Affaire Bygmalion : les cinq séquences à retenir du procès qui pourrait valoir une nouvelle condamnation à Nicolas Sarkozy
Retour sur un mois d'audiences dans ce dossier concernant un système de fausses factures mis en place pour cacher les dépenses de campagne excessives du président sortant lors de la présidentielle de 2012.
Nicolas Sarkozy sera-t-il condamné à de la prison ferme ? C'est en tout cas ce qu'a requis le parquet dans le cadre du procès Bygmalion, qui s'est achevé mardi 22 juin après un mois d'audiences au tribunal correctionnel de Paris. L'ancien chef d'Etat, ainsi que treize autres prévenus, étaient jugés pour leur implication dans un système de fausses factures destiné à masquer les dépenses de campagne du candidat lors de la présidentielle de 2012.
L'enquête menée par la justice a révélé que 42 millions d'euros au total avaient été dépensés lors de cette campagne, bien plus que la limite de 22,5 millions d'euros autorisée par la loi. Lors de son interrogatoire par le tribunal, Nicolas Sarkozy a vivement rejeté les accusations le visant. Son avocate Gesche Le Fur a quant à elle assuré qu'il "ne savait rien". Alors que le procureur a réclamé une peine de six mois de prison ferme contre l'ancien président pour "financement illégal de campagne électorale", les treize autres prévenus pourraient écoper de peines plus sévères. Des sanctions allant de 18 mois à 4 ans d'emprisonnement, assorties d'amendes allant de 25 000 à 150 000 euros, ont été requises. En attendant la décision des magistrats, qui doit être rendue le 30 septembre, retour sur ce procès en cinq moments marquants.
1Le témoignage de Jean-François Copé
Pas une journée ne s'est écoulée sans que son nom n'ait été évoqué pendant l'audience. Jean-François Copé est l'un des personnages centraux de l'affaire Bygmalion. Mais ayant bénéficié d'un non-lieu lors de l'instruction, l'ancien secrétaire général de l'UMP n'était cité que comme témoin lors du procès. Il s'est donc avancé serein à la barre, le 9 juin, sous l'œil de son avocat, Hervé Temime. "Si j'avais su, à la minute, j'aurais demandé d'arrêter cette folie et je serais allé voir Nicolas Sarkozy pour lui dire que je ne l'accepterais pas", a-t-il assuré avec aplomb.
Jean-François Copé a maintenu qu'il n'était pas au courant du système de fausses factures mis en place pour que son parti règle les dépenses de campagne excessives qu'il explique avoir découvertes au moment des révélations dans la presse en 2014. "Ceux qui devaient tirer la sonnette d'alarme ne l'ont pas fait", a expliqué le maire de Meaux.
"Je ne pouvais pas imaginer que l'équipe qui m'entourait puisse me cacher la vérité."
Jean-Français Copédevant le tribunal correctionnel de Paris
Si ces explications sont considérées comme peu crédibles par certains prévenus, l'enquête n'a pas permis de prouver que Jean-François Copé avait été informé de la fraude.
Le procès a également ravivé de vieilles animosités entre lui et Nicolas Sarkozy. Ainsi lorsque l'avocat d'un prévenu lui demande quelle est selon lui l'hypothèse "la plus plausible" sur l'origine de la fraude, le témoin répond aussitôt que "dans ce cas-là, il faut toujours se demander à qui cela profite. Je remarque que cela s'est fait dans le cadre d'une campagne présidentielle".
2 La dénégation du patron de Bygmalion
Devant la 11e chambre, le 28 mai, le fondateur du groupe Bygmalion, Bastien Millot, a soutenu qu'il n'avait jamais été mis au courant du système de fausses factures. Le communicant a confié, la voix posée, qu'il attendait de s'exprimer au procès depuis la révélation de la fraude en 2014. Le tribunal l'a interrogé sur le moment où, selon l'ancien directeur général adjoint de Bygmalion, Sébastien Borivent, également prévenu dans cette affaire, il aurait donné l'ordre d'accepter la fraude.
"Il me dit que l'UMP demande à être désormais directement destinataire des factures. Je n'y vois pas d'inconvénient."
Bastien Millotdevant le tribunal correctionnel de Paris
Le fondateur de Bygmalion a nié être informé du fameux "système de ventilation" pour masquer les dépenses de campagne. A la demande de la présidente, Sébastien Borivent s'est alors levé pour répondre à la question : "Vous confirmez que vous lui avez bien parlé du système de ventilation ?" "L'information était totale, évidemment", a affirmé Sébastien Borivent.
Parmi les dirigeants de l'entreprise poursuivis par la justice, Bastien Millot est le seul à nier avoir eu connaissance du système de double-comptabilité. Les jours précédents, Sébastien Borivent, Guy Alvès et Franck Attal, trois anciens dirigeants de Bygmalion, avaient reconnu unanimement l'implication de l'entreprise. Pendant leurs interrogatoires, ils n'ont d'ailleurs pas caché leur rancœur à l'encontre de leur patron, qui n'a pas reconnu la fraude. Bastien Millot, très proche du patron de l'UMP Jean-François Copé, avait donné son "feu vert", ont-ils tous assuré à la barre. "Pour moi, à ce moment-là, tout le monde est au courant, de Nicolas Sarkozy à la fille de l'accueil. C'est une décision collégiale", a ainsi expliqué Franck Attal, qui dirigeait la filiale événementielle de Bygmalion.
