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"Nathalie Loiseau n'a pas imprimé" : pourquoi La République en marche n'a pas réussi son pari pour les européennes

Le parti de la majorité présidentielle a laissé la première place au Rassemblement national. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La tête de liste LREM aux européennes, Nathalie Loiseau, s'exprime après les résultats des élections, le 26 mai 2019, à Paris.  (LUDOVIC MARIN / AFP)

"J'accueille ces résultats avec humilité. Quand on termine deuxième, on ne peut pas dire que l'on a gagné". Il est à peine 21 heures quand Edouard Philippe prend la parole depuis Matignon, dimanche 26 mai. Le Premier ministre réagit aux résultats des élections européennes, qui placent La République en marche (22,41%) derrière le Rassemblement national (23,31%), selon les chiffres complets publiés par le ministère de l'Intérieur. Si Emmanuel Macron a exclu tout "changement de cap" et promis d'"intensifer l'acte 2 de son quinquennat", ce score sonne néanmoins comme un désaveu pour le chef de l'Etat, qui avait fait de la défaite du RN un combat personnel.

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Que s'est-il passé pour que, en quelques semaines, la tendance, qui donnait LREM en tête, s'inverse en faveur du RN ? Entre la mauvaise campagne de Nathalie Loiseau et la stratégie électorale risquée du chef de l'Etat, plusieurs éléments expliquent cette relative défaite. 

Nathalie Loiseau a enchaîné les couacs et les maladresses

C'était mal parti dès le début. Le 14 mars, Nathalie Loiseau annonce sa candidature comme tête de liste LREM aux europénnes sur le plateau de "L'Emission politique". "Vous avez réussi à me faire changer d'avis", affirme-t-elle devant une Marine Le Pen hilare. "J'ai envie d'une Europe du partage et pas d'une Europe de la division donc ce soir, c'est vrai, je suis prête à être candidate." Une déclaration surprenante sur la forme, qui va susciter des railleries jusque dans son propre camp. "C'est très raté. Cela manquait de sincérité. C'était trop préparé", assure au Figaro un familier de l'Elysée. "Elle coupait la parole, au risque de paraître agressive", juge un autre auprès du quotidien.

Ce faux-départ ne sera pas rattrapé. Il sera suivi de nombreux maladresses. La présentation, le 28 mars, de la liste LREM est catastrophique. Une partie de l'estrade s'effondre et le directeur de campagne, Stéphane Séjourné, écorche plusieurs noms. Mais c'est aussi le profil de l'ex-patronne de l'ENA qui interroge. "Nathalie Loiseau n'a pas imprimé", résume Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof. 

Le démarrage d'une campagne, c'est le moment où le candidat doit prendre son envol. Or, Nathalie Loiseau a été confrontée a une multitude de couacs.

Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof

à franceinfo

Parmi ces couacs, on retiendra surtout les informations de Mediapart sur le passé politique de la candidate macroniste. Le site d'investigation révèle, le 22 avril, que Nathalie Loiseau a fait partie d'une liste d'extrême droite lors d'élections étudiantes, en 1984. L'ancienne ministre a d'abord tenté de justifier cette épisode de sa vie, assurant que celui qui lui avait proposé cette place était "un gaulliste". Face à la polémique, elle a finalement concédé qu'elle "aurait dû enquêter" et qu'elle aurait "dû regarder qui étaient les autres colistiers"

LREM n'a pas choisi la bonne stratégie électorale, contrairement au RN

Face à ces couacs à répétition, la campagne de Jordan Bardella, la tête de liste choisie par Marine Le Pen pour mener le combat, n'a au contraire pas eu à subir ce genre de désagréments. "Il a mené une campagne d'analyse, d'explications, bannissant les provocations traditionnelles d'extrême droite", assure Stéphane Rozès, président de Cap (Conseil, Analyse et perspective) et enseignant à Sciences-Po et HEC. Pour le chercheur, la liste LREM a également pâti d'une bonne stratégie électorale de la part du RN, qui a changé son regard sur l'UE. "Au lieu de dire que la France pourrait faire cavalier seul, Marine Le Pen a dit : 'Je suis pour l'Europe mais l'Europe des nations et j'ai des alliés pour changer l'Europe de l'intérieur', ce qui est plus en phase avec les Français". 

Mais, pour Stéphane Rozès, le Rassemblement national a surtout été aidé par "une erreur stratégique grave de Macron", qui a mis en scène "une opposition entre le RN et la liste Renaissance, une opposition entre progressistes et les nationalistes". Une opposition alimentée par l'absence, chez LREM, de programme : il n'a été dévoilé que quinze jours avant les élections. Cette stratégie a eu pour conséquences "une déperdititon de l'électorat écolo de Macron, qui souhaitait des réponses sur le fond aux questions environnementales, mais aussi un affaiblissement de la crédibilité de sa propre liste". 

Macron a semblé mener une campagne tacticienne et non pas sur le fond. Il a dit : 'votez pour moi contre Marine Le Pen' et non 'votez pour moi pour réorienter les décisions européennes'.

Stéphane Rozès, enseignant à Sciences-Po et HEC

à franceinfo

"Quand on attaque l'adversaire à ce point, c'est qu'on n'a pas tant confiance que ça dans sa propre liste", ajoute Stéphane Rozès. 

L'implication personnelle d'Emmanuel Macron n'a pas permis d'inverser la tendance

Emmanuel Macron est sorti du bois dans la dernière ligne droite de la campagne en ciblant, à chacune de ses sorties, le RN. "La liste du Rassemblement national est une liste de déconstruction de l'Europe. Moi je suis patriote français et européen, ils sont nationalistes", a déclaré le président de la République le 9 mai, ajoutant qu'il mettrait "toute [s]on énergie" pour battre le parti de Marine Le Pen. Une affiche à l'effigie du chef de l'Etat a ainsi été placardée sur tout le territoire français à moins de quinze jours des élections. Exit Nathalie Loiseau. A six jours du vote, le président a continué ses attaques contre le RN en donnant une interview dans la presse régionale dans laquelle il a affirmé que les élus RN "ont voté contre tout ce qui est dans l'intérêt de la France"

Cette implication du chef de l'Etat s'est-elle révélée efficace ou contre-productive ? "Je me demande si ça n'aurait pas été pire pour LREM si Emmanuel Macron ne s'était pas impliqué, se demande Bruno Cautrès. Il y a eu une stabilisation des intentions de vote quand il s'est impliqué mais cela reste une défaite, sa première défaite électorale'". 

Cela montre qu'Emmanuel Macron n'a pas tourné la page des 'gilets jaunes', de cette crise sociale. C'est devant lui.

Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof

à franceinfo

Pour Stéphane Rozès, la stratégie choisie par LREM a conduit "au réveil d'une catégorie d'électeurs dans le prolongement des 'gilets jaunes'". "En se mettant lui-même en avant, Emmanuel Macron a capté un électorat qui aurait pu voter pour des partis traditionnels de droite ou de gauche, mais il a aussi mobilisé un électorat qui se serait abstenu sans son intervention", conclut le chercheur. Au final, ces électeurs ne se sont pas mobilisés pour le parti présidentiel.

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