Réaction tardive, complaisance envers la Chine... Pourquoi la gestion de la pandémie de Covid-19 par l'OMS est autant critiquée
Accusée de retard dans ses prises de décision pour lutter contre le coronavirus et de déférence à l'égard du régime chinois, l'Organisation mondiale de la santé est sous le feu des critiques.
Donald Trump en est persuadé : l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a commis des "erreurs" dans sa gestion de la pandémie de coronavirus. Le président américain a annoncé, mardi 14 avril, qu'il suspendait la contribution des Etats-Unis au budget de l'organisation. Le pays lui accorde chaque année une enveloppe budgétaire de l'ordre de 400 à 500 millions de dollars, ce qui en fait le premier contributeur de son budget.
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Ces dernières semaines, la conduite de l'OMS face à la pandémie a fait l'objet de nombreuses critiques. Les critiques n'ont pas attendu celles formulées par Donald Trump. Une pétition demandant la démission de son directeur général, l'Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, a récolté plus de 950 000 signatures depuis sa mise en ligne, au début du mois de février. Mercredi, Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères français, a aussi estimé que son fonctionnement avait montré des "manques" dans sa gestion de la crise du coronavirus, appelant à un nouveau "multilatéralisme de la santé".
"En temps opportun, les performances de l'OMS dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 seront examinées par les Etats membres de l'OMS et les organismes indépendants qui sont en place pour assurer transparence et responsabilité", a répondu Tedros Adhanom Ghebreyesus, au cours d'une conférence de presse virtuelle, soulignant que "cela fait partie du processus habituel par (les) Etats membres". Alors pourquoi l'OMS concentre-t-elle autant de critiques et que lui reproche-t-on exactement ?
Parce qu'elle a réagi trop tardivement
Un retard à allumage, c'est en premier lieu ce qui est reproché à l'OMS. L'organisation a d'abord tardé à reconnaître que la transmission du virus entre humains était possible. Le 31 décembre, l'organisation, basée à Genève, est informée qu'un "mystérieux virus" respiratoire touche la province chinoise du Hubei. Le 14 janvier, le bureau de Santé de Wuhan suggère que la transmission entre humains "ne peut être exclue, même si le risque d'une transmission soutenue est faible", rapporte Le Monde. Pourtant, le même jour, l'OMS relaie dans un tweet que "les enquêtes préliminaires conduites en Chine n'ont pour l'instant pas apporté la preuve d'une transmission interhumaine du nouveau coronavirus".
Preliminary investigations conducted by the Chinese authorities have found no clear evidence of human-to-human transmission of the novel #coronavirus (2019-nCoV) identified in #Wuhan, #China. pic.twitter.com/Fnl5P877VG
— World Health Organization (WHO) (@WHO) January 14, 2020
Ce n'est que lors d'une réunion d'urgence du comité sanitaire sur le coronavirus comprenant 15 experts, le 22 janvier, que l'OMS change de position. "Il existe une transmission interhumaine du virus", reconnaît-elle finalement dans son communiqué de compte rendu.
Mais c'est sur les réticences de l'OMS à déclarer l'urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) que les principales critiques se fondent. Alors que le virus se répand dans le monde et que la province du Hubei est placée sous cloche, l'organisation se montre frileuse à l'idée de déclencher cet outil qui lui permet d'alerter les Etats et d'émettre des recommandations internationales. Lors de la réunion du 22 janvier, les experts du comité sanitaire se divisent sur la question et décident de se réunir ultérieurement pour examiner de nouveau la situation.
L'urgence sanitaire est finalement déclarée le 30 janvier. Ce délai aurait privé les hôpitaux d'un temps précieux pour se préparer à l'afflux de patients, explique le New York Times. "Cela a renforcé la réticence à prendre des mesures fortes et précoces avant que la catastrophe n'ait effectivement touché d'autres pays", estime François Godement, conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne et spécialiste de la Chine, interrogé par le quotidien américain.
Parce qu'elle est trop complaisante avec la Chine
Aux yeux de l'OMS, "la Chine a toujours raison", a déploré Donald Trump, le 14 avril. Depuis le début de la crise, l'organisation est accusée de faire trop confiance aux autorités chinoises. Lorsque le virus a fait son apparition sur le marché de Wuhan, les autorités sanitaires chinoises ont d'abord fait taire les lanceurs d'alerte, comme le docteur Li Wenliang, et ont minimisé l'ampleur de l'épidémie. "L'OMS aurait pu être plus efficace, en particulier dans les phases initiales de la crise, lorsqu'il y a eu des dissimulations et et de l'inaction", juge Yanzhong Huang, expert mondial de la santé spécialiste de la Chine à l'Université américaine de Seton Hall (New Jersey), dans les colonnes du New York Times.
C'est vrai, l'Organisation mondiale de la santé n'a pas remis et ne remet pas en cause les déclarations officielles de la Chine.
