Grippe saisonnière : pourquoi près de 90 hôpitaux français ont activé le plan blanc pour faire face à l'épidémie

Ce dispositif, qui permet de déprogrammer certaines opérations ou de rappeler du personnel en congés, est déclenché en réponse au "niveau d'intensité exceptionnellement élevé" observé aux urgences depuis les fêtes.
Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
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Des patients sont pris en charge sur des brancards aux urgences du CHU de Nice (Alpes-Maritimes), en pleine épidémie de grippe, le 7 janvier 2025. (FRANTZ BOUTON / NICE MATIN / MAXPPP)

Des opérations déprogrammées, des lits ouverts en urgence et des soignants rappelés en renfort. Face à l'épidémie de grippe hivernale qui touche la France, 87 hôpitaux ont activé leur "plan blanc" depuis la fin décembre, a annoncé le ministère de la Santé, vendredi 10 janvier. "On est dans une situation qui est assez exceptionnelle", avait évalué la directrice du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars), Brigitte Autran, jeudi, sur France Inter, soulignant que "toutes les années ne sont pas marquées par des plans blancs liés à la grippe".

Dès mardi, l'Agence France-Presse (AFP) avait recensé au moins une vingtaine d'établissements hospitaliers contraints d'actionner des mesures d'urgence face à l'afflux de patients. Depuis, d'autres se sont ajoutés, comme le CHU de Reims (Marne) et celui d'Orléans (Loiret). La liste pourrait encore s'allonger, car l'agence Santé publique France a fait état, mercredi, d'une épidémie de plus en plus importante, marquée par "un niveau d'intensité exceptionnellement élevé à l'hôpital". Franceinfo vous explique comment on en est arrivé à cette situation.

Parce que le nombre de cas est important

L'Hexagone et la Corse ont été déclarés en situation épidémique de grippe juste avant Noël, soit un peu plus tôt que les années précédentes. Depuis, le virus n'a cessé de gagner du terrain. Au cours de la semaine du 30 décembre au 5 janvier, les patients diagnostiqués de la grippe ont représenté 5,2% des passages aux urgences, un niveau très élevé, qui n'avait été atteint qu'une fois en une quinzaine d'années (à l'hiver 2022/2023, à la sortie de la crise du Covid-19), selon Santé publique France

Près de 4 000 patients grippés ont dû être hospitalisés début janvier après être passés par les urgences. Une "forte hausse" de la part des décès avec une mention de grippe a également été enregistrée (6%, contre 3,9% lors de la dernière semaine de 2024). 

"Cette année, la grippe est particulièrement agressive, avec beaucoup de patients qui habituellement pourraient rentrer chez eux, mais que nous devons garder parce qu'ils sont dans une situation grave", a illustré le chef des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou à Paris, Philippe Juvin, jeudi, sur la chaîne franceinfo. "On a le double d'hospitalisations en matière de grippe par rapport à l'année dernière", a-t-il insisté.

"A voir les chiffres, ce n'est pas monstrueux, mais on est dans une taille d'épidémie qui sera probablement dans la fourchette haute cette saison", avait estimé, dès mardi, le virologue Bruno Lina, à l'AFP. Une fois franchi, le pic pourrait être suivi d'une décrue, puis d'un nouveau rebond, a mis en garde Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Tenon à Paris, mercredi, sur franceinfo : "On se méfie toujours de ces épisodes de grippe saisonnière qui commencent tôt, parce que, parfois, ils sont en deux vagues."

Parce que le taux de vaccination reste faible

Selon un décompte daté de mardi consulté par franceinfo, 10,3 millions de personnes ont été vaccinées contre la grippe depuis cet automne parmi les 17,3 millions d'habitants fragiles, de soignants ou de proches à risque identifiés par le ministère de la Santé. "Il reste encore près d'un mois de campagne et on a déjà dépassé le total de l'hiver dernier", salue le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, Philippe Besset. Néanmoins, le taux de vaccination reste "très faible", estime-t-il.

Selon le pharmacien, cette mobilisation en demi-teinte témoigne d'"un rejet de la vaccination par une partie de la population". Lors de la campagne 2023/2024, le taux de couverture des seules personnes à risque de grippe sévère avait été de 47,1%, loin de l'objectif affiché de 75%, rappelle le ministère de la Santé

"Si l'on en croit les urgentistes, on ne retrouve presque que des non-vaccinés parmi les patients hospitalisés pour la grippe."

Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France

à franceinfo

L'immunologue Brigitte Autran avance, elle aussi, la piste d'"un très faible taux de vaccination cette année" pour expliquer l'embolie aux urgences. "Il y a une vraie responsabilité nationale de chacun à veiller à se protéger soi-même pour protéger les hôpitaux et ne pas les obliger à faire de plan blanc", affirme-t-elle, déplorant "une forme de lassitude vis-à-vis de la vaccination" malgré les "milliers de décès" dus à la grippe chaque année. Une réticence qui touche les soignants eux-mêmes : "Dans les hôpitaux publics, on doit être autour de 18% de vaccinés", s'insurge l'infectiologue Gilles Pialoux. 

Est-il encore temps de se faire vacciner ? "Pour que la vaccination soit efficace, il faut attendre deux semaines. Si on se vaccine maintenant, on ne sera protégé que dans la dernière partie de l'épidémie, prévient Bruno Lina. La vaccination, il faut surtout la faire avant l'épidémie." En revanche, il est toujours temps d'appliquer les gestes barrières, en se lavant les mains, en aérant les pièces et en portant le masque en cas de symptômes. Face à un relâchement des comportements, le port du masque est d'ailleurs redevenu obligatoire dans plusieurs centres hospitaliers (Abbeville, Calais, Dijon, Le Havre, Libourne, Lisieux, etc.).

Parce que les urgences étaient déjà sous tension

Le nouveau ministre chargé de la Santé, Yannick Neuder, a reconnu, mardi, que la multiplication des plans blancs "tradui[sai]t bien l'état de tension dans lequel se retrouve notre système de santé". "Les hôpitaux étant déjà à ras bord, la moindre goutte d'eau fait déborder le vase", a illustré Gérald Kierzek, médecin urgentiste à l'Hôtel-Dieu et chroniqueur médical, jeudi, sur franceinfo. Il a déploré un "manque de personnel", des "fermetures de lits" et "le goulot d'étranglement" que sont devenues les urgences.

Ces services, de plus en plus encombrés de brancards, accueillent des cas graves, mais aussi des patients n'ayant pas trouvé de rendez-vous en ville et des malades en attente de places dans d'autres services ou établissements de suite.

"On a un embouteillage général du système."

Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou à Paris

à franceinfo

Alors que le virus à l'origine de la bronchiolite et le Covid-19 sont contenus cet hiver, la seule épidémie de grippe aurait pu être mieux absorbée, selon certains soignants. "Le problème majoritaire, c'est le manque de lits d'hospitalisation, comme toujours", insiste la porte-parole du syndicat Samu-Urgences de France, Agnès Ricard-Hibon. Face à une population vieillissante, de plus en plus vulnérable face à la grippe, elle appelle à "anticiper" ces "crises hivernales prévisibles". "Il faut réserver un nombre de lits dans les services pour l'activité des urgences", une solution "connue" qui tarde à se mettre en place, regrette-t-elle. Comme ses prédécesseurs, le ministre dit vouloir "favoriser tout ce qui peut produire du soin sur le territoire" pour "éviter le recours systématique aux urgences".

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