Coronavirus : comment le gouvernement a changé d'avis sur le port du masque au fil des mois
D'inutile pour le grand public à recommandé en plein air, voire obligatoire dans certaines communes, le port du masque a fait l'objet de différentes prises de position de l'exécutif depuis le début de la pandémie de Covid-19, au gré des connaissances scientifiques.
Le masque ? "Totalement inutile" pour se protéger du Covid-19 en l'absence de symptômes, assurait l'ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, le 26 janvier. Plus de 30 000 morts plus tard, son successeur, Olivier Véran, dit désormais "recommander" le masque en plein air, "notamment lorsqu'il y a une concentration de personnes". En six mois, le discours du gouvernement sur le port du masque a drastiquement évolué. Comment en est-on arrivé là ? Franceinfo retrace la lente conversion de l'exécutif.
Janvier et février : "Pas de recommandations particulières pour la population" française
A Wuhan, berceau chinois de l'épidémie, le masque devient obligatoire dans les lieux publics fin janvier, alors que 1 000 morts sont recensés dans le pays depuis décembre. En France, où aucun cas n'a encore été confirmé, le Covid-19 est encore très mal connu et semble bien loin. "A ce stade, il n'y a pas de recommandations particulières pour la population" française, indique le ministère de la Santé sur son site internet. Le port du masque "par la population non-malade afin d'éviter d'attraper la maladie n'est pas recommandé", et "son efficacité n'est pas démontrée", insiste ce dernier en janvier. "Il ne faut pas acheter des masques en pharmacie, c'est totalement inutile", martèle la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, le 26 janvier, alors que plusieurs pharmacies assurent ne plus avoir de stocks des précieux sésames.
Le ministère des Affaires étrangères invite néanmoins les voyageurs ayant visité l'Asie et qui doivent entrer en contact avec d'autres personnes à porter un masque chirurgical "en cas de symptômes d'infection respiratoire (fièvre, toux, difficultés respiratoires)". Fin février, le port du masque sera étendu à tous les voyageurs revenant de zones contaminées (notamment l'Italie), "pendant les 14 jours suivant le retour", indique Olivier Véran, fraîchement nommé pour remplacer Agnès Buzyn.
4 mars : "On ne doit pas acheter de masques", réservés aux soignants
Face à la ruée sur les stocks des pharmacies, Emmanuel Macron annonce le 3 mars que l'Etat français réquisitionne "tous les stocks et la production de masques de protection" pour les distribuer aux personnels soignants et aux personnes atteintes du virus. Dans le même temps, l'Etat passe des commandes publiques massives aux entreprises. Mais le gouvernement réfute alors tout problème d'approvisionnement. Il n'y a "pas de risque de pénurie pour les masques chirurgicaux puisqu'on a des stocks d'Etat qui ont été réalisés lors des précédentes mandatures", indique le 4 mars Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement.
"Nous avons assez de masques aujourd'hui pour permettre aux soignants d'être armés face à la maladie et de soigner les malades", assure aussi le ministre de la Santé, Olivier Véran, mardi 17 mars sur France Inter. Mais il prévient néanmoins qu'"en fonction de la durée de l'épidémie, nous ne savons pas si nous en aurons suffisamment à terme". "C'était un fiasco total", se souvient l'épidémiologiste Catherine Hill pour franceinfo. "On manquait sérieusement de masques. Dans une épidémie qui va tellement vite, où le nombre de cas et de morts double tous les trois jours [au plus fort de l'épidémie], ce n'est pas le moment d'avoir des états d'âme. Il faut aller vers l'essentiel".
Pourtant, le port du masque est resté réservé aux malades et aux soignants. "Un masque, c'est une technique" que tous ne maîtrisent pas, justifie par exemple le 19 mars Jérôme Salomon, directeur général de la santé. "Une personne qui marche dans la rue pour aller faire ses courses n'a pas besoin de porter un masque, parce que le virus se transmet essentiellement par les mains", indique aussi Olivier Véran.
2 avril : "Nous encourageons le grand public à porter des masques alternatifs"
Premier changement de doctrine près d'un mois plus tard, alors que l'épidémie galope en France comme en Europe et que des mesures de confinement ont été instaurées depuis deux semaines. L'Académie nationale de Médecine évoque dans un communiqué publié le 2 avril que, si les masques FFP2 et chirurgicaux doivent être attribués "en priorité aux structures de santé et aux professionnels les plus exposés" dans cette situation "de pénurie", le port d'un "masque grand public aussi dit alternatif" doit être rendu obligatoire "pour les sorties nécessaires en période de confinement".
Jérôme Salomon, interrogé le lendemain, va dans le sens du communiqué, et donc à contre-courant des anciennes déclarations du gouvernement : "Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter [...] ces masques alternatifs qui sont en cours de production." Il s'agit alors de proposer une protection à tous ceux qui ne sont pas des soignants, sans pour autant imposer une obligation. Ces masques sont dits "anti-postillons", puisqu'ils visent à freiner la propagation du virus en limitant la projection de gouttelettes.
