: Vidéo "Affaires sensibles". Les écoutes de la République : "Mitterrand m'a dit 'Faites ce que vous devez faire'", explique Christian Prouteau, l'ancien chef de la cellule de l'Elysée
C'est une affaire qui a fait beaucoup de tort à l'image de François Mitterrand : lors de son premier septennat, plus d'une centaine de personnalités ont été placées sur écoute par la cellule anti-terroriste de l'Elysée. Après la diffusion d'une enquête sur "Les écoutes de la République", Christian Prouteau, qui dirigeait cette cellule, est l'invité d'"Affaires sensibles". Voici un extrait de son interview.
C'est une "affaire sensible" qui a commencé en 1982, au lendemain de l’attentat de la rue de Rosiers. Pour déjouer de nouvelles attaques, François Mitterrand annonce la création d’une cellule anti-terroriste au sein même de l’Elysée. Il en confie la direction à Christian Prouteau, alors patron du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Mais au fil des mois, la "cellule" semble aussi se consacrer à la protection des intérêts privés du président. Celui-ci redoute de voir divulgués certains secrets : l’existence de sa fille Mazarine et sa liaison avec sa mère Anne Pingeot, ou encore le cancer dont il se sait atteint. En multipliant les écoutes de personnalités à priori sans lien avec le terrorisme, les hommes de Christian Prouteau semblent s'être affranchis des limites légales.
L'écrivain et polémiste Jean-Edern Hallier, furieux de ne pas avoir été récompensé de son soutien au candidat socialiste, menace de révéler l'existence de Mazarine dans un pamphlet ? La cellule mettra sur écoute pendant plusieurs années toutes les conversations de l'auteur et celles de ses proches, et le pouvoir fera tout pour empêcher sa publication. Le journaliste Edwy Plenel dérange avec ses enquêtes sur le Rainbow Warrior ou les "Irlandais de Vincennes" ? Il sera lui aussi mis sur écoute.
Pourquoi le rapport Schmelck n'a-t-il pas été suivi ?
Avant son arrivée au pouvoir, François Mitterrand s'était pourtant engagé à encadrer les écoutes dites "administratives", par opposition aux écoutes judiciaires. La loi n'était pas encore votée (il faudra attendre 1991), mais il existait un rapport qui posait des garde-fous. Rédigé en 1981 par le président de la Cour de cassation de l'époque, Robert Schmelck, il recommandait l'interdiction d'écouter les avocats, les personnalités politiques et les journalistes… Mais pour Christian Prouteau, ce cadre ne semble pas suffisant : "Ça dépend de ce qu'ont fait les avocats, les journalistes, ou les hommes politiques, argue-t-il. Ça voudrait dire que dans ces professions, il n'y a pas de gens qui, à un moment, sont borderline. Moi, je ne connais pas de profession où, à un moment, les gens ne sont pas borderline."
Dans le cas de Jean-Edern Hallier, par exemple, l'enquête d'"Affaires sensibles" raconte comment sa mise sur écoute a pu être autorisée au motif de son "instabilité" notoire. Mais l'écrivain n'appartenait pas aux catégories protégées…
Pourquoi avoir mis sur écoute un journaliste comme Edwy Plenel ? La justification de l'ancien chef de la cellule tient en deux mots : "l'affaire Farewell", l'une des plus grandes affaires d'espionnage de la guerre froide. En mettant au jour le fonctionnement d'un réseau d'espionnage soviétique, les révélations d'un agent double ont mis en difficulté le KGB, et peut-être même précipité la chute de l'URSS. En 1985, Edwy Plenel signe un article consacré à ce sujet. "Le président de la République m'appelle, raconte Christian Prouteau, me dit : 'Comment il sait tout ça ?'"
Edwy Plenel écouté à cause de l'affaire Farewell ?
Selon les explications de Christian Prouteau, François Mitterrand cherchait alors à se rapprocher de Mikhaïl Gorbatchev qui venait d'arriver au pouvoir, et des "fuites" sur l'affaire Farewell auraient été sources de difficultés diplomatiques. "Gorbatchev devait venir à peu près en octobre, se remémore Christian Prouteau, et en juin ou juillet sort l'article sur l'affaire Farewell. Et le président me dit 'Vous êtes chargé de ma sécurité, il me semble ? (...) Nous étions quatre à connaître certaines choses qui sont dans ce papier. Je veux savoir comment M. Plenel a su ça'." L'ancien numéro 1 de la cellule aurait répondu : "Monsieur le Président, pour que je le sache, il faut que je sache avec qui il est en relation, donc que je l'écoute." Le président lui aurait alors dit, "et c'est du Mitterrand dans le texte : 'Faites ce que vous devez faire'."
Extrait d'une interview diffusée le 13 décembre 2021 à la suite de "Les écoutes de la République", une enquête d’Emilie Lançon, Jérémy Frey et Jérôme Prouvost, dans "Affaires sensibles", un magazine présenté par Fabrice Drouelle et coproduit par France Télévisions, France Inter et l’INA d'après l'émission originale de France Inter.
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