Pierre Assouline : "Moi aussi, je suis de la chair à psychologue"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 9 septembre 2024 : l’écrivain et journaliste Pierre Assouline. Il vient de publier "Comment écrire" aux éditions Albin Michel.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Pierre Assouline, journaliste et écrivain, à Monaco, le 23 mars 2022. (JEAN FRAN?OIS OTTONELLO / MAXPPP)

Pierre Assouline est écrivain, journaliste, membre du jury Goncourt depuis 2012 et enseignant d'écriture littéraire à Sciences-Po depuis 25 ans. Il est l'auteur d'une quarantaine de livres, parmi lesquels beaucoup de biographies consacrées notamment à Marcel Dassault, Georges Simenon, Albert Londres ou encore Hergé. Au commencement, il y a eu le journalisme, puis il y a eu l'écriture, la littérature. Aujourd'hui, il publie Comment écrire aux éditions Albin Michel ou un condensé nourrissant et éclairant avec les conseils techniques et secrets des meilleurs écrivains français et étrangers.

franceinfo : Comment écrire s'ouvre sur deux citations. L'une d'elles est signée Robert Pinget : "Écrire pour moi, c'est respirer, tout ce qu'on peut en dire d'autre est du baratin". Que vous procure l'écriture ?

Pierre Assouline : Pour moi, c'est naturel. Je ne vous dirai pas que j'ai commencé à cinq ans et que depuis j'en suis fou. Mais ça a d'abord été l'écriture journalistique. Je suis resté toute ma vie journaliste, à l'exemple des gens qui m'ont formé comme Philippe Tesson ou Bernard Pivot. Ce n'est pas seulement un métier, c'est un état d'esprit, un état d'âme. Et même en tant qu'écrivain, il y a de ça encore chez moi comme chez eux. Pour moi, c'est une activité double qui ne fait qu'une, c'est lire et écrire.

Vous revenez sur un conseil qu'on vous a donné de Roger Stéphane qui vous a dit que ce qui motivait un écrivain avant tout, c'était d'abord partir de ses secrets, de son secret. C'est quelque chose que vous avez réussi à conserver pendant très longtemps ?

Moi, je me suis toujours dit : il ne faut pas trop se révéler. Enfin, je l'ai fait progressivement. Et puis on se révèle quand même par rapport aux autres, par rapport à soi-même. Mais, c'est très difficile de garder ce qu'on estime être son secret toute sa vie parce qu'on s'en étrangle. Il faut sortir les secrets, surtout quand on est écrivain ou un artiste tout simplement.

C'est déjà fait pour vous ?

Pas totalement, mais progressivement, par petits bouts et ça me va très bien. Moi, je suis là sous l'influence de Georges Simenon, qui est une de mes passions littéraires. Simenon a toujours refusé de se faire psychanalyser parce qu'on lui disait : "Quand même, là, le dossier est chargé", ses rapports avec sa mère, tout ça. Et il disait : "Oui, mais le problème, si je le fais, je n'aurai plus rien à écrire, ça va me stériliser". Il avait peur de ça et je peux le comprendre. C'était aussi mon cas. Moi aussi, je suis de la chair à psychologue, mais comme la plupart des gens, on a tous nos névroses. J'ai gardé ça pour moi et ça m'a permis d'irriguer tout ce que j'écris, de stimuler et je m'en porte très bien finalement.

Vous êtes né à Casablanca. Que gardez-vous de cette enfance ? Parce que l'un des auteurs que vous citez dit que l'enfance permet d'écrire des livres.

"On écrit toujours par rapport à son enfance, on n'en sort pas. Qu'elle soit bonne ou mauvaise, brillante ou sombre, ce n'est pas la question."

Pierre Assouline

à franceinfo

C'est Saint-Exupéry qui disait : "On est de son enfance comme on est d'un pays" et évidemment, on est tous du pays de son enfance. Les écrivains, bien sûr. Par exemple, si vous quittez votre pays, et que vous partez très loin, ça vous suit. Il m'est arrivé de parler du Maroc, de mon enfance, mais ça, c'est un territoire. Mais ce qui est plus important, c'est le territoire de l'imaginaire et j'y suis toujours resté, c'est-à-dire quelque chose de lumineux. J'ai eu la chance d'avoir une enfance lumineuse, généreuse, avec des parents aimants. En fait, je suis un désespoir pour un psychologue sur ce plan parce que de ma petite enfance, je n'ai que des souvenirs extraordinaires.

Vous avez écrit beaucoup de biographies. N'êtes-vous pas d'abord un raconteur d'histoires ?

Mais tout écrivain ! Et ça a commencé avec Homère et ça continue. Je pars du principe qu'on raconte tous des histoires, même si tout est déjà dans la Bible et que ce qui n’y est pas est dans Shakespeare. Avec ça, vous avez fait le tour des passions humaines.

Avec évidemment toujours cette pointe de fiction qui est plus que nécessaire. Est-elle donc par excellence le lien de la liberté, de l'esprit ?

"La fiction est par excellence le territoire de la liberté de l'esprit."

Pierre Assouline

à franceinfo

Oui, parce qu'elle permet de dire tout ce qu'on veut. Évidemment, il y a toujours une limite. Sade a beau être dans la Pléiade, c'est encore controversé. Il y a eu quelques affaires là-dessus avec des romanciers depuis 30 ou 40 ans et encore plus maintenant dans la fiction, dans le roman. Mais finalement, globalement, on peut tout dire.

Justement, faites-vous partie des personnes qui considèrent qu'il faut séparer l'œuvre de l'artiste ?

Non, c'est un tout. C'est un tout. Ce qui n'empêche que je considère que Paul Morand est un sale type, mais un styliste exceptionnel. Et je le lis avec un plaisir fou. Je suis même jaloux quand je le lis parce que je me dis : qu'est-ce que j'aimerais écrire ainsi ! Et dans le même temps, connaissant parfaitement sa biographie et sa vie, je me dis toujours, mais quel sale type ! L'un n'empêche pas l'autre. Paul Morand, c'est la collaboration mondaine, c'est l'antisémitisme mondain, c'est le pire parce qu'il est sous le masque de la normalité.

Pour terminer à la dernière page, vous citez Anna Akhmatova. Arriver à la dernière page, mettre un point est-il le moment le plus difficile ?

Oui, parce qu’on se dit c'est le point final et après il n'y a plus rien. Mais quand même, le livre continue parce que c'est le lecteur qui écrit la suite. Donc ce n'est jamais fini. Il n'y a pas de point final à un livre.

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