Si le président de l'Académie nationale de Médecine, Jean-François Mattei, affirme à franceinfo qu'il "faudra rendre le port du masque obligatoire dès que le déconfinement aura lieu", le gouvernement refuse encore de l'imposer. Dans son allocution télévisée du 13 avril, Emmanuel Macron assure seulement que chaque Français devra pouvoir se procurer "un masque grand public" au 11 mai, date du déconfinement. Et Sibeth Ndiaye explique le 9 avril sur franceinfo qu'une décision sera prise lorsqu'il y "aura consensus scientifique en la matière". Car pour l'instant, l'OMS ne recommande toujours pas le port du masque grand public, bien qu'elle invite les gouvernements à en peser le pour et le contre.
"Effectivement, il y avait des incertitudes sur l'efficacité du masque", indique à franceinfo l'épidémiologiste Martin Blachier. "Il n'y avait rien dessus dans la littérature scientifique, seulement quelques données sur la grippe qui montraient une efficacité allant de 30 à 80%. Et à l'époque, on ne savait pas comment se transmettait le virus."
11 mai : le masque devient "obligatoire" dans les transports en commun et les collèges
Le 20 avril, soit trois semaines avant le déconfinement, le Conseil scientifique recommande que le port du masque devienne "systématique" dans tous les lieux publics. Finalement, le gouvernement ne l'impose que dans les seuls transports publics et les collèges. Le Premier ministre, Edouard Philippe, indique néanmoins dans son plan de déconfinement qu'il est "préférable", dans "de nombreuses circonstances", d'en porter un.
Transports : "Il est prévu que le refus de port du masque puisse faire l'objet d'une contravention de 135 euros", indique Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'Etat chargé des Transports
— franceinfo (@franceinfo) May 8, 2020
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Il assure, comme l'avait promis Emmanuel Macron un mois plus tôt, qu'il y aura assez de masques grand public dans tous les commerces le 11 mai, jour du déconfinement. Entre temps, le prix des masques en papier à usage unique est plafonné à 95 centimes d'euros l'unité.
20 juillet : le masque devient obligatoire dans les lieux publics clos
Changement de doctrine pour l'OMS. Le 5 juin, l'organisation publie de nouvelles directives sur le masque, en le conseillant dans les régions touchées et les lieux clos. Le lendemain, 239 scientifiques alertent les autorités de santé sur une possible transmission dans l'air du Covid-19. Quelques jours plus tard, le président du Conseil scientifique français, Jean-François Delfraissy, s'inquiète sur franceinfo d'"une perte des mesures barrières", évoquant "un risque de deuxième vague non-négligeable à l’automne".
Le 14 juillet, Emmanuel Macron se prononce en faveur du port du masque obligatoire dans les lieux clos recevant du public, "par exemple à partir du 1er août". Face aux critiques, cette date est avancée dès la semaine suivante, et le port du masque devient obligatoire dans ces lieux le 20 juillet. Le 27 juillet, le gouvernement recommande aux entreprises de "constituer un stock préventif de masques de protection de dix semaines pour pouvoir faire face à une résurgence potentielle de l'épidémie".
29 juillet : le port du masque en plein air est "recommandé"
Alors que certaines communes touristiques du littoral français ont commencé à imposer le masque dans les rues et/ou les marchés en plein air, Olivier Véran annonce mercredi 29 juillet envisager le port du masque à l'extérieur. "Si vous êtes dans une rue où il y a plusieurs personnes qui vont se balader et vous n'êtes pas sûr de pouvoir garder la distance, je le recommande", affirme-t-il lors d'un déplacement dans les Yvelines. Cette déclaration a finalement été rapidement suivie d'effet puisque le ministre de la Santé a annoncé vendredi 31 juillet que les préfets pourront décider, par arrêté, d'étendre localement l'obligation de port du masque aux lieux publics ouverts, en fonction de l'évolution de l'épidémie dans chaque territoire. Une mesure appliquée rapidement dans certains secteurs de la métropole de Lille mais aussi dans 69 communes de la Mayenne dès le lundi 3 août.
Les avis des spécialistes divergent sur cette question du port du masque en extérieur. Pour Catherine Hill, le "message est trop compliqué" pour la population si on garde "toutes ces demi-mesures, qui sont une recette pour une catastrophe. Tout le monde doit porter un masque en extérieur, assure-t-elle. On ne sait jamais à qui on va parler dans la rue. Même si le risque d'être contaminé est moins grand à l'extérieur, c'est déraisonnable de ne pas le porter".
De son côté, Martin Blachier assure que "le port du masque à l'exterieur est pénible pour tout le monde, pour une efficacité quasiment nulle". Il ajoute : "On sait que tous les clusters sont dans des lieux clos, et pas à l'extérieur. Cette mesure du port du masque à l'extérieur, c'est pour rassurer les gens. Nous sommes ici dans le domaine de gestion de la peur et non pas dans le domaine scientifique."
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