Complément d'enquête. Kerviel : au cœur du mensonge
Le vent serait-il en train de tourner en faveur de Jérôme Kerviel ? Après deux premières victoires de l'ancien trader contre la Société générale, "Complément d'enquête" rediffuse le 30 juin un document contenant plusieurs témoignages chocs, où il livre sa version des faits.
Après la diffusion de ce document, Nicolas Poincaré recevait Jérôme Kerviel.
Nouveaux rebondissements dans l'affaire Kerviel. Le vent serait-il en train de tourner en faveur de l'ancien trader ? Après une première victoire judiciaire − le 7 juin, le Conseil des prud'hommes a condamné la Société générale à lui verser 450 000 euros pour l'avoir licencié sans "cause réelle ni sérieuse" et dans des conditions "vexatoires" − il pourrait ne pas avoir à payer les 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts que lui réclame la banque. En appel, le parquet a requis le 17 juin le rejet de cette demande ; la cour devra trancher le 23 septembre.
"Complément d'enquête" rediffuse le 30 juin 2016 un document de janvier dernier. Jérôme Kerviel était alors de retour au tribunal correctionnel pour demander l'annulation du jugement de 2012. Accusé d’avoir fait perdre presque 5 milliards à la Société générale, il a été condamné à trois reprises à cinq ans de prison, dont trois ferme. Huit ans après, c'est lui qui portait plainte contre la banque..."Tout le monde savait", c'est ce qu'il maintient depuis le début. L'ancien trader a livré sa version des faits, point par point, à Samuel Humez. Elle était appuyée par plusieurs témoignages clés, dont celui de Nathalie Le Roy, la commandante de la brigade financière, qui a pu faire basculer le dossier.
Une "guerre de communication"
L'enquête replace l'affaire dans le contexte des années 2000, quand les traders sont rois. Et retrace l'histoire d'une fuite en avant jusqu'au "pari de trop". Du jour au lendemain, le petit Breton débarqué à la Société générale avec un simple DESS de finance, "mister Nobody" comme Kerviel se définit lui-même, devient l’ennemi public numéro un, celui qui a volé 5 milliards.
Son visage à la une de tous les journaux, le trader fait son mea culpa à la télévision à une heure de grande écoute. L’affaire déchaîne les passions : l’ancien communicant de Jean-Marie Messier va même travailler gratuitement pour l’accusé. Christophe Reille raconte pour "Complément d’enquête" une "guerre de communication" contre la Société générale. Et comment il a obtenu cette image, en mars 2008, d’un Kerviel sortant souriant de la prison de la Santé (par une porte dérobée) après sa détention provisoire. Une image qui va mettre en fureur la Société générale… Bataille médiatique gagnée.
Un combat judiciaire à rebondissements
Les soucis judiciaires, eux, s'amoncellent. C’est Nathalie Le Roy, commandante chevronnée de la Brigade financière, qui est chargée de l’enquête après la plainte pour fraude de la Société générale. La banque va "l'aider" à se forger sa conviction. "J’ai rédigé un rapport de synthèse à charge", reconnaît-elle face au journaliste de "Complément d’enquête".
Octobre 2010 : condamné à cinq ans de prison et à 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts, "une peine de mort sociale", Jérôme Kerviel est K.-O. Il décide de faire appel. Un deuxième round où il doit prouver que la banque savait, et a laissé faire. Il recourt à un nouvel avocat, David Koubbi. Cette fois, c’est Kerviel qui porte plainte contre la banque, pour faux et usage de faux. Nathalie Le Roy rouvre sa propre enquête.
Des éléments troublants
L'enquêtrice et l'avocat racontent des échanges parfois vifs. Après une audition, Nathalie Le Roy croise David Koubbi, qui l’interpelle : si elle s’est trompée, va-t-elle "couvrir son erreur ou faire le job" ? Sa réponse à celui qu’elle traite dans son for intérieur de "chieur" : elle fera son travail… Et examinera les pièces inédites dénichées par l’avocat.
Parmi ces pièces, huit heures d'enregistrement de l'interrogatoire infligé à Kerviel par la Société générale une fois les pertes découvertes, le week-end des 19 et 20 janvier 2008. Selon l'avocat, plus de deux heures auraient été effacées… A l’époque, des blancs inexpliqués dans des extraits publiés par le site Mediapart avaient fait douter l’enquêtrice. La Société générale nie, et un rapport d'expertise établit que les enregistrements n'ont pas été falsifiés.
Des témoignages qui accusent la Société générale
Mais d'autres éléments accusent la banque, comme le témoignage d'un ingénieur de la Fimat, filiale de la Société générale. En 2007, il remarque un volume d'activité énorme générée par le compte SF581, celui d'un certain... Jérôme Kerviel. Mais celui-ci, une vraie "cash machine", dégage des résultats exceptionnels. Champagne à gogo et félicitations par mails s'ensuivent – des mails introuvables. Nathalie Le Roy interroge le responsable du courrier informatique de la Fimat : a-t-il reçu l'ordre de les supprimer ?
Il y a aussi ces très exceptionnelles "indemnités" versées aux anciens du desk Delta One, les collègues de Kerviel, tous virés. Le prix du silence ? "Complément d'enquête" a interrogé son ancien supérieur, qui a chargé l'ex-trader lors du procès : a-t-il perçu 1 million d'euros ? Enfin, le plus gros scandale de l'affaire Kerviel reste peut-être cette ristourne fiscale de 2,2 milliards d'euros accordée à la banque sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Un "coup de pouce" face à des pertes de 4,9 milliards – jamais questionnées par une enquête indépendante.
Après la diffusion de ce document, Nicolas Poincaré recevait Jérôme Kerviel.
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