"Un exercice passablement inutile" : l’efficacité du traçage des cas contacts à la française remise en question
Le traçage des cas contacts, ou contact-tracing, est censé limiter au maximum la diffusion du virus en identifiant puis en isolant les malades et leurs contacts. Mais pour beaucoup, le dispositif est jugé inefficace pour enrayer l'épidémie de Covid-19.
C'est l'un des piliers de la stratégie sanitaire française du "tester-tracer-isoler" : le traçage des cas contacts, ou contact-tracing. Il intervient lorsqu’une personne est déclarée positive au Covid-19. Après un petit interrogatoire sur les personnes croisées récemment, l’Assurance maladie prévient les cas contact pour tenter de casser les chaînes de contaminations. Tout repose sur la rapidité d’exécution mais aujourd’hui, "on va beaucoup trop lentement", regrette l'épidémiologiste Catherine Hill, alors que "le virus va vite".
"La plupart des gens sont contagieux 10 à 12 jours et sont symptomatiques autour du cinquième jour, rappelle Catherine Hill. On les teste en moyenne deux jours après les symptômes et on leur donne encore les résultats un jour après. Donc cinq jours pour les symptômes, deux jours pour le test, un jour pour le rendu du test... Ça fait huit jours qu'ils sont contagieux quand on leur dit qu'ils sont contagieux. C'est seulement à ce moment-là qu'on cherche leurs contacts. Tout ça ne marche pas du tout."
En plus de cela, on ne retrace que la partie émergée de l'iceberg, explique Catherine Hil, c’est-à-dire les personnes symptomatiques, testées positivement. Or, environ 50% des personnes positives au Covid-19 sont asymptomatiques. Il y a donc quantité de cas positifs qui échappent au contact-tracing. "Le bilan des opérations, c'est que les cas qu'on trouve sont une toute petite fraction des cas, conclut Catherine Hill. Le virus circule largement d'une façon cachée. Du coup, la recherche des cas contacts est un exercice passablement inutile."
Certaines études affirment que les tests et le contact-tracing permettent de ne trouver qu’un cas de coronavirus sur trois. Le traçage est pourtant la seule alternative aux tests massifs, à l’échelle d’une ville ou d’un territoire. Effectués régulièrement, ils permettraient de mieux repérer les asymptomatiques mais cette solution nécessite d’importants moyens techniques et financiers.
Les limites du traçage par téléphone
En revanche, pour les patients repérés par l’Assurance maladie, le contact-tracing fonctionne bien. 95% des patients sont contactés par téléphone et 96 % des cas contacts prévenus. Certaines chaînes de contamination sont donc brisées même s’il reste encore quelques angles morts. "C'est toute la limite de l'accompagnement téléphonique, on est à distance", reconnaît Stanislas Rebaudet, épidémiologiste à l'hôpital européen de Marseille. "On n'arrive pas forcément tout le temps à joindre les personnes au téléphone, explique Stanislas Rebaudet. On sait qu'il y a un certain nombre de familles qui ne répondent pas au téléphone ou alors qui ont des lignes téléphoniques qui ne fonctionnent plus. Les familles les plus précaires, notamment, fonctionnent beaucoup avec des cartes prépayées, des forfaits éphémères. Puis, il y a les problèmes de langue et les problèmes de compréhension globale des messages qui sont diffusés. On touche là clairement aux limites de ce qui peut être fait par téléphone. Et c'est pour ces cas-là qu'il y a évidemment une plus-value à un accompagnement physique, beaucoup plus personnalisé."
Face à cette problématique, Stanislas Rebaudet et le Pr Piarroux ont développé le dispositif Covisan : des professionnels de santé qui effectuent des visites à domicile, des propositions de relogement, des livraisons de courses pour les personnes isolées. Covisan fonctionne depuis plusieurs mois à Marseille et Paris et est en train d'être élargi au reste de la France.
Des services de l'Assurance maladie "déshabillés"
Le dispositif de contact-tracing est critiqué jusqu’au sein de l’Assurance maladie. Certains syndicats ont été agacés que des plateformes de traçage aient été mises en place quasiment du jour au lendemain. 8 000 agents ont ainsi quitté leur service d'origine sans être remplacés, pour rejoindre les brigades de traçage. "On a déshabillé des services, regrette Sylvianne Thiébaut, de la CGT Assurance maladie. Ça a été surtout des salariés qui travaillaient dans des services de précarité, par exemple ceux qui gèrent l'absence de perte de droits pour les assurés précaires. Il y a des assurés sociaux qui n'ont pas eu de paiements d'indemnités journalières parce qu'il y avait trop de retard pour pouvoir assumer la charge de travail."
L'Assurance maladie a finalement embauché 5 800 CDD pour ces brigades Covid mais 3 000 agents en CDI n'ont toujours pas retrouvé leur service d'origine.
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