Guerre au Proche-Orient : pourquoi le président turc est-il si discret sur le Liban ?

Recep Tayyip Erdoğan se veut le défenseur de la cause palestinienne et il est l'un des plus virulents critiques d'Israël. Pourtant, la réaction est complètement différente dans le cas du Liban.
Article rédigé par Marie-Pierre Vérot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan lors d'un déplacement en Serbie, le 11 octobre 2024. (ANDREJ CUKIC / MAXPPP)

Depuis un an, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, tonne contre Nétanyahou, le "boucher de Gaza", "criminel de guerre", auteur d’un "génocide". En fervent défenseur de la Palestine, il vitupère contre l’inaction de la communauté internationale. Mais il est beaucoup plus discret sur le Liban. Cette différence de traitement de la part d’Ankara face aux deux guerres que mène Israël s’explique par les relations compliquées qu’elle entretient avec l’Iran et ses "proxies" dans la région, au premier rang desquels le Hezbollah libanais.

Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, était un frère. À l'annonce de sa mort, trois jours de deuil national ont été décrétés en Turquie. Ici, le Hamas n'est pas considéré comme une organisation terroriste, mais comme un mouvement de libération : il dispose de bureaux en Turquie et les autorités turques rencontrent régulièrement ses représentants. Le président turc se voulait d’ailleurs médiateur dans le conflit à Gaza, mais ses poussées de fièvre contre un Nétanyahou "génocidaire qui le paiera" l’ont disqualifié pour jouer ce rôle de faiseur de paix.

La réaction est complètement différente dans le cas du Liban. Lors de l’assassinat de Hassan Nasrallah, le président a mis quelques heures avant de réagir et il n’a nullement nommé le chef du Hezbollah, fustigeant juste l’agression contre un pays souverain, le Liban, et s’inquiétant des répercussions régionales de l’extension du conflit. Pas de deuil non plus.

En fait, l’affaiblissement de l’Iran chiite n’est pas pour déplaire à la Turquie sunnite. L’Iran est son rival dans la région. La Turquie et l’Iran étaient d'ailleurs dans deux camps opposés durant la guerre civile en Syrie. Les troupes turques ont plusieurs fois combattu les membres du Hezbollah venus défendre le président Assad, alors que la Turquie soutenait l’opposition.

La crainte d'une escalade entre l’Iran et Israël

Cette guerre a eu des conséquences très directes sur la Turquie voisine. Ankara n’a pas oublié que c’est le soutien de l’Iran au président syrien Assad qui a poussé à l’exil en Turquie plus de trois millions de ressortissants syriens. Leur présence pèse de plus en plus sur la population et, dans un contexte de crise économique exacerbée, elle reste un enjeu électoral. La Turquie les renvoie d’ailleurs par milliers sous couvert de retours volontaires. Autant dire que si la Turquie dénonce la violation de la souveraineté du Liban et les massacres qui y sont commis, elle se garde d’apporter sa sympathie ou son soutien au Hezbollah, préférant parler du peuple libanais. Ankara craint aussi une extension du conflit chez ses voisins : l’Irak, mais surtout la Syrie où l’armée israélienne intensifie ses frappes contre les intérêts iraniens. Avec à la clef le risque d’une nouvelle vague de réfugiés.

Partageant trois frontières terrestres avec l’Iran, l’Irak et la Syrie, la Turquie tente de mener une diplomatie au cordeau. Elle se veut un îlot de stabilité dans une région troublée et insiste sur sa priorité : résoudre les conflits par la diplomatie et non la guerre. Elle tient donc une ligne fine d’équilibre : dénoncer la guerre au Liban et les actions d’Israël dans la région, sans toutefois soutenir l’ennemi de l’État hébreu, l’Iran. Mais le risque d’escalade entre l’Iran et Israël l’inquiète au plus haut point. Le chef de la diplomatie iranienne doit d’ailleurs venir en Turquie pour s’en entretenir.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.