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En verrouillant la com des ministres, Ayrault peut-il éviter les couacs ?

Après la polémique sur les Roms, les ministres devront désormais avoir le feu vert de Matignon avant toute interview. Pas sûr que cela soit suffisant contre les cafouillages.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'adresse aux médias, le 19 août 2013, au cours d'une visite à Avion (Pas-de-Calais). (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Remettre le gouvernement en ordre de marche demande un peu de fermeté. C'est l'objectif de Jean-Marc Ayrault, dont le cabinet a adressé à tous les ministres un mail pour expliquer le nouveau mode d'emploi de la communication gouvernementale. Selon la note de Matignon, dévoilée mercredi 2 octobre par Libération et Europe 1chaque ministre devra désormais obtenir une validation des services du Premier ministre pour répondre à une sollicitation médiatique.

Cette reprise en main a été exigée mercredi par François Hollande en Conseil des ministres, à la suite de la polémique sur les Roms qui a vu Manuel Valls et Cécile Duflot s'affronter par médias interposés. Ce n'est pas la première fois que le président cherche à mettre fin aux couacs gouvernementaux. En vain jusqu'ici. Cette fois sera-t-elle la bonne ? Difficile à croire.

Des divergences dans la majorité

Le cafouillage sur la question des Roms révèle une nouvelle fois les multiples dissensions au sein de la majorité. Ce dernier couac intervient après le bras de fer entre Manuel Valls et Christiane Taubira sur la réforme pénale, les oppositions de points de vue sur la politique fiscale ou encore la colère des écologistes sur la fiscalité verte.

A six mois des élections municipales, l'exécutif souhaite donc retrouver de la cohésion. Interrogé par francetv info, Gérard Grunberg, directeur de recherche au CNRS et au Centre d'études européennes de Sciences Po, ne croit pas vraiment au plan de l'exécutif pour verrouiller la parole des ministres : "C'est trop compliqué, notamment en raison des enjeux politiques, avec le rapport de force entre écologistes et socialistes, qui ont des désaccords profonds."

Pour le politologue, seul un départ des écologistes du gouvernement pourrait remettre de l'ordre. Un scénario qu'il juge improbable, tout du moins avant les municipales : "Hollande souhaite garder sa majorité jusqu’aux élections, il cherche donc en vain à éviter toute provocation entre écologistes et socialistes."

Le politologue Stéphane Rozès, contacté par francetv info, se montre plus optimiste sur cette tentative de reprise en main. Il considère que, cette fois, François Hollande a clairement établi une "ligne rouge" et que les ministres qui désirent conserver leur maroquin devraient se mettre au pas.

Une maladie de gauche 

Dans son livre Hollande, l'homme sans com' (Le Seuil), Denis Pingaud estime que la mauvaise communication du pouvoir actuel est liée à la culture politique de la gauche, "habituée à la diversité des points de vue plutôt qu’à la discipline de l’argument". Il explique ainsi que pour la gauche, "la communication est une concession inévitable à la démocratie d’opinion et à la puissance des médias. Elle ne saurait constituer une priorité de l’action gouvernementale."

Pour Denis Pingaud, cette faille de la gauche s'est creusée avec l'émergence de la social-démocratie dans les années 1960. Les responsables politiques, devenus des technocrates, ne sont plus issus des classes populaires.

Pour relativiser, tous les gouvernements de gauche n'ont pas peiné autant. Stéphane Rozès, qui a conseillé de nombreux politiques, dont François Hollande, rappelle que la communication a toujours été plus facile en période de cohabitation, comme sous le gouvernement Jospin : "Il s'opère une plus grande cohésion gouvernementale, une solidarité spontanée."

Des règles du jeu qui ont changé

Stéphane Rozès cible une dernière difficulté pour le gouvernement Ayrault : "Une nouvelle pression du quotidien imposée par les nouveaux outils de communication : Twitter, Facebook", qui permettent de communiquer plus personnellement. Il juge qu'autrefois, "la temporalité beaucoup plus lente rendait plus facile le contrôle de la communication gouvernementale".

Effectivement, seulement quatre ministres n'ont pas de compte Twitter et des ministres comme Benoît Hamon, Cécile Duflot ou Manuel Valls sont hyperactifs sur ce réseau social, comme le relevait le Huffington Post en 2012. Ils ont ainsi développé leur propre communication parallèle, compliquant la tâche de l'exécutif.

Une évolution du jeu politique que les gouvernants auraient peiné à comprendre, selon Denis Pingaud : "Stratèges de la négociation quand l'urgence appelle la décision, adeptes du temps long quand l'opinion vit de temps court, ils racontent aux Français une histoire souvent trop classique et trop conceptuelle."

La personnalité de François Hollande

L'autre écueil de la communication gouvernementale tiendrait à la personnalité de François Hollande. Pour Gérard Grunberg, la cohésion dans ce domaine dépend aussi du "degré d’autorité du chef de l’Etat". Il considère que sous Nicolas Sarkozy, les couacs étaient moins nombreux en raison de son tempérament : "Il était autoritaire, il voulait tout contrôler et il faisait peur à ses ministres." 

Dans son livre, Denis Pingaud estime que l'esprit de synthèse et de compromis de François Hollande peut également nuire au gouvernement. "La communication est une stratégie de l’offre. Elle ne peut être efficace que si elle surprend, dérange, provoque, en ayant pour objectif de nouer une relation d’attachement et non pas de raison", écrit-il. 

Stéphane Rozès approuve en ajoutant que le choix de François Hollande de se montrer en homme de dialogue "a donné aux ministres l’impression d’avoir des marges de manœuvre pour pouvoir s’adresser directement au président", avec pour conséquence des cafouillages en série.

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