Inégalités salariales dans les entreprises du CAC 40 : "Un écart qui est délirant", dénonce Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France

Pour réduire ces écarts, "il faut une loi", plaide mardi Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France, alors que l'ONG révèle dans un rapport qu'en 2022, les patrons du CAC 40 ont gagné en moyenne 130 fois plus que leurs salariés.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
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Temps de lecture : 8min
Cécile Duflot le 30 avril 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

L'ONG Oxfam publie mardi 30 avril son rapport annuel. Il dénonce des écarts salariaux "indécents" entre les employés et les patrons du CAC 40, Teleperformance, Carrefour et Stellantis sont en tête. "130 fois plus, ce n'est pas raisonnable par rapport aux efforts fournis par les uns et les autres", insiste Cécile Duflot. Le groupe Teleperformance, numéro un mondial des centres d'appels, est en tête du classement de l'ONG, son PDG, Daniel Julien, gagne 1 453 fois plus que le salaire moyen dans son groupe. Carrefour arrive en deuxième position, son PDG, Alexandre Bompard, gagne 426 fois plus que le salaire moyen du groupe. Et Stellantis est en troisième position, son PDG, Carlos Tavares, gagne 341 fois plus.

Pour réduire ces écarts, "il faut une loi", plaide Cécile Duflot. Elle se dit notamment "d'accord" avec Carlos Tavares. Interrogé sur sa rémunération, cette année, le PDG de Stellantis a lancé : "faites une loi, modifiez la loi et je la respecterai". "Je pense qu'il y a un certain nombre de grands patrons qui ne sont pas hostiles à cette approche", estime la directrice d'Oxfam France.

Franceinfo : Votre ONG publie ce rapport chaque année, avec un écart qui s'accroît au fil des ans ?

Cécile Duflot : Avec un écart qui est délirant ! 130 fois plus, ce n'est pas raisonnable par rapport aux efforts fournis par les uns et les autres. Et ce qui est le plus inquiétant, c'est que si cet écart augmente, c'est parce que les dirigeants sont remerciés par les actionnaires de distribuer massivement des dividendes. Et si cette distribution de dividendes se fait, c'est au détriment des salariés.

On pourrait vous répondre que les dirigeants ont une rémunération qui augmente parce qu'ils tiennent leurs objectifs.

Ils tiennent des objectifs au profit des actionnaires, c'est ce que je disais. Et c'est là où le système marche sur la tête. Ce n'est plus l'intérêt de l'entreprise qui est en jeu, c'est l'intérêt des actionnaires et un intérêt qui est souvent purement financier et de très court terme.

Vous avez sur le podium Teleperformance, Carrefour et Stellantis. Ce n'est pas le même trio de tête que l'an dernier, ça évolue tous les ans ?

De façon étonnante - ou pas, Alexandre Bompard, le patron de Carrefour, est deuxième sur le podium, alors que les prix de l'alimentaire ont énormément augmenté, que les salaires dans le secteur ont été très contraints, y compris ceux de Carrefour. Et qu'il mène une politique sociale qui est une politique totalement aberrante, en tout cas pour l'intérêt des salariés, puisqu'il pousse à la franchise des magasins pour faire sortir les salariés des avantages du groupe. Dans le même temps, lui, il augmente massivement son salaire. Donc l'intérêt de l'actionnaire, là, c'est de faire pression sur les salariés. C'est inacceptable.

"Je pense que cet écart de salaire chez Carrefour et la position d'Alexandre Bompard illustrent la nécessité de réguler ces écarts de salaire et d'avoir un salaire maximum."

Cécile Duflot

sur franceinfo

Carrefour vous répond que vos calculs ne correspondent pas "à une quelconque réalité" parce qu'il rapporte la rémunération d'Alexandre Bompard à celle de ses plus de 300 000 salariés dans le monde, malgré des écarts de pouvoir d'achat entre pays. Que répondez-vous à cet argument-là ?

C'est un débat intéressant, ouvert de longue date par des ONG, mais aussi plus récemment de la part de Michelin, une entreprise privée, qui souhaite que tous ses salariés soient payés un salaire décent. Donc si Alexandre Bompard justifie son salaire en expliquant qu'il arrive à exploiter encore davantage des salariés en diminuant leur salaire dans un certain nombre de pays, on voit bien que la justification elle-même montre à quel point on a raison, c'est-à-dire à quel point ces écarts de salaire sont inacceptables et insupportables.

Le PDG de Stellantis, Carlos Tavares, est interrogé sur sa rémunération cette année. Il dit lui-même : "Faites une loi, je la respecterai".

