Quels scénarios pour la présidentielle en Egypte?
Le second tour de la présidentielle se tient samedi et dimanche dans un climat tendu. Jeudi, la Cour constitionnelle a invalidé les législatives remportées par les Frères musulmans. A quoi faut-il s'attendre ?
Un "Frère" contre un militaire. L'Egypte doit élire samedi 16 et dimanche 17 juin son président de la République, le premier de l'ère post-Moubarak. Le second tour oppose le candidat islamiste des Frères musulmans, Mohammed Morsi, à l'ancien Premier ministre d'Hosni Moubarak, Ahmad Chafiq. Un scrutin crucial qui plonge l'Egypte dans l'incertitude.
D'autant que la Cour constitutionnelle a décidé jeudi d'invalider les résultats des élections législatives, remportées par les Frères musulmans, pour un vice dans la loi électorale. Les islamistes et les forces politiques issues de la mouvance "révolutionnaire" ont crié au "coup d'Etat" orchestré par l'armée au pouvoir. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) reprend en effet à son compte le pouvoir législatif, comme ce fut le cas dans la période entre la chute de Moubarak en février 2011 et les législatives un an plus tard. Assiste-t-on à une contre-révolution ? A quels scénarios s'attendre pour ce second tour sous haute tension ?
• Le candidat des Frères musulmans en perte de vitesse
Le candidat des Frères musulmans, Mohammed Morsi, n'aborde pas le scrutin en position de favori. Et sa victoire serait plutôt une surprise. Depuis les élections législatives de novembre 2011 et janvier 2012 qu'ils ont remportées, les islamistes ont multiplié les maladresses et perdu une partie de leur capital sympathie. Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes et auteur du Tsunami arabe, aux éditions Fayard, explique que les Frères musulmans ont fait preuve de "boulimie en présentant des candidats aux législatives partout, sans respecter la part de candidats indépendantistes, en voulant contrôler tous les pouvoirs". Résultat : "Ils ont beaucoup déçus, leur 'clientèle' a fondu entre les législatives et la présidentielle, leurs performances n'ont pas été à la hauteur de leurs attentes", indique le politologue qui ne croit pas à une victoire de Morsi. D'autant que ce dernier est un "candidat qui a peu de crédit, un candidat de remplacement, sans charisme", affirme-t-il.
Pour Hasni Habidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, le risque de déclin du pays et l'insécurité qui règne en Egypte ne sont pas des thèmes qui favorisent les Frères musulmans. En cas de victoire de Mohammed Morsi, celui-ci risque de se retrouver face à une "mission quasi-impossible". "Difficile de gouverner avec le Conseil supérieur des forces armées plus fort que jamais, l'échéance de nouvelles élections législatives et une constitution qui reste à mettre en chantier...", résume le spécialiste du monde arabe.
• L'ex-Premier ministre de Moubarak en bonne posture
C'est le favori de ce second tour : l'ancien Premier ministre d'Hosni Moubarak et ancien général Ahmad Chafiq. "Il a toutes les chances de l'emporter car les Egyptiens ne supportent pas le chaos des 18 derniers mois et ils ne peuvent pas supporter la misère économique, la fuite des investisseurs, des capitaux, des touristes... Les Egyptiens sont très sonnés par tout ça, il y a un grand désir de stabilité", affirme Antoine Basbous. Et le pilier de l'ancien régime a promis le "retour à l'ordre, la grandeur retrouvée du pays..." Des thèmes où il apparaît "crédible".
"Le changement, avec l'armée qui a le pouvoir législatif et Chafiq la présidence, ça serait un retour à l'ancien régime. Il y aurait changement car ce retour se ferait par les urnes", note Hasni Habidi.
• Et après, le chaos ?
L'issue du scrutin va-t-elle provoquer le chaos et pousser les Egyptiens dans la rue ? L'incertitude demeure selon les experts. Même si dans le cas de l'élection du favori, l'ex-général Ahmad Chafiq, on risque de se retrouver devant une impasse. "Les islamistes vont crier au scandale et à la manipulation, prévient Hasni Habidi. On peut craindre des dérapages et un retour à la case départ, c'est-à-dire aux événements du 24 février 2011 [jour de la chute de Moubarak]. Même si cela reste difficile de prévoir les réactions de la rue."
Pour Antoine Basbous, l'élection de l'ancien pilier du régime Moubarak pourrait créer quelques troubles mais l'expert ne croit pas au chaos. "Les Egyptiens sont usés par l'instabilité, l'insécurité. Et Chafiq a promis le retour de l'ordre, il en a les moyens. La police a disparu des rues du Caire et des grandes villes... Les gens aspirent à son retour et à la sérénité", explique-t-il. Par ailleurs, à peine élu, le nouveau président égyptien va devoir gérer une situation inédite, comme le souligne Hasni Habidi. "Nous allons avoir un président de la République élu par le peuple, sans Parlement, sans assemblée constituante. Que va-t-il pouvoir faire ?"
• Une révolution pour rien ?
En cas de victoire d'Ahmad Chafiq, la totalité des pouvoirs se retrouverait entre les mains de l'ancien régime et de l'armée. Un an et demi après la révolution qui a écarté Hosni Moubarak, cela ressemblerait fort à un retour en arrière, note Libération. "La contre-révolution aura gagné, concède Hasni Habidi. Ce ne serait pas surprenant. Dans les mouvements de transition, le retour à l'autoritarisme est fréquent. Mais en Egypte, les acquis politiques et sociaux de la révolution restent là."
Malgré tout, les révolutionnaires de la place Tahrir ont obtenu des avancées irréversibles, aux yeux d'Antoine Basbous. "Aujourd'hui, les places égyptiennes peuvent se remplir d'un instant à l'autre. La contestation est autorisée, le multipartisme est là, les islamistes sont un contre-pouvoir... La société peut respirer, c'est ce qui fait la différence avec l'époque de Moubarak et le retour en arrière paraît impossible", estime-t-il. Et Hasni Habidi résume : "On assiste à une "transition à l'égyptienne, comme un véritable feuilleton égyptien, c'est un peu chaotique..."
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