Présidence russe au Conseil de sécurité de l'ONU : "C'est le théâtre de l'absurde, une insulte au multilatéralisme", dénonce Patrick Martin-Genier, spécialiste de l’Europe
"C'est complètement ubuesque. C'est le théâtre de l'absurde", a dénoncé samedi sur franceinfo Patrick Martin-Genier, enseignant à Science Po, spécialiste de l’Europe, alors que la Russie a pris la présidence du Conseil de sécurité de l'ONU pour tout le mois d'avril. Patrick Martin-Genier voit dans cette présidence "une insulte au multilatéralisme et à la notion de paix internationale que doit protéger l'ONU". Mais il estime que le Conseil de sécurité "va attendre" que le mois d'avril passe "avant de faire des réunions importantes".
franceinfo : Comment jugez-vous cette présidence russe du Conseil de sécurité de l'ONU ?
Patrick Martin-Genier : C'est complètement ubuesque. On est dans le théâtre Ubu, c'est le théâtre de l'absurde. L'article 24 de la Charte des Nations unies prévoit que la responsabilité principale du Conseil de sécurité des Nations unies est le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Quelqu'un qui a agressé l'Ukraine, quelqu'un qui commet des crimes de guerre, une nation issue des nations victorieuses de la Seconde guerre mondiale, va présider pendant un mois ce Conseil de sécurité qui a un rôle essentiel dans le maintien de la paix. C'est véritablement une situation dramatique, une insulte au multilatéralisme et à la notion de paix internationale que doit protéger l'ONU.
Est-ce qu'il possible de l'exclure ?
Bien évidemment non. Il est impossible de boycotter non plus. C'est la Charte des Nations unies. Il y a quinze membres au Conseil de sécurité, dont cinq permanents. Les pays se succèdent. Donc il n'est pas possible de l'exclure de cette présidence. Il faudrait modifier cette charte. C'est bureaucratique. Chacun exerce à son tour de rôle cette présidence. Néanmoins, pour certains pays, il pourrait y avoir un certain nombre de réactions, notamment abaisser par exemple le niveau de la représentation diplomatique auprès du Conseil de sécurité.
Quelle peut être la marge de manœuvre de la Russie pendant ce mois de présidence ? Est-ce que cela peut être une tribune pour Moscou ?
Au Conseil de sécurité, il y a un certain nombre d'Etats qui sont plutôt neutres dans cette guerre. Et la Russie, Vladimir Poutine et Lavrov, veulent utiliser cette tribune pour bien montrer qu'ils ne sont pas isolés sur la scène internationale. Donc ils vont présider des audiences. Lavrov va en présider une, notamment sur le multilatéralisme. Ça aussi c'est parfaitement ubuesque. Le 10 avril, il est prévu une réunion du Conseil de sécurité sur l'exportation des équipements militaires. Il en présidera également une situation sur le Proche-Orient. On voit bien que c'est une tribune extraordinaire. Bien naturellement, il ne convaincra personne.
"Le problème qui se pose aujourd'hui, c'est la paralysie de cette organisation internationale qui dépérit peu à peu du fait de ces blocages institutionnels."
Patrick Martin-Genier, enseignant à Science Po, spécialiste de l’Europeà franceinfo
Est-ce que le Conseil de sécurité va être complètement paralysé pendant ce mois d'avril ?
Je n'en suis pas certain. Le président du Conseil de sécurité a au moins un pouvoir, c'est de convoquer ou de refuser de convoquer le Conseil de sécurité. Il y a d'ores et déjà trois réunions qui sont prévues, dont une sur la situation au Proche-Orient, une sur le multilatéralisme et surtout celle des opérations de paix dans le monde entier. Et naturellement, ça ne concerne pas uniquement l'Ukraine. Bien sûr qu'on ne pourra pas empêcher Lavrov de se faire de la publicité au niveau des Nations unies. Si par exemple Lavrov refusait de convoquer le Conseil de sécurité sur une question liée à l'Ukraine, il y a une possibilité dans le règlement intérieur que neuf membres du Conseil de sécurité exigent une réunion sur cette question. Et là, ils ne pourraient pas refuser. Mais je crois que ce qui va se passer, c'est que l'on va attendre que ce mois se passe avant de faire des réunions importantes au niveau du Conseil de sécurité.
Quelle est l'utilité de ce Conseil de sécurité dans le contexte d'aujourd'hui ?
A supposer qu'on voudrait condamner la Russie, ce serait naturellement impossible. Il faudrait un ordre du jour. L'ordre du jour doit être fait avec le président du Conseil de sécurité. Par ailleurs, on sait très bien que la Chine refuse de condamner systématiquement la Russie. Donc c'est un Conseil de sécurité qui est complètement paralysé, sur ce sujet comme sur d'autres.
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