Taxation des "superdividendes" : pourquoi le gouvernement a été désavoué par une partie des députés de la majorité
L'Assemblée a voté mercredi un amendement au budget 2023 visant à dissuader les entreprises de distribuer des résultats exceptionnels en "superdividendes", contre l'avis de l'exécutif.
Nouveau couac au Palais-Bourbon. Les députés ont adopté, mercredi 12 octobre, contre l'avis du gouvernement, un amendement au budget 2023 visant à décourager les grandes entreprises de distribuer des résultats exceptionnels en "superdividendes". Pour dissuader les grands groupes, les parlementaires proposent de majorer une taxe de manière temporaire.
L'amendement au projet de loi de finances (PLF) a été présenté par Jean-Paul Mattei (MoDem), qui fait partie de la majorité présidentielle. Sauf que cet amendement a fait l'objet d'un avis défavorable de l'exécutif. Il a finalement été largement adopté (227 voix pour et 88 contre), grâce notamment au soutien de la gauche et celui du RN. Il a aussi reçu les suffrages de 19 députés du groupe Renaissance, comme le détaille l'analyse du scrutin. Détail cocasse : le suppléant de la Première ministre dans le Calvados, Freddy Sertin, fait partie des députés qui se sont affranchis des consignes du gouvernement en votant en faveur de cet amendement.
"Je suis fier d'avoir voté cet amendement, car c'est l'essence de ce que nous sommes au MoDem : un parti qui souhaite que la valeur soit bien partagée dans notre pays, explique le député MoDem Erwan Balanant. On s'est regardés avec quelques députés, en se disant qu'on allait le voter", raconte pour sa part le nouveau député Renaissance Benoît Bordat, qui assume sa place dans l'aile gauche de la macronie. "Je soutiens le gouvernement, mais vis-à-vis de l'opinion publique, il y a aussi des symboles. Et on ne peut pas dire que nos alliés du MoDem soient de dangereux gauchistes."
Investir et rémunérer davantage les salariés
Lors de la séance, Gabriel Attal a pourtant mis en garde la majorité contre l'"effet" d'un tel dispositif pour l'attractivité du pays. "À chacun de prendre ses responsabilités", a lancé le ministre des Comptes publics. Dans le détail, le texte adopté vise les grandes entreprises, au-dessus d'un certain seuil de chiffre d'affaires. Il prévoit "une majoration temporaire de cinq points du prélèvement forfaitaire unique", le portant à 35%, sur les dividendes distribués ou les rachats d'actions, quand ces revenus sont "supérieurs de 20% à la moyenne des revenus distribués entre 2017 et 2021".
Difficile de donner précisément le nombre de sociétés qui vont rentrer dans ce cadre législatif mais, selon le groupe MoDem à l'Assemblée, l'ensemble des sociétés du CAC40 ainsi que d'autres grands groupes devraient être touchées. Au total, une centaine d'entreprises pourraient être concernées, selon le parti centriste. "Il est important de préciser que le but de la taxe n'est pas le rendement mais la désincitation au versement de 'superdividendes' [et non pas des dividendes en eux-mêmes] et l'incitation à davantage investir ou rémunérer les salariés", détaille le MoDem.
"L'amendement participe à l'équilibre d'une société, qui rend le pays attractif pour les entreprises. C'est tout simplement le contrat social", ajoute Erwan Balanant. "Franchement, l'amendement est plutôt bien délimité. On ne va pas toucher les petites TPE-PME", estime également la députée Renaissance Sophie Errante.
"Arrêtons de faire croire qu'on va décourager toutes les entreprises de venir en France."
Sophie Errante, députée Renaissanceà franceinfo
"Dans la période que nous vivons, cherchons des solutions sur le partage de la richesse, notamment concernant la rente induite par les événements conjoncturels", ajoute la députée de Loire-Atlantique. Les préoccupations au sujet des inégalités sociales et du partage des richesses s'invitent de plus en plus dans les discussions de la majorité. "On peut créer de la richesse dans le pays, mais il faut que chacun soit rétribué pour que le système soit équilibré", explique Erwan Balanant.
Problème de communication
Lors des débats, Gabriel Attal a rappelé que le gouvernement souhaitait déjà transposer dans le budget un accord entre pays européens pour taxer les superprofits réalisés par certaines entreprises. Il a donc demandé le retrait de l'amendement, en estimant que l'Assemblée pourrait "peut-être" travailler sur ce dispositif "dans les prochains mois".
La réponse a créé un certain malaise dans les rangs de la majorité. "J'ai toujours été loyale. J'ai de bonnes relations avec Gabriel Attal, mais la réponse du gouvernement n'est pas satisfaisante", s'agace Sophie Errante, qui a préféré ne pas prendre part au vote. "Cette manière de dire : 'Circulez, on en parlera plus tard'... Il y a un défaut dans la méthode de travail. J'ai été déçue et mon absence de vote est aussi une manière de dire stop." Un problème de communication au sein de la majorité est pointé par plusieurs députés. "Il faut plus de coordination, mais c'est compliqué quand il y a plus de 3 000 amendements, comme pour ce texte", confie le rallié Eric Woerth, absent lors du vote.
"Peut-être qu'il n'y a pas eu de discussion suffisante auparavant, ça peut arriver."
Eric Woerth, député LREMà franceinfo
"C'est vrai qu'il faut qu'on se parle plus et qu'on revienne en interne sur ce vote d'hier soir", ajoute le député Renaissance Louis Margueritte, qui a lui voté contre l'amendement. "Mais je vous rappelle que la situation n'est pas forcément toujours simple pour la majorité en l'absence de majorité absolue."
"Pas du tout une démarche de fronde"
Plusieurs observateurs ont donc interprété le vote de cet amendement comme un camouflet pour l'exécutif, qui a subi une série de revers lors du début de l'examen du projet de loi de finances 2023. "Je réfute l'idée d'une majorité qui se fissure avec des frondeurs. Nous ne sommes pas du tout dans une démarche de fronde", assure toutefois Benoît Bordat. "Je trouve le terme de 'fracture' excessif. On a des appréciations différentes au sein de la majorité, c'est la preuve que le débat parlementaire sur ce texte fonctionne bien", appuie une députée macroniste.
"Il n'y a pas de fracture de la majorité, abonde Erwan Balanant. Mais souvent, ces amendements coincent, non par volonté politique, mais en raison d'une disposition technique, qui vient d'une administration centrale parfois trop conservatrice, avec cette idée, ce dogme, de ne pas créer de nouvel impôt." Le gouvernement, qui risque de se résoudre à utiliser l'article 49.3 pour faire voter le budget, va maintenant devoir choisir de garder ou non cet amendement du MoDem.
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