"Les dessinateurs ont-ils plus de contraintes depuis 2015 ?" : Le vrai ou faux junior répond aux questions sur Charlie Hebdo

Alors que la France commémore les 10 ans de l'attentat contre le journal satirique, les collégiens interrogent le dessinateur Pierre Pauma, alias "Piet".
Article rédigé par Valentine Joubin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
L'édition de Charlie Hebdo du 7 janvier 2025, dix ans après l'attentat qui a visé la rédaction du journal satirique. (MARTIN LELIEVRE / AFP)

Dix ans après les attaques djihadistes de janvier 2015, plusieurs hommages ont eu lieu cette semaine pour rendre hommage aux victimes. Les cérémonies ont débuté mardi 7 janvier devant les locaux du journal satirique Charlie Hebdo où douze personnes dont huit membres de la rédaction ont été assassinés par les frères Kouachi, le 7 janvier 2015.

Pierre Pauma, alias "Piet", dessinateur pour le journal Le Monde ou France24 et membre de l'association Cartooning for peace, répond aux questions des élèves des collèges Jules Ferry à Sainte-Geneviève-des-bois dans l'Essonne, Émile Combes à Bordeaux, et André Derain, à Chambourcy, dans les Yvelines.

Des dessins "mordants"

Andrea : "Quel rôle jouait Charlie Hebdo avant l'attaque ?"

"J'ai envie de dire le même que maintenant, répond Pierre Pauma. C'est-à-dire que ça reste un journal satirique qui est central, qui est incontournable dans la presse satirique en France avec Le Canard Enchaîné et Siné Mensuel. Ce sont des journaux où la part du dessin de presse est plus importante que dans d'autres journaux et où, surtout, il y a une certaine liberté de ton. On se permet des dessins un peu plus mordants, un peu plus méchants que dans la presse traditionnelle et qui est plus courant en France que dans d'autres pays".

Charlie Hebdo menacé dès 2006

Octavia : "Pourquoi les terroristes ont attaqué Charlie Hebdo et pas un autre journal satirique ?"

Charlie Hebdo avait reçu des menaces dès 2006 après avoir publié des caricatures du prophète Mahomet, c'est-à-dire des dessins qui le ridiculisaient, qui faisaient de l'humour à propos du prophète de l'Islam. Ces caricatures avaient, au départ, été publiées dans un journal satirique danois. Charlie Hebdo voulait ainsi marquer son soutien à la rédaction de Jyllands-Posten et réaffirmer son droit au blasphème.

Après l'attentat, les enquêteurs ont retrouvé une vidéo dans laquelle les frères Kouachi, les auteurs de l'attaque, se félicitaient d'avoir "vengé le prophète". Il y a donc un lien direct entre la publication des caricatures et la préparation de l'attentat.

Des dessinateurs sous protection policière

Anna : "Quel impact cet attentat a-t-il eu sur le journal Charlie Hebdo ?"

Les impacts sont nombreux. Il y a évidemment le traumatisme physique et psychologique pour les membres de la rédaction qui ont survécu et dont certains ont été grièvement blessés.

Il a aussi fallu reconstituer une équipe. Dans cet attentat, Charlie hebdo a perdu huit membres de sa rédaction, dont cinq dessinateurs emblématiques : Cabu, Charb, George Wolinski, Tignous, Honoré. Cela n'a pas empêché le journal de continuer à paraître. Dès le 14 janvier 2015, une semaine après l'attentat, Charlie publiait un "numéro des survivants".

Et puis, il y a un autre impact, moins visible, mais qui fait partie du quotidien des membres du journal. Ils vivent en permanence sous protection policière, au travail, comme dans leur vie privée. Par ailleurs, ils ne doivent absolument pas révéler l'adresse des locaux. Elle est tenue secrète parce que Charlie Hebdo reçoit encore aujourd'hui des menaces de mort.

Les médias "plus réservés" que les caricaturistes

Eléonie : "Les dessinateurs de presse ont-ils plus de contraintes depuis 2015 et si oui lesquelles ?"

Clara : "Est-ce que c'est vrai que la France est moins libre depuis Charlie Hebdo ?"

"Au regard de la loi, estime Pierre Pauma, pour les dessinateurs de presse, je dirais qu'il n'y a pas eu de changement majeur. Au contraire, je pense que les pouvoirs publics ont été du côté des dessinateurs et ont rappelé à quel point la liberté d'expression, c'était fondamental. Et je m'en réjouis d'ailleurs, pour la suite".

En termes de "morale", le dessinateur estime que ses confrères et consœurs "dans leur immense majorité sont prêts à faire le travail, à parler de tous les sujets et pas forcément de manière très complaisante". "La question maintenant, poursuit-il, c'est : est-ce qu'il y aura toujours des médias ou des journaux qui seront prêts à publier ces dessins ? Et là, on s'aperçoit, nous, que les médias, avec lesquels on travaille, peuvent être parfois un peu plus réservés".

Des "petits cas de conscience"

Pierre Pauma est-il lui-même plus prudent depuis l'attentat de 2015 ? "Je ne pense pas. J'espère que non. Alors après, il y a toujours des petits cas de conscience qui peuvent arriver, sur des dessins. Où je me dis : si je le dessine comme ça, est-ce que ça va être perçu comme un dessin raciste ou est-ce que ça va être perçu comme un dessin sexiste ?"

"Avec le conflit israélo-palestinien, si on veut faire un dessin un peu critique sur Israël, est-ce qu'on ne risque pas d'être accusé d'antisémitisme ? Ce sont des questions qui peuvent arriver. En général, on s'arrange quand même pour être clair et savoir pourquoi on dessine quelque chose de telle manière."

Pierre Pauma, dessinateur

à franceinfo

Le point de départ d'une prise de conscience

Andrea : "Quel impact cette attaque a-t-elle eu sur les caricaturistes et journalistes en France et dans le monde ?"

Pierre Pauma : "Ce qui est certain, c'est qu'il y a eu un élan de solidarité assez inédit et qui a fait chaud au cœur des gens. Je pense à Charlie Hebdo, et même à tous les dessinateurs en général. Et puis c'est aussi le point de départ d'une nouvelle prise de conscience de la nécessité de défendre la liberté d'expression en France, mais aussi dans le monde. En France, c'était le point de départ aussi pour faire davantage représenter le dessin de presse dans l'éducation aux médias par exemple, à l'école".

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