"Ils ont réussi à me faire taire" : retour sur quatre témoignages devant la commission d'enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma

Au cours des dernières semaines, les députés ont notamment entendu les actrices Judith Godrèche, Sara Forestier, Anna Mouglalis et Nina Meurisse.
Article rédigé par franceinfo
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L'actrice Judith Godrèche lors de son audition devant la commission d'enquête parlementaire, le 18 décembre 2024. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Judith Godrèche déplore le "silence" des "personnes de pouvoir" dans le cinéma. L'actrice, devenue l'une des voix du mouvement #MeToo en France, s'est exprimée mercredi 18 décembre, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les violences commises dans le secteur du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. En début d'année, elle avait elle-même appelé de ses vœux à la création de cette instance. Les travaux de cette commission, qui avaient débuté au printemps et avaient été interrompus par la dissolution, ont repris à l'automne. Des dizaines de professionnels du secteur, des actrices, des journalistes ont été auditionnés.

Sara Forestier accuse Nicolas Duvauchelle de l'avoir giflée

Entendue par les députés le 7 novembre, Sara Forestier affirme avoir été "giflée" par un acteur. Depuis, l'actrice césarisée deux fois a explicitement mis en cause Nicolas Duvauchelle – qui réfute ces affirmations –, l'accusant début décembre dans une interview à Mediapart d'avoir eu ce comportement en 2017 lors du tournage de Bonhomme de Marion Vernoux.

Devant la commission d'enquête parlementaire, la comédienne a rapporté avoir été hospitalisée, pendant la préparation du film, pour une grave hémorragie interne liée à une grossesse extra-utérine. Le tournage est décalé "d'une dizaine de jours", ce qui "fait chier" l'acteur, selon le récit de Sara Forestier. "Au bout du troisième jour de tournage, pour une broutille", les deux acteurs ne se "comprennent pas" et Nicolas Duvauchelle lui "parle mal". L'actrice se rend alors dans sa loge pour tenter d'apaiser la situation. "Il n'est pas d'humeur à parler", raconte-t-elle devant les députés. "Ça l'énerve et il me dit : 'Casse-toi, pousse-toi ou je vais te gifler.'"

"Je lui dis : 'Non, tu ne me menaces pas et puis tu ne me fais pas peur.' Il monte dans les tours, il me gifle", poursuit la comédienne. Sara Forestier raconte ensuite que les équipes du film ont tenté "de [l]'empêcher d'aller au commissariat". L'actrice accuse notamment la réalisatrice Marion Vernoux de lui avoir "fait du chantage" et de l'avoir fait "culpabiliser"

"On met la poussière sous le tapis et la victime doit encaisser."

Sara Forestier

devant la commission d'enquête parlementaire

Sara Forestier explique avoir quitté le tournage et avoir été en arrêt maladie : "Mon inflammation avait repris et je devais absolument me reposer, sinon je risquais de ne plus pouvoir avoir d'enfant." Elle dénonce la "pression" de "la production" : "Je suis devenue l'ennemie, celle qui met en danger le film, l'argent de ce film." Très émue, l'actrice précise qu'un article "mensonger" est paru dans la "presse people" quelques jours plus tard, l'accusant d'avoir giflé l'acteur.

"Après ça, comment prendre la parole ? Comment expliquer que c'est moi qui ai reçu cette gifle ? Parce que je l'ai reçue cette gifle. Ils ont bien réussi à me faire taire."

Sara Forestier

devant la commission d'enquête parlementaire

Sara Forestier porte finalement plainte en 2023. Une enquête est ouverte par le parquet de Paris. Sur le réseau social X, Nicolas Ducauchelle réagit et assure n'avoir "jamais giflé" Sara Forestier, qualifiant l'actrice de "mythomane" et de "fausse victime".

Nina Meurisse raconte le tournage d'une scène de viol à 10 ans

Entendue par la commission d'enquête lundi 16 décembre, l'actrice Nina Meurisse, récemment à l'affiche de la série La Fièvre et du film Le Ravissement, est revenue sur sa première expérience d'actrice à l'âge de 10 ans. Selon elle, la réalisatrice du film (qui n'est pas cité pendant l'audition) ne souhaite pas qu'elle rencontre au préalable l'acteur avec qui elle doit jouer une scène de viol. "Je ne comprends pas pourquoi, mais apparemment, ça sera mieux pour la scène", se souvient-elle. Face aux députés, elle décrit cette séquence qu'elle a dû tourner "plusieurs fois" avec un "jeune acteur" qui "court" vers elle, qui lui "saute dessus", lui "prend la poitrine" et essaye de "soulever" sa robe.

"J'ai dix ans, je n'ai même jamais embrassé un garçon, je suis tétanisée."

Nina Meurisse

devant la commission d'enquête parlementaire

"A la fin de la scène, la jeune fille qui s'occupe de nous depuis le début du tournage m'amène voir les poussins qui sont nés dans la ferme à côté pour me changer les idées", retrace Nina Meurisse. "Je me souviens comme si c'était hier me dire : 'Mais tu crois que tu vas me faire oublier ça avec des poussins ?'"

