Coronavirus : "Le journal des confinés, épisode 1" Aurélie, directrice de crèche et mère de deux enfants
Depuis lundi, franceinfo demande à des Français confinés chez eux de témoigner. Aurélie, directrice de crèche dans la Somme et mère de deux enfants en bas âge, raconte ses premiers jours en quarantaine, inquiète pour sa structure et pour son mari, qui se sent fiévreux.
"Je me sens toujours dans une situation étrange, à me demander comment on va tenir sur la durée." Comme pour 67 millions de Français, Aurélie vit le quatrième jour d'une situation grave, inédite. Depuis lundi, cette directrice de crèche et mère de deux enfants de 4 ans et 20 mois, habitant près d'Amiens (Somme), est "confinée". Une épreuve imposée par l'avancée de la pandémie de coronavirus Covid-19.
Voici son témoignage au cours de cette semaine hors norme.
Lundi 16 mars : "J'ai peur du confinement total"
9 heures. Je pars travailler, mon conjoint reste avec les enfants. Il est en congé, donc il peut les gérer comme un jour de week-end. Pour l'école... Il n'y a rien sur l'espace numérique de travail (ENT) pour le petit, en moyenne section. Sa maîtresse doit y mettre des choses. Je ne sais pas trop ce que ce sera...
L'ambiance est très, très bizarre en arrivant à la crèche. Elle est vide, alors que j'ai l'habitude d'y voir 20 enfants. Cela m'attriste énormément et me procure une sensation d'étrangeté. Je fais une machine et appelle la comptable. Comment ça va se passer pour les salariés ? Arrêt de travail ? Chômage partiel ? Je consulte les mails d'autres directrices de crèches. Elles aussi s'interrogent : elles veulent savoir si elles sont réquisitionnées ou non. Je réponds à des messages de parents soignants. Nous, nous ne sommes pas réquisitionnés. La préfecture ne m'a pas demandé d'ouvrir pour garder leurs enfants, alors je les redirige vers d'autres structures. Je fais une attestation pour un parent : oui, son enfant est bien en crèche, et oui, la crèche ferme.
Ma comptable me dit qu'on sera peut-être confinés.
Aurélie
Je pensais pouvoir venir ici de temps en temps, pour travailler seule... J'embarque les CV, car j'ai un recrutement à boucler, et des devis pour des commandes de mobilier. Je prends aussi les éléments pour des déclarations à la CAF, et mes codes pour accéder à mes espaces numériques. Une collègue vit juste à côté de la crèche. Elle pourra au moins relever le courrier et sortir les poubelles.
L'heure du déjeuner arrive. Avec les cas dans l'Oise, nous avions fait un tout petit peu de provisions et avons de quoi tenir quinze jours à la maison. Je passe l'après-midi chez moi, assez angoissée. J'ai peur du confinement total. Le fait que les magasins non-alimentaires ferment m'avait déjà bien stressé. Ça restreint nos libertés... Je veux savoir ce qu'il va se passer. Je pars faire une marche avec les enfants dans le village, c'est maintenant ou jamais. Juste pour un petit tour au parc, sans croiser personne.
Mon conjoint est parti (avec des gants) faire des courses dans un grand supermarché du coin. "C'est l'apocalypse !", nous lâche-t-il en plaisantant à son retour. Il y avait énormément de monde et un filtrage à l'entrée – les gens, certains étaient masqués, ne pouvaient rentrer que quand d'autres sortaient. Certains comportements étaient pour lui ridicules : des gens, nous dit-il, faisaient très vite leurs courses mais ne respectaient pas les gestes barrière !
Des rayons vides. Plus de conserves, de poulet ou de viande hachée. Il a pris l'avant-dernier paquet de pâtes. Bon, il a trouvé des choses mais pas ce que je lui avais demandé ! Ses courses sont raisonnables. Et puis, j'avais fait des courses pour la crèche, on se les est partagées entre salariés.
Il est 20 heures. Je regarde l'allocution de Macron seule, vue mon angoisse. Le confinement. Je m'y attendais, j'avais stressé tout l'après-midi. Il y a quand même de la sidération : on en est là. En fait, le danger est vraiment important si de telles mesures sont prises. Mon compagnon n'a pas écouté : il essaie d'être discipliné et joue la carte de l'humour.