3L'amertume de Jérôme Lavrilleux
L'ancien directeur adjoint de la campagne Nicolas Sarkozy est la figure incontournable de ce procès. C'est par lui que le scandale est arrivé, lorsqu'il avait reconnu, en larmes, sur BFMTV, en 2014, l'existence de ce montage financier. Ce proche de Jean-François Copé est d'ailleurs le seul ancien membre de l'UMP à avoir reconnu sa responsabilité dans les faits.
Lors de son interrogatoire le 3 juin, il a assuré que c'était après le second tour de la présidentielle, lors de la clôture des comptes de campagnes, que la fraude avait été mise en place. En colère, Jérôme Lavrilleux a ainsi dénoncé l'irresponsabilité des donneurs d'ordre. "C'était une dinguerie", a-t-il jugé à la barre, notant qu'"on nous demandait d'accélérer sans cesse la campagne, pour remonter dans les sondages".
L'ancien député européen, qui avait assuré à franceinfo ne pas "aller au procès comme un mouton à l'abattoir", a tâché de démontrer qu'il n'était pas le seul fautif, jugeant notamment que Nicolas Sarkozy "définissait la stratégie" et était "forcément" au courant. Amer, il s'est ému d'être tenu pour seul responsable, alors qu'après la défaite du président, "il ne restait plus que les ploucs de service pour assumer" et "signer les factures". "Maintenant, certains veulent faire porter le chapeau à quelqu'un et on dirait bien que pour eux, j'ai une tête à chapeau", a-t-il ainsi conclu.
4La défense véhémente de Nicolas Sarkozy
L'ancien président s'est défendu avec force lors de son interrogatoire, le 15 juin dernier, récusant les accusations dont il fait l'objet. Nicolas Sarkozy a ainsi reconnu le système de fausses facturations, tout en assurant que "l'argent n'est pas allé dans sa campagne". L'ancien chef de l'Etat, à mesure qu'il développait ses arguments, s'est emporté, presque comme lors d'un meeting de campagne : "J'étais président, chef du G20 et dans la campagne, je dirigeais la stratégie politique. Alors, l'organisation des meetings, la sono, les éclairages, je n'avais pas que cela à faire."
Véhément, le masque glissant sous le nez au fur et à mesure de sa prise de parole, Nicolas Sarkozy a notamment rejeté la faute sur Jean-François Copé, alors président de l'UMP : "Bygmalion ? Jamais entendu parler ! C'étaient les copains de Copé. Je n'avais aucune raison de les connaître." "Il n'y a pas eu d'emballement [de la campagne]", s'est-il encore défendu, ajoutant que les accusations étaient "une fable".
Lors des plaidoiries de la défense, le 22 juin, son avocate Gesche Le Fur a ainsi affirmé que Nicolas Sarkozy "ne savait rien", insistant sur le fait que sa fonction de président de la République "exigeait une probité irréprochable" et demandant sa relaxe. "Ce qui est sûr, c'est que je n'ai été ni négligent, ni imprudent", avait juré l'ancien président lors de son interrogatoire. Une version des faits rejetée par le parquet.
5Le sévère réquisitoire du parquet
Le réquisitoire des procureurs Vanessa Perrée et Nicolas Baïetto, long de cinq heures le 17 juin, n'a pas été tendre à l'égard des prévenus. Les magistrats n'ont pas hésité à ironiser sur le rôle des accusés, ces "professionnels de la politique" qui ignoraient tout du coût des meetings électoraux. "Nicolas Sarkozy a dit : 'Qui peut oser dire que ma campagne a dérapé ?' C'est une farce !", s'est indignée la procureure. "Mais c'est une farce de nous faire croire que ces personnes-là ne surveillent rien. C'est une farce que de les voir se retrancher derrière leur absence de compétence".
En outre, Vanessa Perrée a vu d'un mauvais œil l'absence de Nicolas Sarkozy, qui n'est venu qu'à une journée d'audience sur un mois de procès seulement, pour son interrogatoire. "Nicolas Sarkozy ne regrette visiblement rien puisqu'il n'est venu qu'à une seule audience", a-t-elle soutenu, en soulignant "la totale désinvolture" de l'ancien président qui est, selon elle, "à l'image de la désinvolture dans sa campagne", a-t-elle insisté. Le parquet a requis un an de prison, dont six mois avec sursis, et une amende de 3 750 euros contre l'ancien président de la République.
De son côté, le procureur Nicolas Baïetto s'est emporté face aux contradictions entre les différents témoignages :
"Il y a 14 prévenus et presque autant de versions. Ces multiples versions et leur impossible combinaison montrent qu'il y a nécessairement des mensonges."
Nicolas Baïettodevant le tribunal correctionnel de Paris
Les procureurs ont demandé trois ans de prison avec sursis et 50 000 euros d'amende pour Jérôme Lavrilleux. Contre les trois ex-cadres de Bygmalion qui ont admis avoir accepté la mise en place du système de fausses factures, ils ont requis 18 mois de prison avec sursis et des amendes de 100 000 euros. La peine la plus lourde (quatre ans d'emprisonnement avec sursis) a été requise contre Eric Cesari, ex-directeur général de l'UMP, et Guillaume Lambert, qui était le directeur de la campagne en 2012. Le parquet a en outre requis des amendes respectives de 60 000 et 50 000 euros contre les deux prévenus.
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