Cet article date de plus d'un an.

"Ça donne l’impression d’une improvisation" : pourquoi "l'heure de sensibilisation" au harcèlement scolaire laisse sceptiques les enseignants et les parents

Tous les collégiens devront suivre cette semaine une heure de sensibilisation sur la thématique "harcèlement et réseaux sociaux", à la demande du ministère de l'Éducation nationale.
Article rédigé par Lauriane Delanoë
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Une cinquantaine de personnes se sont réunies mercredi 31 mai, devant le collège Marie Curie, à Tourcoing (Nord) pour soutenir une élève lynchée à la sortie de l'établissement. (STEPHANE BARBEREAU / FRANCE BLEU NORD)

Il y a tout juste un mois, le 12 mai 2023, Lindsay mettait fin à ses jours à son domicile à Vendin-le-Viel (Pas-de-Calais). L'adolescente de 13 ans était victime de harcèlement scolaire. Sa famille a dénoncé l'inaction des autorités. Quatre plaintes ont été déposées pour "non-assistance à personne en péril", notamment à l'encontre du principal de son collège et de l'académie de Lille. Cette mise en cause a fait réagir au sommet de l'État. La Première ministre Élisabeth Borne a promis de "faire de la lutte contre le harcèlement la priorité absolue de la rentrée 2023".

>> Harcèlement scolaire : "Une heure de sensibilisation" dans tous les collèges de France dès lundi, annonce le ministère de l'Education

Le ministre de l'Éducation nationale a assuré mardi 6 juin sur franceinfo, après avoir rencontré les parents de Lindsay, que "des moyens supplémentaires" seront mis en place. Ainsi, 3,4 millions d'élèves de la 6e à la 3e, dans les 7 000 collèges de France, vont suivre une heure de sensibiliation sur le thème "harcèlement et réseaux sociaux", dans la semaine du 12 au 16 juin 2023, a annoncé dimanche 11 juin Pap Ndiaye. 

Car avec les applications comme Snapchat, Instagram ou Tiktok, le harcèlement ne s’arrête plus aux grilles du collège. Les harceleurs poursuivent leur victime jusqu’à chez elle, sur son téléphone. Cette sensibilisation doit permettre d’alerter ces adolescents sur l’usage de ces réseaux sociaux. Ce sera aussi "l’occasion de souligner la responsabilité de chacun", avance Pap Ndiaye. Le ministre de l’Éducation nationale souhaite également que les animateurs de cette heure de sensibilisation répondent aux questions des élèves.

Les principaux et les professeurs dénoncent la précipitation de cette annonce 

Dans bon nombre d'établissements, cette heure de sensibilisation sera difficile à organiser. L'année scolaire touche à sa fin. C'est une période "compliquée", relève Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du syndicat de chefs d’établissements SNPDEN. Il rappelle que des actions de prévention sont menées tout au long de l’année et pointe donc "un effet d’annonce qui donne l’impression d’une improvisation".

Les enseignants s’inquiètent justement de devoir organiser cette heure en dernière minute. Car une telle intervention s’anticipe. Il faut l’adapter à l’âge des élèves, on ne s'adresse pas de la même manière à un élève de 11 ans qu'à un élève de 14 ans. Il faut aussi prendre en compte le contexte du collège : y a-t-il déjà eu ou non des cas de harcèlement ? Y en a-t-il actuellement ? Enfin, pour animer cette heure de sensibilisation au harcèlement scolaire et sur les réseaux sociaux, il faut être formé, il faut connaître les pratiques des jeunes.

>>> Une heure de sensibilisation sur le harcèlement scolaire : "Ce n’est pas la période", juge l'association "Marion, la main tendue"

La Fédération des conseils de parents d'élèves (Fcpe) et la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (Peep) partagent l'inquiétude des enseignants. Ces deux organisations estiment qu'il "faut agir" mais cette heure de sensibilisation organisée à la hâte en fin d'année, "est bien en deçà des besoins", et que les actions doivent s’inscrire dans la durée. Sur franceinfo, Nora Fraisse, mère de Marion Fraisse, qui avait 13 ans lorsqu’elle a mis fin à ses jours, victime de harcèlement scolaire, estime également que "ce n'est pas forcément la période". Avant que la fondatrice de l’association "Marion, la main tendue" ne précise que "ça ne s'improvise pas". 

"On est en fin du parcours scolaire et c'est le brevet des collèges. Ce sont des élèves qui sont en conseil de classe bientôt, ce n'est pas forcément la bonne période, puis ça ne s'improvise pas", a déclaré Nora Fraisse qui pense "aux professeurs et à tous ceux qui vont devoir monter ce projet pédagogique", dans un délai très court. Ce projet "demande du temps, de la préparation, de l'accompagnement, de l'accueil de la parole, du recueil de la parole, de prévenir les familles" aussi, a-t-elle expliqué. Nora Fraisse aurait préféré que le ministère se concentre sur le premier degré, notamment les CM2 "pour les préparer à l'année prochaine, pour leur expliquer ce qui les attend. Pas de manière anxiogène, mais pour leur parler des élèves ambassadeurs" contre le harcèlement, "convier les familles, préparer la rentrée", a détaillé la fondatrice de l'association.

Tous les représentants des parents d’élèves, des enseignants et des chefs d’établissement insistent enfin sur l’importance d’associer les familles à cette lutte contre le harcèlement. Par exemple, pour aider les parents à trouver des réponses si leurs enfants ont des questions ou ont besoin de se confier cette semaine, le soir après la sensibilisation.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.