Discours de politique générale de François Bayrou : le temps de la proportionnelle, cheval de bataille du nouveau Premier ministre, est-il venu ?

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
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Publié Mis à jour
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Le Premier ministre, François Bayrou, lors d'une séance de questions à l'Assemblée nationale, à Paris, le 17 décembre 2024. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Le nouveau chef du gouvernement réclame de longue date que les élections législatives se déroulent au scrutin proportionnel. Mais l'adoption de cette mesure, plébiscitée par les électeurs, pourrait se heurter à la division de l'Assemblée et une possible censure.

Jamais, depuis sa brève instauration il y a près de quarante ans, le scrutin proportionnel pour les élections législatives n'a semblé aussi proche. "Je propose que nous avancions sur la réforme du mode de scrutin législatif", a déclaré le Premier ministre lors de son discours de politique générale à l'Assemblée nationale, mardi 14 janvier. La proportionnelle est pour François Bayrou "la seule règle qui permette à chacun d’être lui-même, authentiquement, sans être prisonnier dans des alliances insincères". Le président du MoDem en a fait l'un des combats de sa vie politique. Et même une condition de son ralliement à Emmanuel Macron en 2017.

Huit ans plus tard, malgré les promesses du chef de l'Etat, ce mode de scrutin qui vise à répartir les sièges à l'Assemblée proportionnellement aux voix des électeurs, n'est toujours pas mis en œuvre. Mais les voyants semblent désormais au vert.

Des partis favorables à un nouveau mode de scrutin

Depuis l'instauration de la Ve République en 1958, les députés français sont élus au scrutin majoritaire à deux tours. Le scrutin proportionnel n'a été instauré qu'une seule fois, en 1986, par François Mitterrand, entraînant la cohabitation avec le Premier ministre Jacques Chirac, qui restaurera le scrutin majoritaire dès 1988. Depuis, "les partis se sont accommodés, car il permettait de dégager une majorité stable, très confortable pour les gouvernements parce qu'elle n'impliquait pas de négociation complexe au Parlement", explique à franceinfo Camille Bedock, politiste et chargée de recherche CNRS au Centre Emile-Durkheim, à Bordeaux.

L'argument de la stabilité a pourtant volé en éclats après les législatives de l'été dernier, qui ont abouti à une Assemblée sans majorité, divisée en trois blocs eux-mêmes hétérogènes. La chute du gouvernement de Michel Barnier, censuré après à peine 90 jours d'exercice, un record, est venue enfoncer le clou. "Puisque l'on ne peut plus dégager de majorité stable, la question du mode de scrutin se pose à nouveau", analyse Camille Bedock.

Une majorité des forces politiques voit désormais l'instauration de la proportionnelle d'un bon œil. Combat de longue date des écologistes, ce changement est aussi défendu par les autres partis de gauche dans le programme commun du Nouveau Front populaire (NFP). La mesure est aussi réclamée par le Rassemblement national (RN). Le camp présidentiel, en dehors d'Horizons, penche lui aussi pour, tandis que les Républicains se montrent plus dubitatifs. Les électeurs interrogés, quant à eux, se prononçaient très majoritairement en faveur du changement (74%), dans un sondage publié par Public Sénat(Nouvelle fenêtre) en décembre.

"Refléter le rapport de force des urnes au Parlement"

Les exemples d'application de ce mode de scrutin ne manquent pas chez nos voisins européens, sous des modalités différentes. Il existe aussi déjà en France, pour les élections européennes. "Son adoption [pour les législatives] permettrait à la politique d'être ce qu'elle doit être aujourd'hui, en sortant du fait majoritaire où celui qui gagne remporte tout et en passant dans une démocratie du compromis", défend le député MoDem Erwan Balanant auprès de franceinfo. Son collègue LFI Pierre-Yves Cadalen y voit aussi "des avantages certains en matière de représentation démocratique"

Alors que près de 70% des Français n'ont plus confiance en la politique, selon une étude du Cevipof publiée par Le Point(Nouvelle fenêtre) en février 2024, la proportionnelle pourrait aussi avoir des vertus dans ce domaine, relève Camille Bedock. 

"Des travaux comparatifs montrent que dans les pays où la proportionnelle est en vigueur, la confiance dans les institutions est plus importante."

Camille Bedock, chercheuse et politiste

à franceinfo

Si elle adopte la proportionnelle, la France devra faire le deuil d'une Assemblée dans laquelle un parti peut obtenir une majorité seul et les parlementaires s'habituer aux négociations de coalition, comme en Allemagne ou en Belgique. "Après tout, le but de ce système est de refléter le rapport de force des urnes au Parlement", rappelle Camille Bedock. Ce nouveau mode de scrutin pourrait d'ailleurs influer sur la stratégie des partis qui "n'auraient plus besoin de s'allier pour faire élire leurs députés" et donc les rendre plus libres dans leur stratégie post-électorale, complète le constitutionnaliste Benjamin Morel, maître de conférences à l'université Paris 2.

Il est par exemple complexe aujourd'hui pour les partis de gauche de rompre l'accord du NFP, sous peine que chacun parte en solitaire aux prochaines élections, au risque de perdre trop de sièges, voire de disparaître de l'Assemblée. Avec la proportionnelle intégrale, la logique change : chaque parti n'est alors tenu que par ses engagements auprès de ses électeurs. Il serait alors plus simple pour une formation comme le PS de négocier avec le centre.

