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Des "missions supplémentaires" pour être augmentés ? Les enseignants se disent "déjà débordés"

Article rédigé par Rachel Rodrigues
France Télévisions
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Parmi les pistes des missions supplémentaires évoquées : le remplacement d'autres professeurs, du tutorat pour les élèves ou de la formation continue pendant les vacances.  (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

La proposition du gouvernement d'augmenter les salaires en échange de tâches en plus indigne une profession épuisée par la surcharge de travail. 

Sur le papier, David* compte 21 heures de cours par semaine. Mais quand l'enseignant en allemand dans un collège d'Alsace raconte sa journée-type, l'addition grimpe. Il estime qu'"en arrivant plus tôt le matin, et en comptant les heures de trous entre les cours", qu'il consacre à la correction des copies, il "arrive vite à une trentaine d'heures passées dans l'établissement chaque semaine". Et le travail ne s'arrête pas aux grilles du collège pour ce professeur principal. David travaille encore au moins "deux ou trois heures" chez lui chaque soir. Soit un total d'une cinquantaine d'heures travaillées du lundi au vendredi.

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De nombreux enseignants interrogés partagent un emploi du temps similaire. Selon une note des services statistiques du ministère de l'Education nationale publiée mi-octobre, la moitié des enseignants déclarent travailler au moins 43 heures par semaine. Pourtant, les rémunérations ne suivent pas. Dans un rapport publié début octobre, l'OCDE pointait du doigt le retard de la France en la matière. Au collège, les enseignants français sont ainsi deux fois moins payés que les Allemands en début de carrière.

Une mesure "déconnectée de la réalité"

C'est dans ce contexte que le gouvernement a proposé la piste d'une augmentation "pouvant aller jusqu'à 20%", d'après le chef de l'Etat. La condition ? Accepter des "missions supplémentaires". Cette proposition, issue du programme présidentiel d'Emmanuel Macron, paraît totalement "inappropriée" pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU.

"Nous sommes déjà débordés, nous ne pouvons pas faire plus."

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

à franceinfo

A l'heure actuelle, ces fameuses "missions supplémentaires" ne sont pas clairement arrêtées. Lors de récentes concertations entre le ministère de l'Education et les partenaires sociaux, début novembre, trois pistes ont été avancées, selon plusieurs sources syndicales interrogées : l'accompagnement des élèves (sous la forme de tutorat ou de stages pendant les vacances), la formation des personnels (notamment pendant les vacances scolaires) et l'implication dans l'établissement (à travers la participation à certains projets).

Mais dans l'absolu, Carine ne comprend pas. "Ces missions supplémentaires, nous les faisons déjà", déplore cette institutrice du Tarn, qui juge cette piste "déconnectée de la réalité du terrain". Comme elle, l'ensemble des enseignants interrogés pointe l'apparition de nouvelles "tâches" venues alourdir leur charge de travail ces dernières années. Parmi elles, les heures d'accompagnement "parfois à rallonge" que les enseignants doivent effectuer pour faire le lien avec les parents, discuter de l'orientation et "aider avec Parcoursup".

"C'est comme si le ministère pensait qu'on ne travaillait pas assez, qu'on avait encore du temps libre à combler."

Anne, professeure d'EPS dans un collège du Nord

à franceinfo

La mission de professeur principal s'est par exemple étoffée au fil des ans. "En plus de la vie de classe, des appels aux parents, du suivi des familles, il faut gérer le comportement des élèves, et monter des dossiers pour les élèves à besoins éducatifs particuliers", liste cette prof de sport, professeure principale depuis plusieurs années dans un collège du Nord. Les enseignants doivent aussi organiser des réunions avec les parents et des psychologues scolaires pour déterminer les besoins pédagogiques d'élèves avec des troubles d'apprentissage ou en situation de handicap. "Il y a aussi de nombreux documents à remplir et à actualiser, explique Carine. L'administratif devient très lourd."

Des heures supp "en permanence"

Nombre de ces nouvelles missions qui s'imposent aux enseignants sont aussi liées au manque d'effectifs dans les établissements. Dès la rentrée dernière, le gouvernement a misé sur le recours aux contractuels pour "combler les trous", mais "ce n'est pas suffisant", pointe Sophie Vénétitay. Plusieurs professeurs admettent réaliser "en permanence" des heures supplémentaires pour remplacer certains collègues absents. Un moyen de gonfler légèrement leurs salaires.

>> Comment les enseignants contractuels "comblent les trous" de l'Education nationale

"Quand on nous demande d'assurer un remplacement, nous ne pouvons pas nous permettre de refuser, explique Emilie*, enseignante dans un lycée professionnel parisien. Alors on accepte d'en faire plus, en dépit de la fatigue que ça engendre." L'enseignante de lettres et d'anglais gagne 2 100 euros net par mois grâce à ces heures supplémentaires. C'est 200 euros de plus que si elle n'en faisait pas. 

"Les professeurs des écoles cumulent déjà les rôles de CPE, infirmière scolaire, secrétaire, surveillant de récréation et professeur principal."