J'appelle mes parents. Ils sont à risques, ma mère a des problèmes respiratoires. Ils vont bien, juste déçus d'avoir dû rentrer de vacances, et inquiets. C'est complètement inédit de ne pas avoir le droit de sortir, d'avoir des contrôles de police. C'est très étrange.
Mardi 17 mars : "On alterne pour le télétravail dans le bureau"
Mardi matin. On se lève plus ou moins comme d'habitude, vers 7h30. Petit-déjeuner classique, les enfants se préparent comme un jour de semaine normale. Toujours pas d'accès à l'ENT... Je propose des petits exercices à mon fils. Des séries de points de couleur à recopier. Jaune, bleu, jaune, bleu. 9 heures, je me mets au travail. Mon fils revient m'embêter car son père lui a concocté des séries de points de couleurs trop dures !
Bon, j'ai réussi à travailler une heure. Le temps de répondre à des mails, contacter ma collègue vivant à côté de la crèche, histoire de s'organiser. Message envoyé au Pôle emploi pour le recrutement. Je ne sais pas comment m'y prendre... Mon conjoint doit faire une réunion avec son patron. Le télétravail se fait en alternance dans le bureau. Avec l'âge de nos enfants, le faire à deux en même temps, c'est impossible.
Nous sommes plus efficaces en se partageant le travail, en s'enfermant dans une pièce où les enfants ne nous voient plus.
Aurélie
Heureusement, la maison possède un jardin. Je fais des jeux à l'extérieur avec les enfants. Eux font des bulles, un "concert" en tapant sur des casseroles... Et puis nous parlons avec la voisine — à au moins un mètre de distance. Elle est professeure des écoles en maternelle et me donne quelques conseils.
15h30. Nous poursuivons les jeux avec les enfants dans le jardin. Mon mari a une réunion d'1h30 qui débute, je ne peux pas travailler. Et nous ne pouvons toujours pas nous connecter sur l'ENT. Il y a eu un bug, tout le monde s'y est précipité en même temps.
Le bureau vient de se libérer. Je travaille un peu, mais 18 heures arrive très vite. D'habitude, mon conjoint a des activités le soir. De l'escrime, de l'équitation... Impossible d'y aller. Ce soir, je me sens moins angoissée. Peut-être grâce aux jeux ou au beau temps... Une journée sans sortir du jardin, c'est faisable ! Ça nous arrive même de temps en temps. Mais sur la durée ? Difficile à imaginer.
Mercredi 18 mars : "Il se sent fiévreux"
Mercredi matin. On essaie de faire la même chose : se lever, petit-déjeuner, se préparer, à peu près normalement. Mon compagnon se sent fiévreux, il a mal à la tête et au ventre. Bon, ça peut être n'importe quoi, mais l'inquiétude est un peu là. Il reste allongé dans le canapé.
Je propose à mon plus grand de faire ses devoirs mais l'ENT est toujours inaccessible. Je fais des exercices de numération avec lui, dans lesquels il faut compter des cerises. Il est plus récalcitrant qu'hier... Je veux qu'il s'entraîne à faire les lignes de certaines lettres mais il ne veut pas du tout. Du coloriage ? Non, c'est fini, il ne veut plus ! Mon conjoint s'occupe du petit pendant ce temps-là, mais il vient embêter son grand frère.
10 heures. Mon compagnon a une réunion. Je continue les devoirs puis lis des histoires aux enfants... et je range le bazar qu'ils ont mis dans la maison. Il faut les préparer pour aller dehors et mon conjoint prend le relais. Ils partent dans le jardin mais il ne se sent pas très en forme.
Pendant ce temps, j'en profite pour consulter mes mails. Il y a du nouveau sur les aides de la CAF : à la crèche, nous devrions avoir 17 euros par jour et par place. Je ne sais pas du tout si ça va couvrir le manque à gagner... Le logiciel pour le calculer est inaccessible depuis chez moi. Je ne m'inquiète pas tant pour mon salaire que pour les autres salariés et, surtout, pour la structure. Notre budget est très serré... J'essaie d'avancer dessus d'ailleurs, mais seule une comptable sur deux me répond.