Les politiques français, peu habitués aux compromis, seraient-ils capables de prendre ce virage ? "On sous-estime à quel point le mode de scrutin façonne la vie politique", estime la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, rompue à la vie politique européenne. "Au Parlement européen, c'est ancré dans la tête de tous les élus que l'on aura besoin des autres pour faire avancer ses priorités", juge-t-elle, prévenant qu'un tel "changement culturel ne se produira pas soudainement".

La proportionnelle, oui, mais laquelle ?

La quasi-unanimité des partis sur le sujet cache cependant des différences de point de vue importantes. "Dire que vous êtes pour la proportionnelle, ça n'est pas très engageant. Mais si vous commencez à discuter de sa forme, tout d'un coup ça devient plus complexe", remarque Benjamin Morel. Avec prime majoritaire, avec ou sans seuil, listes locales ou nationales… Il existe effectivement de très nombreuses modalités pour le scrutin proportionnel(Nouvelle fenêtre).

François Bayrou défend, lui, une proportionnelle intégrale, organisée au niveau des départements, avec un seuil de 5% pour obtenir des sièges, sur le modèle utilisé lors des élections législatives de 1986. Une façon "d'assurer" "l'enracinement des élus", expliquait-il au Monde(Nouvelle fenêtre) en 2020. Mais des voix s'inquiètent d'un système encore trop peu représentatif. "Je suis très dubitatif, souffle Benjamin Morel. Il y a un risque de distorsion très fort dans les petits départements où l'on élit un ou deux députés. Cela ne fluidifierait pas le système d'alliance."

Une liste nationale, alors, comme aux élections européennes ? "On court le risque que les députés soient déconnectés des territoires", estime Mélanie Vogel. En septembre, la sénatrice a déposé une proposition de loi(Nouvelle fenêtre) visant à instaurer une proportionnelle basée sur des circonscriptions régionales.

"On peut peut-être trouver un meilleur découpage électoral. Mais pour la lisibilité du débat, il vaut mieux partir de quelque chose que l'on connait déjà."

Mélanie Vogel, sénatrice écologiste

à franceinfo

Une autre disposition fait presque l'unanimité contre elle : la mise en place d'une prime majoritaire, désormais défendue par le RN. Cette mesure attribuerait un pourcentage supplémentaire de sièges au parti arrivé en tête. "Cela permet de faire coïncider proportionnelle et stabilité gouvernementale", argumente le député RN Laurent Jacobelli. "C'est le pire des deux systèmes : on crée une majorité artificielle sans possibilité de faire de front républicain", répond Mélanie Vogel. Erwan Balanant y voit une pirouette du parti d'extrême droite, "longtemps défenseur de la proportionnelle parce qu'il ne pouvait pas accéder au pouvoir, et qui modifie ses positions car il est désormais en capacité d'obtenir une majorité dans le système actuel".

Un changement qui ne résoudra pas tout

Mettre en place un système à double liste, à l'allemande, ne recueille pour l'instant que peu d'adhésion en France. Outre-Rhin, les partis concourent à la fois dans des circonscriptions locales et sur des listes nationales. Ces dernières servent à ajuster le nombre de députés en fonction du poids de leur mouvement dans le vote. "Il faut que ça soit simple. Pas une usine à gaz", écarte Erwan Balanant.

En cas de projet de loi gouvernemental, les parlementaires réussiront-ils à se mettre d'accord ? Sur le papier, la proportionnelle est une réforme simple : pas besoin de changement dans la Constitution, une loi ordinaire suffit.

"Le problème, c'est que chacun pousse pour un système qui l'avantage. Or, il faudra que quelqu'un accepte de perdre des députés."

Benjamin Morel, constitutionaliste

à franceinfo

Mélanie Vogel propose de retenir quatre critères : "Rechercher la représentation la plus fidèle possible, s'assurer d'un ancrage local, être lisible et intelligible pour les citoyens et ne pas avoir à modifier la Constitution". Laurent Jacobelli affirme de son côté que le RN se montrera "ouvert" aux différentes propositions, tout comme le MoDem d'Erwan Balanant.

Pour La France insoumise, la proportionnelle doit faire partie "d'une réforme institutionnelle plus large". "Elle ne peut pas être le seul moyen de résolution de la crise démocratique", souligne Pierre-Yves Cadalen. Fidèle aux promesses de son mouvement, il juge nécessaire de convoquer une assemblée constituante visant à dessiner une VIe République.

Pas la priorité du moment

Malgré certains atouts, la proportionnelle ne résoudrait de toute façon pas seule le blocage politique actuel. "Elle ne changera pas la nature du système partisan, très polarisé entre trois blocs", souligne Camille Bedock. La chercheuse pointe aussi la centralité de "l'élection présidentielle au suffrage universel direct" qui "incite les politiques à jouer leur partition individuelle et à ne pas pactiser". Un constat partagé par Mélanie Vogel, pour qui "rien, tout seul, ne va répondre aux problèmes démocratiques de la France". La sénatrice écologiste admet cependant qu'une réforme plus large des institutions semble, pour l'instant, hors de portée.

Tout dépendra aussi de la durée de vie du gouvernement de François Bayrou et de sa capacité à d'abord faire adopter le budget 2025. "J'ai du mal à imaginer que l'on négocie ce sujet alors que le Premier ministre va probablement tomber rapidement", prédit Pierre-Yves Cadalen. "Vu l'instabilité actuelle, faire passer une réforme de fond semble compliqué", confirme Laurent Jacobelli. De son côté, Benjamin Morel pense aussi que ce sujet "risque de passer à la trappe, alors même que les partis commencent à y travailler sérieusement"

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