ouest Nanterre et à Sciences Po Paris, indique que "le pouls des opinions publiques américaine et européennes a été très surveillé dans les semaines qui ont précédé l'annonce (...) de la décision stratégique américaine d'envoyer davantage de troupes en Afghanistan". Nul doute que ce sera à nouveau le cas dans les jours qui arrivent, avant une décision officielle sur une intervention militaire en Syrie.
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