Midi. Je mange seule avec les enfants car mon conjoint n'est pas bien. Je mets mon grand devant les dessins animés et tout le monde à la sieste ! Je suis fatiguée...
Cet après-midi, j'ai un rendez-vous médical avec une spécialiste. J'ai appelé ce matin pour savoir comment ça allait se passer. Elle est bien là, et il n'y a pas grand-monde dans la salle d'attente, me dit la secrétaire. Beaucoup de patients ont annulé. Je réveille mon conjoint pour qu'il s'occupe des enfants et me prépare pour partir. C'est un peu comme aller à l'aventure... Ai-je bien mon attestation ? Oui, je l'ai recopiée. Mon gel hydroalcoolique ? Oui. En revanche, pas de gant, ni de masque.
Départ en voiture, aucun membre des forces de l'ordre sur la route. Aucun contrôle.
C'est désert, il n'y a personne dans les rues. En terme de circulation, on se croirait une nuit de lundi à mardi, à deux heures du matin.
Aurélie
Quelques voitures, à peine. Quand j'arrive à Amiens, l'absence de bruit me choque. Cette rue est pourtant très fréquentée d'habitude. Je n'y avais jamais entendu le silence.
La docteure porte un masque, elle ne me serre pas la main. Je lui parle de mon conjoint. Elle me prescrit du Doliprane, me conseille de ne pas forcément dormir avec lui, de ne pas l'embrasser, et d'appeler le médecin si ça ne va pas mieux demain. Le virus n'est pas forcément grave, m'assure-t-elle, cela peut juste être un rhume... Elle se veut rassurante. Je repars avec un masque et de la vitamine C. Elle appuie sur son gel hydroalcoolique pour m'en mettre sur les mains, puis me tend une lingette désinfectante, histoire de ne rien toucher. Pas une porte, vraiment rien.
Au retour, je suis passée au travail rapidement pour prendre quelques documents, et imprimer des attestations. Puis un passage à la pharmacie. En empruntant deux axes différents, toujours aucun contrôle. A la pharmacie, deux personnes ont partagé la queue avec moi. L'une des pharmaciennes portait un masque, pas l'autre. Nous avons gardé nos distances.
A la maison ce soir, on a regardé les infos. J'étais un peu moins assidue que d'habitude. Je voulais regarder autre chose, penser à autre chose.
Jeudi 19 mars : "C'est un peu oppressant"
Jeudi matin. Mon conjoint va mieux ce matin. Il s'est remis au télétravail, de 10 heures à midi. Pendant ce temps, j'ai gardé les enfants. L'institutrice m'a appelée, les accès pour les parents ne fonctionnent pas pour l'ENT ! Celui des élèves, oui. J'ai pu consulter ce qu'elle y avait mis. Des chansons, des lectures d'histoire, un livret d'école à la maison (un énorme pavé !) Mon fils a voulu qu'on réécoute toutes les chansons de la maîtresse. Midi est vite arrivé.
Il a joué tout seul après le déjeuner. J'ai essayé de travailler un peu, comme mon conjoint : impossible. Je suis responsable de la crèche, il me faut avancer. Mais c'est au-dessus de mes forces. "Personne ne s'occupe de moi", me dit mon fils. Je lui explique que nous ne sommes pas en vacances, que nous devons travailler, mais il ne comprend pas. Nous sommes là, donc on doit s'occuper de lui...
Du coup, je n'ai rien fait. J'ai attendu que mon compagnon finisse son travail pour regarder mes mails. J'ai travaillé... de 16h30 à 17h. J'essaie toujours de calculer le manque à gagner pour la crèche, l'aide de l'Etat pour le chômage partiel, mais c'est impossible. J'ai besoin de la comptable ! Mon mari, lui, est allé emmener ma voiture chez le garagiste, qui n'est pas sûr de pouvoir changer mes filtres, il ne va plus être fourni en pièces. Et il va devoir fermer la semaine prochaine.
Avec ce confinement, c'est vrai, un autre rythme s'est installé avec les enfants. Il n'y a pas le stress de d'habitude. Mais être dans un huis-clos... Moi, j'ai souvent besoin de sortir, d'avoir des activités extérieures. C'est quand même un peu oppressant.
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