Carine, professeure des écoles dans le Tarn

à franceinfo

Outre les "profs absents", la vie scolaire et le personnel médical sont également en peine. "Parfois, les infirmières scolaires ne sont présentes que deux jours par semaine", illustre Emilie. Cette enseignante raconte avoir dû, il y a quelque mois, organiser des heures de colle dans sa propre classe, en raison d'un manque de surveillants. Pour elle, il faut constamment assumer plusieurs rôles auprès des élèves : "Nous devenons leurs seuls interlocuteurs."

Des conditions de travail "usantes"

En tant que professeure principale, Isabelle* dit rester au téléphone avec des parents d'élèves jusqu'à 22 heures certains soirs. Sans compter les copies à corriger. "Sur le long terme, c'est usant", insiste-t-elle. Cette charge de travail a eu raison de son couple : "Je me suis séparée de mon précédent conjoint parce qu'il ne comprenait pas que je ne puisse pas partir en week-end ou passer une soirée tranquille."

En vingt ans de carrière, la professeure d'allemand en Alsace a organisé plus de 40 échanges et séjours à l'étranger et a cumulé de nombreuses missions en dehors de ses cours. Une pléthore d'heures supplémentaires qui ont empiété sur son travail. "Je n'ai plus le temps de me concentrer sur l'essentiel, c'est-à-dire la création et la conception de cours et de séquences", regrette-t-elle. 

"Le seul moment où j'ai le temps de me mettre vraiment au travail, c'est pendant les vacances."

Isabelle*, professeure d'allemand en Alsace

à franceinfo

Et Isabelle n'est pas la seule à dresser ce constat. "Le vendredi soir, je tombe", partage de son côté Thomas, professeur des écoles dans le Tarn, qui s'endort chaque soir à 21 heures. Comme eux, nombre d'enseignants interrogés pointent du doigt l'"épuisement élevé". Un sentiment confirmé par le premier baromètre de bien-être des personnels de l'Education nationale publié par le ministère mi-octobre. 

Le ministère "conscient" du problème

Tous se disent par ailleurs opposés à l'idée même de conditionner la hausse des salaires à des missions supplémentaires. Plusieurs syndicats et enseignants y voient le risque de voir les inégalités salariales se renforcer entre les hommes et les femmes. D'ailleurs, des missions rémunérées ont déjà émergé ces dernières années : les indemnités pour mission particulière (IMP). Ces dernières, créées par décret en 2015, donnent la possibilité aux enseignants de second degré d'accomplir des missions particulières au sein de leur établissement ou dans leur académie, "pour répondre à des besoins spécifiques". Elles peuvent englober de nombreuses tâches : occuper le poste d'enseignant référent pour le décrochage, réaliser du tutorat auprès des élèves ou encore s'occuper du matériel informatique.

Autant d'exemples qui rappellent beaucoup le type de "missions supplémentaires" proposées évoquées par le gouvernement. Sauf que, selon Sophie Vénétitay, davantage d'hommes choisissent ces missions. "Aujourd'hui, assure-t-elle, on constate que les hommes profitent plus de ces indemnités liées à ces missions supplémentaires parce que la répartition du temps domestique est traditionnellement inégale entre les hommes et les femmes."

"Si la revalorisation est axée autour de ces missions supplémentaires, alors elle ne sera que masculine."

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

à franceinfo

Selon une note d'information du ministère, les attributions d'IMP s'élèvent en moyenne à 1 280 euros par an pour les hommes, contre 990 euros pour les femmes. Plusieurs éléments expliquent cet écart, d'après l'Education nationale. D'abord, quand les femmes font des missions, "elles en choisissent quantitativement moins que les hommes". Ensuite, le type de missions choisies joue également un rôle déterminant. "Les missions les mieux rémunérées sont les missions de référent numérique et les missions académiques. Or, ces types de missions sont celles qui comptent le moins de femmes parmi les bénéficiaires", rapporte cette note.

Contacté par franceinfo, le ministère de l'Education nationale répond que rien n'est encore acté mais assure "être conscient" des problèmes engendrés par ces nouvelles missions. Selon un rapport du sénateur LR Gérard Longuet publié en 2021, si les salaires des enseignants ont augmenté ces dernières années, cela n'a pas suffi à compenser les effets du pouvoir d'achat. "Les enseignants français ont perdu entre 15 et 25% de rémunération au cours des vingt dernières années", relève-t-il. 

Le ministère rappelle à ce titre qu'une partie des augmentations de salaires se fera sans contrepartie, pour les débuts de carrière, dès la rentrée 2023. Pour Clément, professeur de SVT en Auvergne-Rhône-Alpes, c'est bien la vision du métier d'enseignant dans son ensemble qui serait remise en question par ces missions supplémentaires. "On risquerait de voir apparaître des micro-hiérarchies entre nous", redoute-t-il. Une mise en concurrence donc, entre ceux qui acceptent d'en faire plus, et ceux qui n'en peuvent plus.

* Le prénom a été modifié.

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