L'Amérique d'Obama : à Chicago, "les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres"
A cinq semaines de la présidentielle américaine, franceinfo s'est rendue à Chicago, ville d'adoption de Barack Obama, où le chômage atteint aujourd’hui les 60% par endroit. Le reportage de Mathilde Lemaire, envoyée spéciale aux Etats-Unis.
Après huit ans passés au pouvoir, le 44e président des États-Unis, et le premier afro-américain, s'apprête à tirer sa révérence. Mathilde Lemaire, envoyée spéciale de Franceinfo aux États-Unis, s'est rendue à Chicago. C'est dans cette ville de 2,7 millions d'habitants du nord-est de l'État de l'Illinois que Barack Obama vivait avant d’accéder à la Maison Blanche. Là qu’il a été sénateur, professeur, mais aussi travailleur social dans le quartier d'Altgeld Gardens, dans les années 80. Un emploi qui l’a motivé à entrer en politique.
60% de chômage, dont 80% chez les jeunes
Direction l’extrême sud de la ville, à 20 minutes en voiture des mythiques gratte-ciels du centre luxueux et multiculturel. Mais en transport, il faut 1h40 : pas de métro ! Ces deux mondes ne se côtoient pas. Bienvenue à Altgeld Gardens, qui n’a de jardin que le nom. Les seuls arbres sont ceux qui peinent à cacher les dépôts d’ordure, les aciéries rouillées, et le canal malodorant. Partout, des maisons en briques mitoyennes sur deux étages, avec grilles aux fenêtres. Maisons construites en 1945 pour les vétérans noirs de la Seconde Guerre mondiale.
Les rues semblent désertes. Altgeld Gardens compte 60% de chômage, dont 80% chez les jeunes. Barbara explique : "Ici, le matin, les résidents n’ont rien d’autre à faire que dormir". Barbara exerce le même métier qu’Obama ici même il y a 30 ans : animatrice sociale, "organisatrice de communauté". Une communauté à genoux, confie-t-elle. "Les riches sont toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres ! On voit souvent deux ou trois familles qui s’entassent avec les enfants dans une seule maison. Beaucoup de gens n’ont même pas de compte en banque ici. Ils vivent juste des aides sociales, c'est-à-dire des bons alimentaires." "Vous diriez qu’Obama n’a pas fait le boulot qu’il fallait ?", lui demande-t-on. "Non, non, je continue de l’aimer. Et puis, vous savez, ça a été compliqué pour lui avec le Congrès républicain toujours en train de lui mettre des bâtons dans les roues", répond l'animatrice sociale.
On a besoin d’activités pour nos jeunes, mais surtout d’emplois. Plus personne n’embauche les gens d’ici.
Génération sacrifiée
Les habitants ici ne sont pas très à l’aise pour commenter le bilan d’Obama. On devine des espoirs déçus, mais certains soulignent sa réforme de l’assurance maladie ou évoquent la crise financière sans laquelle, disent-ils, il aurait fait plus pour les pauvres. Serena, une mère de 36 ans, voit le micro, nous interpelle. Elle veut dire son inquiétude concernant le sort des enfants d’ici. "Nos enfants souffrent d’un manque d’éducation. Trop d’écoles ont fermé depuis 10 ans. Une cinquantaine dans les quartiers sud. Nos petits doivent prendre le bus pour aller en classe et traverser des zones dangereuses. Il faut rouvrir des écoles ici dans le quartier, dans notre communauté !", insiste-t-elle.
Troy, 50 ans, regrette lui aussi de voir des enfants qui ne vont parfois plus en cours, qui traînent dans ce qu’il décrit aujourd’hui comme un immense terrain vague. Troy vit ici depuis 25 ans. "De mon temps, ici il y avait plein de choses : une pharmacie, une épicerie, un barbier et surtout des policiers qui passaient. Aujourd’hui, y a plus rien. Sans parler des problèmes de logement", témoigne-t-il. Troy sait de quoi il parle. Après notre interview, il remonte dans une vieille Ford. A l’intérieur, aux fenêtres, pendent des serviettes éponges. Troy refuse de nous montrer mais il vit dans sa voiture. Depuis la crise de 2008, et depuis donc l’élection d’Obama, les Américains qui font comme lui ne sont pas rares.
La violence omniprésente
Dormir dans sa voiture : une situation critique quand on sait qu’à Chicago, le climat est rude et qu'il gèle de novembre à mars. Mais ce que Troy craint le plus, c’est la violence, qui ne s’est pas calmée avec "Obama à la Maison Blanche", constate-t-il. Au contraire. Une violence que l’on devine aux impacts de balles près du Lavomatic, ou à ce "monument" où Tony, 28 ans, tient à nous emmener.
Tony a un travail, lui. Il lave des voitures dans une banlieue plus au nord. Sous une arcade, il nous fait voir un long mur jaune recouvert d’inscriptions. "C’est comme un mémorial avec les noms des centaines de résidents du quartier partis trop tôt. Il y a beaucoup de noms de famille qui reviennent. Vous voyez là, il y a tous les Smith, ou ici les Miller. Ça fait de la peine. Tout ça à cause des armes illégales faciles d’accès, à cause de la drogue... et parce que dans ma génération on ne communique plus, on ne respecte plus rien. Chacun joue à qui fera les pires choses pour se faire remarquer. C’est aussi un problème d’éducation. Ici, des filles ont des bébés à 14 ou 15 ans, leurs mères sont grands-mères à 30 ans et vous avez des arrière-grands-mères de 50 ans", raconte Tony.
Ces très jeunes mères de familles fréquentent la seule boutique qui reste ouverte, impossible à repérer de l’extérieur. Pas de vitrine, juste un comptoir derrière une porte blindée. Le commerçant se fait payer en tickets d’alimentation. Obama candidat souhaitait un plan ambitieux pour ces quartiers. Mais Obama président s’est contenté de limiter les dégâts avec de l’aide sociale.
Beaucoup ne voteront pas en novembre
Dans ces témoignages, on perçoit beaucoup de tristesse mais pas vraiment de colère envers le Président. Dans les couloirs du gymnase voisin, il y a encore un grand portrait de Barack Obama, à peine jauni. Beaucoup d’habitants ne voteront pas en novembre, ce n’est "pas leur priorité", disent-ils. Les autres voteront Clinton. Mais "là n’est pas la question", dit Tony, le laveur de voiture. Il résume un sentiment assez partagé ici. "Peu importe quel président est au pouvoir, la solution doit venir d’en bas, de nous. C’est à la communauté de faire ça", estime-t-il.
Barack Obama, c’est pas Superman. C’est juste un homme comme nous. C’est à nous de retrouver la bonne direction
Se prendre en main, s’aimer et s’en sortir ensemble, c’est aussi le discours, qu’on pourrait trouver naïf, de Cliff. Au volant d’une fourgonnette, il distribue des seringues propres et des tracts sur la prévention des overdoses. L’homme est tout sourire, mais nous suggère tout de même de quitter le quartier maintenant : il est 14h00... "Ils vont bientôt sortir", dit-il. "Ils" ce sont les gangs.
2008 - 2016 : L'AMÉRIQUE D'OBAMA
Huit ans après la première élection de Barack Obama et un mois et demi avant celle de son successeur, franceinfo dresse le bilan des deux mandats du premier président noir des Etats-Unis. Reportages, analyses, invités, c'est à suivre mardi 4 octobre sur franceinfo.
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