On est d'accord avec Carlos Tavares. Et d'ailleurs, je pense qu'il y a un certain nombre de grands patrons qui ne sont pas hostiles à cette approche-là. Personne n'a besoin de gagner en quelques heures ce que gagne un salarié en un an, tout simplement parce qu'il y a des gens qui ont le sens de la mesure. On ne met pas tous les patrons du CAC 40 dans le même panier, mais c'est vrai qu'ils se comparent entre eux. Donc il dit justement "il faut une loi". Ça tombe bien, c'est ce qu'on dit. Avant l'existence d'un salaire minimum, il n'y avait pas de loi. Elle date de 1950.

"On peut très bien imaginer, aujourd'hui, une loi qui mette un salaire maximum et en particulier dans toutes les entreprises qui bénéficient des aides publiques."

Cécile Duflot

franceinfo

Une loi à l'échelle française, européenne ? Que doit-elle dire selon vous ?

On est favorables à une réglementation internationale, européenne, mais elle peut aussi d'abord être française. On l'a fait sur le devoir de vigilance, c'est-à-dire l'obligation pour les entreprises de faire attention à la manière dont travaillent leurs sous-traitants. On l'a fait d'abord en France, ça se généralise au niveau européen, donc on peut très bien être pionnier en la matière.

Il y a beaucoup de disparités dans les rémunérations et les écarts. Mais l'échelle n'est pas toujours la même, ce n'est pas toujours en milliers ?

Non, et notamment dans les PME, ce n'est pas du tout de cet ordre-là. Mais ce qu'on veut pointer, c'est justement que le CAC 40, qui tire une partie de l'économie et qui concerne aussi beaucoup d'emplois parce qu'on parle de très grandes entreprises, est en train d'être déraisonnable à double titre. À l'égard d'une politique sociale et de la lutte contre les inégalités, en accroissant ces inégalités, en distribuant la valeur créée par les salariés, massivement aux actionnaires, dans cette espèce de pacte faustien, avec une augmentation des rémunérations des grands patrons. Mais parallèlement, ils n'investissent pas suffisamment dans la transformation écologique de leur modèle, dans la transition énergétique de leurs activités et donc qui sont dans une logique très court-termiste. Donc nous voulons remettre de la régulation et de la mesure, quitte à passer par une obligation… D'ailleurs, Carlos Tavares le dit bien, probablement, on ne peut pas le décider nous-mêmes.

"Si c'est une obligation légale, Carlos Tavares s'y pliera et c'est très bien. Il faut que ce débat soit pris en charge par les responsables politiques, par Bruno Le Maire."

Cécile Duflot

franceinfo

Vous mettez aussi en lumière dans ce rapport des inégalités de genre parmi les patrons et les patronnes du CAC 40.

Oui, d'abord, on met en avant le fait qu'il y a plus de patrons du CAC 40 qui ont "Jean" dans leur prénom qu'il n'y a de femmes. Cette situation, elle dure depuis longtemps, elle perdure et elle n'avance pas. Et elle dit aussi quelque chose du fait que la manière dont on dirige ces très grandes entreprises, c'est un entre-soi. Et il nous semble absolument important d'aller au-delà des obligations qui ont été faites de parité dans les conseils d'administration. Parce que mettre de la diversité, lutter contre les inégalités, c'est le faire à tous les niveaux, y compris au sommet des entreprises.

Vous demandez aussi une taxe sur les superprofits. Le débat revient régulièrement sur la table. Bruno Le Maire, le ministre des Finances, a fermé la porte en disant qu'il y avait suffisamment d'impôts en France. Le regrettez-vous ?

C'est irresponsable.

"Dans le même temps, Bruno Le Maire dit qu'il faut faire des économies sur les chômeurs, sur la santé… C'est indécent et ça crée une très grande tension dans le pays. "

Cécile Duflot

sur franceinfo

On a vu ce qui s'est passé avec le mouvement contre la réforme des retraites, qui était une réforme financière. Tout le monde l'a bien vu. Donc dire qu'on va faire payer les plus pauvres et toutes les classes moyennes, mais laisser les superprofits tomber dans l'escarcelle des actionnaires via les dividendes, alors même que ces entreprises ont été massivement aidées pendant la crise Covid - et on a soutenu cette politique de rachats d'actifs, de chômage partiel massivement subventionné - ça veut dire que quand on vient dans une bonne situation et quand on bénéficie de profits indécents, on redistribue.

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