: Témoignages "Je sais que je vais perdre des droits" : après la victoire de Donald Trump, la communauté trans "a très peur" pour son avenir aux Etats-Unis
"Avez-vous besoin d'un câlin ?" Vers la sortie du campus de l'université Howard, à Washington, Misha brandit une affiche avec ce simple message, au lendemain de l'élection présidentielle américaine. Une heure plus tôt, Kamala Harris a pris la parole devant ses soutiens au cœur du campus, pour les appeler à "continuer le combat" après la débâcle. "Donald Trump va être de nouveau président, c'est terrifiant, souffle Misha. Ça va être terrible pour nous. Je suis une personne queer et trans. J'ai très peur."
Une crainte partagée par de nombreuses personnes transgenres aux Etats-Unis, à l'issue d'une campagne présidentielle marquée par les attaques transphobes venues du camp républicain. Donald Trump, l'homme qui les a pris pour cible au fil des meetings et des clips de campagne, a été réélu à la fonction suprême mardi 5 novembre. "Un moment sombre pour beaucoup de personnes trans", commente Kai Alviar Horton, qui dirige l'organisation et la ligne d'écoute Trans Lifeline aux Etats-Unis. "Donald Trump a gagné tellement de popularité... Nous vivons désormais dans un environnement très anti-trans."
Des lignes d'écoute saturées
Kai Alviar Horton confie avoir eu "le cœur brisé" à l'annonce de la victoire écrasante du milliardaire. "Je vis dans un endroit sûr [en Californie], des personnes trans et queer m'entourent. Mais je sais que je vais perdre des droits. Et je vais voir mes proches vivre des choses très difficiles."
L'équipe de Trans Lifeline répond du lundi au vendredi aux appels de personnes trans ayant besoin de parler, ou vivant une situation de crise. L'association recevait en moyenne 300 appels par jour au mois d'octobre, mais l'élection présidentielle, mardi, a marqué une bascule. "Hier [mercredi, au lendemain du scrutin], nous avons reçu plus de 1 700 appels", témoigne Kai Alviar Horton, qui anticipe le même volume d'appels "dans un futur proche". La ligne d'écoute, déjà saturée, a également reçu de nombreux appels de personnes prétendant être trans, et s'avérant en réalité transphobes. "Nous ne sommes que des personnes trans dans l'équipe. Nous vivons aussi cette élection, et nous devons soutenir notre communauté. C'est déchirant."
"Des gens nous demandent où aller pour être en sécurité. Ils nous demandent si tout ira bien pour eux."
Kai Alviar Horton, de la ligne d'écoute Trans Lifelineà franceinfo
D'une association à l'autre, le constat est le même. Le projet Trevor, qui vient en aide aux jeunes américains LGBT+, a vu les prises de contact augmenter de 700% mercredi. Les références à l'élection présidentielle, dans ces discussions, ont augmenté de 5 200% par rapport aux jours précédant le scrutin. "Nous remarquons une augmentation spectaculaire, sans précédent, de ces appels", confirme aussi Lance Preston, directeur exécutif du projet Rainbow Youth.
"Nous n'allons pas pouvoir exister"
Sa ligne d'écoute aide de jeunes personnes LGBT+, souvent des adolescents. Elle répond en moyenne à 3 700 appels chaque mois, mais le téléphone ne cesse de sonner depuis début novembre. En sept jours, plus de 4 000 appels ont été reçus "des quatre coins des Etats-Unis. C'est très alarmant", pointe Lance Preston. Samedi, avant le scrutin, une jeune personne non binaire a appelé Rainbow Youth depuis l'Alabama, bastion conservateur du sud du pays. "Ils étaient quatre lycéens, prêts à se suicider si Donald Trump gagnait l'élection. Ils nous disaient : 'Nous n'allons pas pouvoir exister'", rapporte Lance Preston.
"Pour ces jeunes, le fait qu'il ait gagné le vote populaire implique que le peuple américain ne veut pas qu'ils existent. C'est la première chose qu'ils nous disent."