François Godementaux "Echos"
"Les Chinois n'ont pas ouvert totalement l'accès aux experts de l'OMS", poursuit le spécialiste auprès du quotidien économique. L'organisation a en effet dû attendre le 16 février pour organiser une mission scientifique conjointe avec la Chine, lors de laquelle des experts des Etats membres se sont rendus à Wuhan. Une mission obtenue par le directeur de l'OMS à la suite d'une visite officielle en Chine, auprès du président chinois Xi Jinping, fin janvier. Lors de ce déplacement, Tedros Adhanom Ghebreyesus a loué le travail de Pékin, tant dans sa "transparence" que dans les "mesures [prises] pour faire face à la flambée" de l'épidémie, peut-on lire dans ce communiqué.
D'ailleurs, la Chine de Xi Jinping tente ces dernières années de renforcer sa position au sein des organisations internationales, dont l'OMS, comme l'explique le New York Times. Si le pays n'était que le 14e contributeur de l'organisation en 2016-2017, il tente tout de même d'étendre son influence et y a désormais ses entrées. L'OMS a par exemple reconnu la médecine traditionnelle chinoise dans sa Classification internationale des maladies, adoptée en mai 2019.
Faut-il y voir une déférence particulière envers le régime chinois ? L'OMS se montre, de manière générale, rarement critique envers ses Etats membres. Elle "s'abstient toujours de critiquer ouvertement les Etats membres dont elle dépend. Pour le docteur Tedros, dont l'élection en 2017 a été aidée par la Chine, ne pas critiquer Pékin lui permet d'espérer une coopération sur d'autres dossiers", avance François Godement dans Les Echos.
Parce qu'elle ne prend pas de sanctions (mais elle n'en a pas le pouvoir)
L'OMS est une organisation intergouvernementale qui ne dispose pas de réel pouvoir de coercition. Depuis 2005, dans la foulée de la crise du Sras en 2002-2003, elle jouit d'un rôle de coordination internationale en cas d'épidémie, mais pas d'un pouvoir de sanction. "Cessons de faire preuve de naïveté. Les Etats membres veulent que l'OMS reste faible car la santé est une question éminemment politique et une prérogative nationale", argumente Marie-Paule Kieny, virologue et ancienne sous-directrice générale, auprès du Monde.
Un constat partagé par l'épidémiologiste Antoine Flahault. "Il ne faut pas oublier que les Etats les plus influents se reposent sur leur propre agence sanitaire. Les CDC américains [Centres for Disease Control and Prevention] ont un budget dix fois plus gros que celui de l'OMS. Par contre, pour les Etats les plus pauvres, elle reste une tour de contrôle et ses recommandations technico-médicales sont très suivies", explique-t-il au quotidien du soir.
Aujourd'hui, l'OMS pourrait faire les frais du repli nationaliste des Etats membres, "qui ne l'écoutent plus vraiment", estime le journaliste Jean-Marc Four, sur France Inter. Les récentes critiques de Donald Trump à l'égard de l'OMS pourraient être un mouvement politique de la part du président, à quelques mois de l'élection présidentielle américaine. "Les démocrates accusent Trump d'avoir échoué sur la crise du Covid. Trump, lui, essaie de transposer la faute sur le docteur Tedros", analyse Richard Gowan, de l'International Crisis Group, auprès du Monde.
President @realDonaldTrump is halting funding of the World Health Organization while a review is conducted to assess WHO's role in mismanaging the Coronavirus outbreak. pic.twitter.com/jTrEf4WWj0
— The White House (@WhiteHouse) April 14, 2020
D'autres pays ont cependant montré leur soutien à l'OMS face à la suspension du financement des Etats-Unis. Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, "regrette profondément" cette décision, écrit-il dans un tweet, mercredi. "Blâmer n'aide pas", a quant à lui lancé le ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, également sur Twitter.
Schuldzuweisungen helfen nicht. Das Virus kennt keine Grenzen. Wir müssen gegen #COVID19 eng zusammenarbeiten. Eine der besten Investitionen ist es, die @UN, allen voran die unterfinanzierte @WHO, zu stärken, z.B. bei der Entwicklung und Verteilung von Tests und Impfstoffen. https://t.co/ugVbnZFx7R
— Heiko Maas (@HeikoMaas) April 15, 2020
Parce qu'elle n'a pas bien géré d'autres épidémies
Si l'OMS est fustigée dans sa gestion de la pandémie, c'est enfin parce qu'une crise de confiance s'est installée à son égard. "A chaque épidémie, il y a eu une remise en question de l'organisation", constate Suerie Moon, codirectrice du Centre de santé globale de l'Institut de hautes études internationales et du développement, auprès du Monde.
En 2009, lors de la pandémie de grippe H1N1, l'OMS déclenche pour la première fois le mécanisme d'urgence sanitaire. Elle est alors critiquée pour avoir semé la panique. L'Organisation est même accusée d'avoir fait le jeu des laboratoires pharmaceutiques, qui ont reçu des millions de commandes de vaccins. "Ce n'est pas nous qui avons poussé les Etats, après l'épidémie de H5N1, à précommander de quoi vacciner toute leur population", riposte Marie-Paule Kieny, ancienne sous-directrice, dans Les Echos. A l'inverse, en 2014, l'OMS tarde à déclencher le mécanisme lorsque la première épidémie de maladie à virus Ebola est déclarée. "D'un point de vue politique, et on le voit avec la gestion de l'épidémie du Covid-19, son image est aujourd'hui durablement écornée", estime François Godement, dans le quotidien économique.
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