Législatives 2024 : pourquoi Marine Le Pen veut laisser Matignon à Jordan Bardella en cas de large victoire du RN
Le Rassemblement national s'en tient à son "ticket". Après la dissolution annoncée par Emmanuel Macron, dimanche 9 juin, au soir d'élections européennes largement remportées par le RN, le parti d'extrême droite a confirmé son souhait de voir Jordan Bardella devenir Premier ministre en cas de victoire aux législatives anticipées, les 30 juin et 7 juillet.
De son côté, Marine Le Pen a annoncé lundi sur TF1 qu'elle refusera d'être nommée à Matignon si le RN remporte une majorité de députés, la présidente sortante du groupe d'extrême droite à l'Assemblée se concentrant "vers la présidence de la République". Franceinfo vous explique pourquoi cette configuration, encore hypothétique, est privilégiée par le Rassemblement national.
Parce que c'est leur projet depuis 2023
Dès l'automne 2023, le RN a dévoilé son concept de tandem en lançant sa campagne pour les élections européennes. "Je souhaite proposer aux Français, à la prochaine présidentielle, un ticket, un duo, avec Jordan Bardella", avait avancé Marine Le Pen le 29 octobre sur France 3, mettant en avant "une belle complémentarité". Ce "ticket" a ensuite été officialisé en janvier dernier par les deux intéressés.
La dissolution prononcée par Emmanuel Macron a beau avoir accéléré le calendrier, le parti ne change pas de plan. "C'est le ticket gagnant qu'on a présenté aux Français, on s'y tient, confirme Gaëtan Dussausaye, eurodéputé RN. S'ils nous donnent la majorité, c'est normal que Jordan Bardella soit à Matignon, pour mettre d'ores et déjà en œuvre notre programme pendant trois ans et préparer l'arrivée de Marine Le Pen à l'Elysée en 2027."
Parce que Marine Le Pen éviterait d'être trop exposée en vue de la présidentielle 2027
Le RN garde les yeux rivés sur la prochaine présidentielle, et la triple candidate (2012, 2017, 2022) vise toujours l'Elysée. "Sauf à ce que je décide de ne pas me représenter à la présidentielle, je reste, me semble-t-il, la mieux placée pour être candidate", estimait-elle en octobre sur France 3. Au soir des élections européennes, elle a de nouveau affirmé qu'elle se préparait à devenir cheffe de l'Etat.
En répartissant ainsi les rôles au sein du couple exécutif, Marine Le Pen conserve le champ libre et affirme aussi sa supériorité hiérarchique sur son dauphin de 28 ans, qui préside actuellement le parti. "Le rôle du président est de prendre de la hauteur, gérer le régalien, donner des orientations, avance Gaëtan Dussausaye. Un Premier ministre doit gérer des mesures pour le quotidien des Français, des textes, des accords de majorité..."
Cette stratégie offre aussi l'avantage de préserver un peu Marine Le Pen en cas d'échec d'une cohabitation. Jordan Bardella se retrouverait en effet très exposé s'il devenait Premier ministre et serait tenu responsable en cas d'échec de sa politique. Sans compter que Matignon est souvent décrit comme un "enfer" par ceux qui y sont passés, avec le risque d'une inexorable usure du pouvoir. Historiquement, ceux qui ont été chef du gouvernement ont ensuite échoué à se faire élire à l'Elysée, à l'image d'Edouard Balladur, Lionel Jospin ou François Fillon.
Parce que le RN veut miser sur leur complémentarité
La répartition formelle des fonctions entre Jordan Bardella et Marine Le Pen trouve un écho dans leurs styles respectifs. "Il apporte un caractère différent, ce n'est pas la même génération ni le même parcours" que Marine Le Pen, juge Gaëtan Dussausaye, porte-parole du RN. "Marine Le Pen, par rapport à Jordan Bardella, elle a l'air énervée tout le temps. Elle est incapable de parler normalement, de descendre dans l'agressivité, comme Mathilde Panot", présidente sortante du groupe LFI à l'Assemblée nationale, critiquait une ministre fin mai. "Marine Le Pen, elle est maternelle. Jordan Bardella, il séduit", assurait également en avril une députée Renaissance.
Leurs différences se retrouvent aussi dans les enquêtes d'opinion. Jordan Bardella et Marine Le Pen ne sont pas considérés de la même manière au sein des diverses catégories de l'électorat. Dans une étude de l'Ifop pour Paris Match publiée en mai 2023 (en PDF), leur niveau de popularité était par exemple très différent selon les classes d'âge. Les moins de 35 ans préféraient la tête de liste aux européennes à la députée sortante de la 11e circonscription du Pas-de-Calais (37% contre 31%). Mais ce rapport s'inversait chez les plus âgés (29% contre 38%), avec un écart très important chez les 35-49 ans (24% contre 45%). Parmi les catégories socioprofessionnelles, les chefs d'entreprises étaient 45% à préférer Jordan Bardella (contre 33% pour Marine Le Pen). L'ex-candidate à la présidentielle est en revanche la favorite des salariés (39% contre 26%).
Au sein du Rassemblement national, on met en avant une "complémentarité efficace", balayant toute forme de concurrence entre les deux leaders du parti. "Certains auront peut-être des facilités à se reconnaître dans la démarche de Jordan Bardella, concède Gaëtan Dussausaye. Mais je vois sur le terrain que les gens qui voteraient pour lui n'auraient aucune difficulté à voter pour Marine Le Pen. Et vice-versa."
Parce que Marine Le Pen sera jugée lors d'un procès à l'automne
Cette répartition claire des fonctions est également bien pratique alors que Marine Le Pen fera face à la justice à l'automne. La dirigeante a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris dans l'affaire dite "des assistants parlementaires". Elle et 26 autres personnes seront jugées du 30 septembre au 27 novembre pour détournement de fonds publics. Ils sont suspectés d'avoir utilisé de l'argent de l'UE pour rémunérer des assistants d'eurodéputés travaillant en réalité pour le parti. La dirigeante estime à ce sujet n'avoir "commis aucune infraction ni irrégularité". Mais pendant les prochains mois, elle pourra difficilement répondre aux accusations qui pèsent contre elle et conduire dans le même temps la politique de la nation depuis Matignon.
Reste que si Marine Le Pen laisse le champ libre à Jordan Bardella pour devenir Premier ministre, cela pourrait aiguiser encore davantage ses ambitions. Un proche d'Emmanuel Macron juge ainsi que cette stratégie risque de donner des ailes à l'actuel président du RN : "Je pense que ce sera Jordan Bardella et pas Marine Le Pen en 2027. Si elle refuse Matignon, elle se flingue pour 2027. Jordan Bardella, ça va le griser."
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