Fin de vie : cinq questions sur les "soins d'accompagnement" palliatifs que le gouvernement veut développer
Objectif : garantir des soins de qualité pour tous les Français condamnés par une maladie incurable. Le gouvernement érige le deuxième pilier de son projet de "modèle français de la fin de vie", un mois après les annonces d'Emmanuel Macron sur l'aide à mourir. La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a présenté sa stratégie pour développer les "soins d'accompagnement", samedi 6 avril, dans un entretien au Monde.
"En 2034, on aura 2,7 milliards d'euros consacrés aux soins d'accompagnement. Soit 1,1 milliard de plus qu'aujourd'hui", a annoncé Catherine Vautrin. "On a besoin d'aller plus loin dans la prise en charge de la douleur dans sa globalité et pour tous les publics, y compris les enfants, a-t-elle justifié. Avant l'aide à mourir, le modèle français de la fin de vie, c'est d'abord une politique ambitieuse de renforcement des soins palliatifs et d'accompagnement."
D'une ambition inédite, sur dix ans (2024-2034), cette stratégie entérine aussi une nouvelle dénomination, les "soins d'accompagnement", délaissant la notion palliative, trop souvent associée à une mort à court terme. Franceinfo vous explique.
1 En quoi consistent les soins palliatifs ?
Les soins palliatifs sont destinés aux personnes atteintes d'une maladie grave, en particulier à un stade avancé ou terminal. Contrairement aux soins curatifs, qui ne sont alors plus d'un grand secours, les soins palliatifs n'ont pas vocation à guérir les patients, mais à les accompagner le mieux possible. Ils placent l'écoute au centre de la relation de soins, en se focalisant sur l'état général du patient, davantage que sur la maladie en elle-même.
"Les soins palliatifs visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage."
Code de la santé publique, article L1110-10
A l'hôpital, les patients peuvent être accueillis dans l'une des 171 unités de soins palliatifs (USP) du pays, réservées aux prises en charge les plus complexes. Ces services de pointe sont composés de médecins, d'infirmiers, d'aides-soignants et d'autres professionnels proposant un accompagnement plus global (psychologue, assistante sociale, etc.).
Les malades hospitalisés dans des services classiques peuvent aussi bénéficier d'une prise en charge palliative grâce aux équipes mobiles de soins palliatifs. Ces soins de confort sont également accessibles à la maison ou en Ehpad, avec l'appui d'une équipe mobile, d'une structure d'hospitalisation à domicile ou encore d'un médecin généraliste ayant suivi une formation spécifique.
2 Pourquoi le gouvernement veut-il les développer ?
L'accès aux soins palliatifs est un droit reconnu par la loi depuis 1999. Pourtant, la moitié des patients qui pourraient y prétendre n'en bénéficient pas, selon une estimation de la Cour des comptes, soit environ 180 000 laissés pour compte chaque année. Un département sur cinq est dépourvu de la moindre unité de soins palliatifs, une situation à laquelle l'exécutif veut remédier d'ici 2024 pour certains départements, 2025 pour d'autres . "On a aujourd'hui 1 540 lits dans les unités de soins palliatifs (USP) ; l'idée, c'est d'en créer 220 supplémentaires dans celles que nous devons ouvrir", a détaillé Catherine Vautrin, samedi.
Créer une vingtaine d'USP supplémentaires ne suffira pas à combler les inégalités d'accès aux soins. L'enjeu principal est la formation du personnel médical et paramédical, souvent démuni face aux patients en fin de vie. C'est le cas à domicile et en Ehpad, où l'offre palliative est "lacunaire, voire inexistante", comme l'a constaté la Cour des comptes. Un exemple : en 2019, les trois quarts des maisons de retraite ne comptaient encore aucun professionnel formé aux soins palliatifs, selon le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.
En plus de combler son retard, la France doit anticiper des besoins palliatifs croissants, liés au vieillissement de la population. Le nombre de bénéficiaires potentiels chaque année pourrait passer de 380 000 à 470 000 d'ici à 2046, soit une hausse de 23% en deux décennies, d'après la Cour des comptes. "Le nombre de patients qui nécessiteront des soins palliatifs va croître de 16% en dix ans", a estimé de son côté Catherine Vautrin, auprès du Monde.
3 Pourquoi l'exécutif parle-t-il désormais de soins d'accompagnement ?
En décembre, la ministre de la Santé de l'époque, Agnès Firmin Le Bodo, très impliquée dans le dossier de la fin de vie, avait repris à son compte la proposition de créer des "soins d'accompagnement", issue d'un rapport que venait de lui remettre le professeur Franck Chauvin. "C'est une petite révolution", avait-elle vanté auprès de franceinfo. Cette nouvelle appellation vise à reléguer les soins palliatifs à des "soins strictement médicaux destinés à traiter la douleur", qui seront dorénavant englobés dans ce concept plus large, selon l'exécutif. Changer de nom permet de mettre davantage en lumière l'accompagnement "précoce" et "global" des malades et de leurs proches.