Lance Preston, de la ligne d'écoute Rainbow Youthà franceinfo
A Rainbow Youth, les appels se sont multipliés à mesure que Donald Trump ciblait les personnes trans dans ses discours. Les invectives et fausses informations transphobes ont pris une place centrale dans sa campagne – encore plus ces dernières semaines, souligne Associated Press. Dans ses meetings, le républicain a diffusé un clip incluant des extraits du film Full Metal Jacket, montrant de jeunes militaires malmenés par leurs instructeurs, et plusieurs vidéos d'artistes drag, dans une confusion entre des performances artistiques et la transidentité. Une manière de montrer "l'armée d'avant" et "l'armée sous Kamala Harris". En deux mois, la campagne et ses soutiens ont investi pas moins de 35 millions de dollars dans des publicités transphobes, attaquant la candidate démocrate pour de précédentes déclarations en soutien aux personnes trans.
Donald Trump a aussi largement inventé des fake news transphobes en prétendant, par exemple, que "votre enfant va à l'école et rentre à la maison quelques jours plus tard avec une opération" de transition de genre. Son grand meeting au célèbre Madison Square Garden, le 27 octobre à New York, a confirmé cette obsession. "Nous allons faire sortir la folie transgenre de nos écoles, et nous allons empêcher les hommes de pratiquer les sports féminins", a clamé le candidat populiste, sous les applaudissements d'un public conquis. "Cette rhétorique politique est mentionnée dans quasiment tous les appels que nous recevons, observe Lance Preston. C'est l'une des raisons de leur détresse."
La crainte de nouvelles violences anti-trans
A l'approche d'une nouvelle administration Trump, à partir de janvier, Kai Alviar Horton craint un quotidien de plus en plus dangereux pour les Américains transgenres. Au moins 27 personnes trans et non binaires – en grande majorité des personnes racisées – ont été tuées depuis le début de l'année aux Etats-Unis, d'après Human Rights Campaign. La campagne transphobe des trumpistes et leur retour au pouvoir pourrait entraîner "de nouvelles formes de violence anti-trans", alerte Kai Alviar Horton. A ses yeux, sous la deuxième présidence Trump, "les auteurs de ces actes de violence ou de haine envers les personnes trans ne seront pas tenus responsables".
Les violences pourraient venir de proches, de collègues, de personnes croisées au restaurant ou au supermarché, prévient Kai Alviar Horton. "Utiliser des toilettes publiques est déjà dangereux, car c'est ancré dans les discours anti-trans. Cela le sera encore davantage au cours des quatre prochaines années... J'ai très peur pour ma communauté."
"A chaque fois que nous sortons, nous pouvons être confrontés à des discours qui nous disent que nous ne sommes pas humains."
Kai Alviar Hortonà franceinfo
Des décisions au plus haut niveau pourraient aussi entraver les droits des personnes trans. Comme le rappelle Forbes, Donald Trump a promis d'inciter le Congrès à interdire des soins d'affirmation de genre pour les adolescents trans. Il entend réduire les financements fédéraux pour des écoles où l'on évoquerait la transidentité, et interdire aux agences fédérales de parler des transitions de genre. Les femmes trans n'auront plus leur place dans des équipes sportives féminines. Enfin, le républicain a promis d'annuler "dès le premier jour" une protection pour les jeunes trans : le fait de pouvoir utiliser des toilettes publiques réservées aux personnes de leur genre.
Des Etats prêts à légiférer
A l'échelle des Etats américains, déjà 531 projets de lois contre les personnes LGBT+ ont été initiés en moins d'un an, rapporte l'Union américaine pour les libertés civiles (Aclu). Lance Preston anticipe une montée en puissance de ces efforts législatifs locaux, au fil du nouveau mandat de Donald Trump. Les mesures défendues par le républicain pourront "pour la plupart" être contestées devant la justice, "et il est probable qu'elles soient annulées", anticipe le directeur de Rainbow Youth. "Mais c'est un processus long et fastidieux. Et nous avons cette crainte que Donald Trump nomme des juges plus conservateurs." Il dispose aussi, cette fois-ci, d'une majorité au Sénat.
A deux mois de l'investiture, "tout le monde a très peur", résume Chris Sederburg, un homme trans qui travaille avec Rainbow Youth. Cet Américain de 40 ans a récemment déménagé du Texas pour aider l'organisation dans l'Oklahoma, l'un des Etats conservateurs multipliant les textes anti-trans. "Les gens ont peur de ce qui va leur être pris. Je pourrais perdre l'accès à des soins, à des toilettes publiques", s'inquiète-t-il. "Je me sens très stressé, nerveux. Je ne sais pas ce qui va arriver."
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