"Je ressens une fragilité et une force immense" : une proche de victimes du Hamas raconte comment sa vie a changé depuis le 7 octobre

Le cousin d'Eve Hohman et sa fille aînée ont été tués lors de l'attaque de leur kibboutz. Sa femme et trois de ses enfants sont restés otages des terroristes pendant 51 jours. La jeune Française raconte la "torture" de l'attente, "l'angoisse, la peur, le désarroi, la tristesse". Elle confie aussi désormais cacher sa confession, effrayée par les "discours violents" qu'elle entend.
Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le kibboutz de Kfar Aza, en Israël, où une partie de la famille de Eve Hohman a été massacrée le 7 octobre et l'autre enlevée. (DIMA VAZINOVICH / MIDDLE EAST IMAGES / AFP)

25 novembre 2023, Eve Hohman une jeune française exprime au micro de franceinfo son espoir de voir ses proches otages du Hamas depuis le 7 octobre libérés. "c'est une torture, on n'y croit pas tant qu'ils ne sont pas là. Mais il y a un peu d'espoir, on essaye de s'accrocher à ça" confie-t-elle.

La veille, le 24 novembre, 13 premiers otages sur les 252 que le Hamas a kidnappés le 7 octobre après avoir massacré près de 1 200 personnes sont rentrés chez eux. Mais les libérations ont été reportés plusieurs fois. Eve, dont la vie à Paris est suspendue depuis l'attentat en Israël, espère pouvoir revoir vivants, sa cousine et ses trois petits cousins âgés de 17, 11 et 9 ans qui ont été enlevés après avoir réchappé de la tuerie dans leur kibboutz de Kfar Aza, situé à quelques kilomètres de Gaza. Le mari de sa cousine et la fille aînée du couple ont été tués. Les quatre proches d'Eve seront finalement libérés le 26 novembre après 51 jours de captivité.

Ces derniers mois, Eve est allée leur rendre visite trois fois en Israël, des retrouvailles extrêmement émouvantes ponctuées de leurs témoignages sur l'horreur qu'ils ont enduré pendant leur captivité. Eve s'est fixé une règle : "Je ne pose aucune question. C'est vraiment un code de conduite qu'on a tous dans la famille. S'ils nous parlent, évidemment, on les écoute, on est là. Ils ont énormément témoigné. J'ai tout lu, j'ai tout regardé. J'ai conscience de ce qu'ils ont vécu. Je pense qu'ils ne disent pas tout. Mais ça les regarde."

Les "bras d'une maman" pour de jeunes femmes traumatisées, toujours otages

Ses proches lui ont raconté qu'ils ont changé plusieurs fois de lieu pendant leur captivité. "Au début c'était dans des maisons de particuliers et ensuite dans les fameux tunnels". Ses proches ont détaillé "l'absence de lumière permanent, l'humidité, l'absence de nourriture". Un récit a touché Eve en particulier, "c'est ce qui les a le plus marqué eux aussi. Ils ont rencontré des jeunes femmes seules, qui étaient blessés, qui avaient subi des agressions, notamment sexuelles, et qui pour la première fois voyaient une maman, ma cousine. C'étaient de toutes jeunes femmes, 19 ans, 20 ans, 21 ans, et elles pouvaient enfin être dans les bras d'une maman et se confier à elles. Malheureusement, elles sont encore là-bas. Ma cousine et sa fille sont hantées par ça". 

La nuit du 7 octobre a eu un impact sur la vie d'Eve. Il y a un avant et un après. "Je ressens une fragilité immense et une force immense. Je me sens complètement différente, d'une certaine manière je peux dire brisée, même si ce n'est évidemment rien comparé à ce qu'ils ont vécu. Mais en tout cas, il y a un torrent d'émotions, d'angoisses, de peur, de désarroi, de tristesse de voir où en est le monde, où on est, dans cette région du monde. La guerre qui a suivi, les drames qui se succèdent, c'est chaque jour un nouveau coup de couteau qui nous est planté dans notre cœur à tous. Et puis la force, parce que je suis encore debout aussi". Debout, car l'attaque terroriste et la captivité de ses proches l'a "mise à terre". Elle y pensait nuit et jour : "J'étais complètement abattue, je travaillais comme je pouvais, mais vraiment j'étais une autre personne. Et après, il y a eu une forme de post-trauma".

"Parfois, je ne dis plus que je suis juive"

Le contexte politique et géopolitique et notamment les divisions et fractures dans la société française autour de ce conflit sont pour Eve, "extrêmement difficiles à vivre" confie-t-elle, "parce que même moi, j'ai l'impression, alors que je suis touchée personnellement de très près, de réussir à garder une forme de nuance, à être capable de compatir pour les otages et pour les victimes de la guerre, d'appeler de mes vœux les plus chers à un cessez le feu, à ce que cette guerre s'arrête et à la libération des otages. Et quand je vois que des gens qui sont très éloignés ont un discours si violent, ça me dépasse, ça me bouleverse, ça me choque".

Elle avoue elle-même, "faire attention maintenant ce que je ne pensais pas faire un jour en France". Elle précise d'un air grave que concrètement cela signifie que parfois "je ne dis plus que je suis juive". Eve dit faire attention par peur d'une agression ou d'être jugée mais insiste aussi sur les multiples soutiens qu'elle a reçus et dit avoir été très touchée par les différents rassemblements contre l'antisémitisme le 12 novembre, 182 000 personnes, dont 105 000 rien qu'à Paris.

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