L'actrice raconte également le tournage d'une scène de flagellation. En pleine "nuit noire", dans une mare, la très jeune comédienne est sommée de se "frapper le dos" avec un bâton. "Je le fais, sans grande force au début, ce qui agace la réalisatrice, qui me crie de le faire plus fort, plus fort, plus fort", se rappelle-t-elle.

"Plus ma rage contre elle monte, et plus je me frappe avec une violence inouïe."

Nina Meurisse

devant la commission d'enquête parlementaire

"Au bout d'un temps qui m'a paru être une éternité", l'équipe intervient et menace d'arrêter le tournage. "La scène s'arrête, mais l'horreur est en moi", témoigne Nina Meurisse. "Ça restera un non-sujet tout au long du tournage. Il n'y aura pas d'excuses, ça sera une scène comme les autres."

Anna Mouglalis revient sur une entrevue avec Gérard Miller

Entendue le même jour que Nina Meurisse, Anna Mouglalis rappelle que les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma peuvent se produire dès les phases de casting. "Généralement, on décroche le rôle quand le réalisateur est séduit, expose l'actrice. Mais on n'est pas venues pour le séduire : on est venues pour jouer." La comédienne de la série Baron Noir raconte face aux députés des castings où on lui demande de se "glisser dans des tenues en latex" ou encore d'"un acteur de 50 ans" qui "enfonce sa tête" dans son bas-ventre en la "tenant par les hanches".

Anna Mouglalis évoque ensuite les "situations assez délirantes" vécues lors de tournées promotionnelles. A l'occasion de la sortie du film Merci pour le chocolat de Claude Chabrol en 2000, on lui demande ainsi "d'être habillée d'une robe en chocolat dans un salon du chocolat" dans l'idée que "les visiteurs" puissent "se servir jusqu'à [la] dénuder". Elle raconte avoir refusé, mais estime que les comédiennes ne sentent pas toujours en position de pouvoir décliner ce genre de propositions.

"Quand on est une jeune actrice, on pense qu'on ne peut rien refuser."

Anna Mouglalis

devant les députés réunis en commission d'enquête

Anna Mouglalis est enfin revenue sur les accusations de violences sexuelles qui pèsent sur Gérard Miller. Dans deux enquêtes publiées par Mediapart et par le magazine Elle, des dizaines de femmes ont accusé le psychanalyste de viols et d'agressions sexuelles, notamment sous hypnose. Plusieurs plaintes ont été déposées contre Gérard Miller, qui dément ces allégations, et une enquête a été ouverte par le parquet de Paris.

Anna Mouglalis affirme qu'en 1997, lors de son "premier film", elle a "été convoquée par la production" au domicile du psychanalyste, scénariste sur ce projet. "C'est normal d'avoir confiance quand on est envoyé par la production chez un scénariste, qu'on a envie de jouer dans un film. Tout ça devrait être très normal", insiste-t-elle. Durant cette rencontre, l'actrice assure que Gérard Miller lui a proposé une séance d'hypnose, qu'elle a déclinée. "Il [a commencé] à se tendre et à devenir un petit peu agressif", selon Anna Mouglalis, qui est alors "partie" en se disant "c'est juste un connard". "A l'époque, je n'en ai pas parlé au réalisateur, ni au producteur, j'aurais dû", juge-t-elle aujourd'hui. 

Judith Godrèche émeut les députés avec son récit

"J'essaye de naviguer tant que je peux sans couler." Devant la commission d'enquête, Judith Godrèche témoigne de sa "nouvelle vie" depuis qu'elle s'est exprimée sur sa relation d'emprise avec Benoît Jacquot, de 25 ans son aîné, lorsqu'elle avait 14 ans. Le réalisateur, qui conteste les faits, a été mis en examen en juillet pour viols sur les actrices Julia Roy et Isild Le Besco. Judith Godrèche a également porté plainte pour viols contre le cinéaste Jacques Doillon. Ce dernier, également visé par trois autres plaintes, a été placé sous le statut de témoin assisté le 6 décembre.

Depuis, "les seules personnes de ce passé qui m'ont tendu la main sont des personnes qui (...) sont, comme on dit, anonymes, en tout cas qui n'ont pas le pouvoir ou qui n'ont rien à perdre", déplore la comédienne face aux députés.

"Merci Judith Godrèche pour ce moment poignant", réagit le rapporteur centriste Erwan Balanant, avant de fondre en larmes. "Cette commission d'enquête n'est pas tous les jours facile et je m'en excuse", reprend ensuite l'élu du Finistère. "On est tous bouleversés, chacun son tour", ajoute la députée insoumise Sarah Legrain, la voix tremblante, face à ces "témoignages durs".

La présidente de la commission d'enquête, Sandrine Rousseau, fait aussi part de son "émotion" face à ces récits qui "éprouvent". "Je trouve que ce qui nous fait atteindre nos limites émotionnelles, c'est aussi la peur que nous ressentons à travers les témoignages fébriles", partage la députée écologiste. "Toutes les femmes qui sont venues ici témoigner, les enfants (...), tous tremblaient au moment où ils parlaient", rapporte Sandrine Rousseau, qui assure que parmi "ceux qui tiennent le système", "je n'ai pas vu un homme trembler ici".

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