Cet article date de plus de deux ans.

"Ils investissent dans l'économie" : en Crimée, les habitants choisissent la Russie dans la crise avec l'Ukraine

Alors que les tensions sont toujours vives entre la Russie et les Occidentaux sur la question de la crise en Ukraine, franceinfo s'est rendue en Crimée. La région ukrainienne, annexée par la Russie en 2014, est largement acquise à la cause de Moscou.

Article rédigé par franceinfo, Sylvain Tronchet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Oleg, un Criméen de 16 ans qui apprend le Français. (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE)

Moscou et Washington continuent d’échanger coups de téléphones et menaces à propos de la crise en Ukraine. Mardi 1er février, les États-Unis ont même demandé le départ des familles de diplomates américains en Biélorussie. Ils accusent la Russie de préparer "une attaque" de l'Ukraine, via des troupes massées à la frontière, alors que Moscou affirme se défendre contre toute expansion de l'Otan. Pour tenter de comprendre les enjeux de ce conflit, franceinfo s'est rendue en Crimée, où les habitants connaissent bien les intérêts des deux camps puisque cette région appartenait à l'Ukraine, avant d'être annexée par la Russie en 2014.

Cette annexion s’est déroulée sans aucune difficulté : la Russie avait déjà en Crimée sa grande base navale, Sébastopol, qu'elle louait à l'Ukraine. "Nous avons de nombreux navires qui contrôlent la zone de la mer Noire, y compris nos sous-marins indétectables au radar", nous explique ainsi Alexandre, qui nous fait visiter la flotte de la mer Noire, des navires de guerre actuellement en état d'alerte. "Cette flotte a toujours été implantée ici et, de tous temps, la Crimée et Sébastopol ont suscité la convoitise. Mais, dommage pour [les Ukrainiens], la flotte restera ici pour toujours."

Carte des forces militaires autour de l'Ukraine (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Ici, la plupart des habitants sont russophones et beaucoup disent qu'ils se sont toujours sentis Russes. Même si elle bafouait le droit international, l’annexion de la Crimée par la Russie a été bien accueillie par la majorité des habitants. "L'intervention des militaires russes ici ne m’a pas fait peur", se souvient ainsi Anastasia, une professeure de Yalta. "Ça m’a rendu heureuse, parce que pour nous, c’était une protection."

Des habitants plutôt pro-russes

Les habitants, ayant un lien évident avec les deux pays, vivent, cette fois, assez mal la crise en cours entre Washington et Moscou. Quand les pays occidentaux désignent la Russie comme l'agresseur potentiel, les habitants de Crimée se voient comme les agressés. Ils n'apprécient absolument pas le gouvernement de Kiev. 

"La politique que mène le gouvernement ukrainien n’a aucun avenir. Les gens là-bas sont formidables et il est vraiment dommage que les choses se passent comme ça", regrette ainsi Volodia, un retraité de Sébastopol. "La russophobie est responsable de tous leurs problèmes. Pour moi, il faudrait peut être regarder ailleurs." Ailleurs, cela veut dire nettement plus à l'Ouest.

"Ce sont la France, l’Angleterre et l’Amérique qui provoquent la tension. Même l’Ukraine n’y est pour rien mais elle est dépendante de l’Amérique, vous comprenez ?"

Alexandre, quinquagénaire qui vit en Crimée

à franceinfo

La plupart des habitants semble donc avoir choisi le camp russe. Il faut dire que Moscou a tout fait pour. En effet, depuis qu'ils ont annexé la Crimée, les Russes en ont fait une des régions les plus subventionnées du pays. "Ils investissent dans l’économie, c’est visible", se félicite ainsi Elena. "Avant, la ville était à l’abandon, c’était honteux. C’était très dégradé, il n’y avait pas d’école maternelle. Maintenant, ils en construisent ainsi que d’autres équipements publics. Ça nous apporte du bien-être."

De nombreux habitants considèrent ainsi l'Ukraine comme un état défaillant et voient dans la Russie des opportunités. "Si l’histoire s’était déroulée autrement et que la Crimée était restée ukrainienne, je pense que je serai parti à l’étranger, comme beaucoup d’Ukrainiens le font toujours aujourd’hui", raconte Ivan, un guide touristique de Yalta. "Beaucoup de mes amis de Kharkiv, ou d’autres villes ukrainiennes, essaient d’obtenir un passeport russe pour pouvoir déménager en Russie."

Sur un bâtiment public, une citation de Vladimir Poutine : "Sebastopol est la capitale patriotique de la Russie". (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE)

Il y a même de plus en plus de Russes "du continent" qui viennent s'installer en Crimée. Evgueniya est ainsi arrivée il y a trois ans avec mari et enfants, malgré les sanctions internationales qui frappent le territoire. Elle voulait fuir la pollution de sa ville de Sibérie : "Les conditions environnementales à Krasnoïarsk n’étaient pas bonnes pour la santé de notre fille. Je n’ai pas réfléchi au fait que la situation de la Crimée était particulière, se souvient-elle. Je ne m’intéresse pas à la politique mais nous n’avons pas l’impression d’être à l’étranger et nous nous sentons totalement en Russie."

La peur d'un conflit armé

Dans l'esprit de tous ces habitants, qui ne sont pas des militants mais des citoyens lambdas, il paraît impensable que la Crimée redevienne ukrainienne un jour, alors que ce serait pourtant le sens du droit international. Ils vivent mal la perspective d'une potentielle guerre avec l'Ukraine. Ils sont tiraillés entre deux cultures, à l'image d'Oleg, un Criméen de 16 ans qui étudie le français. 

"Je parle parfaitement l'ukrainien mais ma langue maternelle est le russe. De ce point de vue, je suis Russe. Mais mes parents viennent de villes ukrainiennes donc je ne peux pas dire si je suis plutôt Russe ou Ukrainien."

Oleg, Criméen de 16 ans.

à franceinfo

Une guerre entre les deux pays ? "Inadmissible", d'après lui. Ici, personne ne semble d'ailleurs croire à l'hypothèse d'un conflit militaire même si une guerre qui ne dit pas son nom est en cours non loin d'ici, dans le Donbass, à l'est de l'Ukraine. Cette guerre a déjà fait 15 000 morts, dans l’indifférence quasi générale de l’Occident.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.