"Ce nouveau terme vise à changer la vision que les Français ont des soins palliatifs, trop souvent associés aux dernières semaines de la vie."
Franck Chauvin, auteur du rapport "Vers un modèle français des soins d'accompagnement"à franceinfo
"L'idée est aussi de se détacher de l'image d'une prise en charge très médicale et hospitalière, dans des unités spécialisées", défend Franck Chauvin. Cet ancien président du Haut Conseil de la santé publique a ainsi préconisé de développer la prise en charge à domicile et de bâtir avec chaque patient, dès les premiers stades de sa maladie, un "plan personnalisé d'accompagnement". Pour éviter certaines hospitalisations inutiles, il a également appelé à créer des "maisons d'accompagnement", des lieux d'accueil moins médicalisés qu'Emmanuel Macron s'est depuis engagé à mettre en place.
4 Les soins palliatifs sont-ils une réponse suffisante à la souffrance des malades en fin de vie ?
Dans la plupart des situations, une prise en charge de qualité permet d'apaiser les souffrances et les angoisses des malades, y compris parmi ceux qui expriment le souhait d'en finir. Une étude publiée en 2023 a toutefois montré la persistance de certaines demandes d'euthanasie ou de suicide assisté parmi les patients hospitalisés en unités de soins palliatifs. "Face à certaines souffrances inapaisables, il arrive que l'on touche à nos propres limites, même avec un bon accompagnement et de bonnes ressources", confirme la responsable de l'équipe mobile de l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, Michèle Lévy-Soussan.
"Les soins palliatifs ne viennent pas à bout de toutes les souffrances."
Michèle Lévy-Soussan, responsable d'une équipe mobile de soins palliatifsà franceinfo
En 2022, le Comité consultatif national d'éthique a aussi estimé que certains patients "ne rencontrent pas de solution à leur détresse" dans le cadre légal actuel. Selon cette instance, les soins palliatifs peuvent offrir une réponse satisfaisante dans les derniers jours de la vie, mais pas forcément lorsque le pronostic vital est engagé à moyen terme.
En 2023, à leur tour, les membres de la convention citoyenne sur la fin de vie ont majoritairement acté les limites des soins palliatifs et appelé à autoriser l'aide active à mourir. Un groupe minoritaire de citoyens a toutefois estimé que, "bien mise en œuvre, la loi Claeys-Leonetti actuelle pourrait suffire", d'autant que "la recherche progressera encore pour mieux traiter les douleurs réfractaires dans les années à venir".
5 L'aide active à mourir est-elle contraire aux soins palliatifs ?
En réponse au constat que "les soins palliatifs ne peuvent pas tout", le gouvernement souhaite permettre à certains patients de bénéficier d'une "aide à mourir". Il entend, dans le même projet de loi, inscrire plusieurs mesures de sa stratégie de développement des soins d'accompagnement, ce qui irrite certains soignants.
Les professionnels des soins palliatifs, emmenés par leur société savante, la Sfap, font partie des plus ardents opposants à l'euthanasie et au suicide assisté. Ils y sont défavorables à 85%, selon un sondage OpinionWay pour la Sfap (en PDF) réalisé en 2022. "Donner la mort n'est pas un soin", martèle leur porte-voix, Claire Fourcade, qui cite volontiers cet extrait de la définition des soins palliatifs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) :
"Les soins palliatifs n'entendent ni accélérer ni repousser la mort."
Organisation mondiale de la santé
Attachée au "respect de la vie", la Sfap dit défendre des valeurs de "fraternité" et de "non-abandon" des malades. Elle craint que l'aide active à mourir devienne une solution de facilité face aux souffrances, au détriment des soins palliatifs, plus complexes et plus coûteux. Elle s'inquiète aussi d'une "pression insidieuse" qui pourrait s'exercer sur les plus fragiles et redoute enfin une crise des vocations, car "le médecin ne peut pas être celui qui soigne et celui qui tue".
D'autres professionnels se montrent plus ouverts à une nouvelle loi. Dans le privé non lucratif, 29% des médecins et 57% des autres soignants en soins palliatifs sont favorables à l'aide à mourir, selon une enquête d'opinion menée en 2022 auprès des membres de la Fehap, première fédération du secteur. Une partie des "palliativistes" se disent même prêts à pratiquer le dernier geste, comme certains de leurs confrères à l'étranger. En Belgique, des euthanasies sont réalisées dans des unités de soins palliatifs. "Je ne raccourcis pas la vie, seulement l'agonie", explique à franceinfo la médecin Corinne Van Oost. Pour ces soignants, donner la mort peut être considéré comme un soin, ultime, offert à certains malades.
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