Violences sexuelles : de quoi sont accusés les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon, tous les deux placés en garde à vue ?

Article rédigé par Catherine Fournier - avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
A gauche, le réalisateur Benoît Jacquot à New York, le 6 mars 2015 ; à droite, le cinéaste Jacques Doillon à Angoulême, le 25 août 2021. (JASON CARTER RINALDI / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP / YOHAN BONNET / AFP)
Les réalisateurs, âgés respectivement de 77 ans et 80 ans, font l'objet de plaintes de plusieurs actrices, dont Judith Godrèche et Isild Le Besco. Les deux hommes contestent les faits.

Ils sont arrivés lundi 1er juillet vers 9h30 à la direction régionale de la police judiciaire à Paris. Les cinéastes Benoît Jacquot, 77 ans, et Jacques Doillon, 80 ans, accusés de violences sexuelles par plusieurs actrices, ont été placés en garde à vue à la brigade de protection des mineurs. Jacques Doillon a été relâché sans poursuites mardi soir, a annoncé son avocate, Marie Dosé, à l'AFP. La garde à vue de Benoît Jacquot a été levée mercredi à 9h30 et il est en cours de défèrement, a appris franceinfo auprès de son avocate, Julia Minkowski. Il devrait être présenté dans la matinée ou l'après-midi à un juge d'instruction en vue de son éventuelle mise en examen. 

Une enquête avait été ouverte en février par le parquet de Paris, notamment pour viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité, après la plainte de Judith Godrèche contre les deux réalisateurs. "Je pleure. (...) Je ne sais pas si j'ai la force mais je l'aurai. Je l'aurai, je l'aurai", a commenté la comédienne et réalisatrice sur Instagram lundi matin, suggérant une confrontation avec les gardés à vue. Sollicité par franceinfo, le parquet de Paris n'a pas confirmé cet élément. 

Une enquête pour "viol sur mineur"

Benoît Jacquot est le premier à avoir été accusé dans cette affaire. Un "long cheminement" pour Judith Godrèche, qui a commencé avec sa série French Icon of cinema, sortie en décembre 2023 sur Arte, dans laquelle elle évoque sans le nommer la relation d'"emprise" et de "perversion" entretenue avec le réalisateur de 1986 à 1992. En janvier, après avoir vu ressurgir une vidéo dans laquelle Benoît Jacquot affirme que cette relation "excitait beaucoup" l'actrice, alors âgée de "15 ans" quand lui en avait "40", Judith Godrèche décide de le dénoncer publiquement, puis de porter plainte.

Dans un entretien au Monde, l'actrice raconte son vécu, qu'elle compare à celui "d'enfants qui sont kidnappés (...) et qui n'arrivent pas à penser du mal de leur ravisseur". Assurant que leur histoire a débuté quand elle avait 14 ans et non 15, elle témoigne d'un rapport de domination, fait de violences psychologiques et physiques et de "rapports sexuels brutaux".

"Je suis complètement isolée. Il m'a coupée de toute vie sociale. (...) La dernière année devient un enfer absolu, il est violent, il me frappe."

Judith Godrèche, au sujet de Benoît Jacquot

dans "Le Monde"

Malgré l'ancienneté des faits, le parquet de Paris ouvre en février une enquête pour "viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité, viol, violences par concubin, et agression sexuelle sur mineur de plus de 15 ans par personne ayant autorité".

L'objectif est notamment de découvrir l'existence d'autres victimes pour lesquelles les faits ne seraient pas prescrits, comme le recommandait une circulaire sur la lutte contre les violences faites aux mineurs. Benoît Jacquot, lui, conteste ces accusations. Après son placement en garde à vue, son avocate Julia Minkowski a réagi en affirmant que le cinéaste allait "enfin pouvoir s'exprimer devant la justice", dénonçant une "ultra-médiatisation" et déplorant "des dysfonctionnements de la justice".

Rattrapé par la vague #MeToo qui déferle sur le cinéma français depuis la prise de parole de Judith Godrèche, l'héritier de la Nouvelle Vague est accusé par quatre autres comédiennes de violences et de harcèlement sexuel. Dans Le Monde, Julia Roy, Vahina Giocante, Isild Le Besco et Laurence Cordier décrivent le comportement d'un réalisateur qui a profité de son aura et de sa position pour exercer une emprise sur elles.

Des plaintes de Julia Roy et Isild Le Besco

Deux d'entre elles, Julia Roy et Isild Le Besco, se sont tournées vers la justice. Les faits dénoncés les concernant sont plus récents. La première, qui a joué dans quatre de ses films entre 2016 et 2021, a déposé plainte pour agression sexuelle. Dans Le Monde, la comédienne, qui a rencontré Benoît Jacquot à 23 ans, dépeint une relation de six ans pendant laquelle le réalisateur "voulait contrôler tout ce que je faisais. Quand je le confrontais sur ses violences verbales et physiques, il détournait tout, prétendait que rien de tout cela n'était arrivé". Des faits, là encore, contestés par le cinéaste, qui se justifie ainsi : "Il y a une violence dans les rapports amoureux. Je ne suis pas particulier ou exceptionnel. Mais comme je fais du cinéma, cela prend des proportions exceptionnelles."

Après avoir transmis un texte au journal, dans lequel elle évoque des "violences psychologiques ou physiques", l'actrice et réalisatrice Isild Le Besco, qui a tourné six films avec Benoît Jacquot, dont Sade lorsqu'elle avait 16 ans et lui 62, se livre plus longuement dans un livre, Dire Vrai.

"Dire que Benoît m'a violée, c'est évident. (...) J'étais une adolescente et je lui ai donné mon entière confiance. Il s'est substitué à mon père, ma mère, à toute figure d'autorité. En cela, son viol est aussi incestueux."

Isild Le Besco

dans son livre "Dire vrai"

En mai, elle se décide à porter plainte à son tour pour des faits de viols sur mineur de plus de 15 ans entre les années 1998 et 2007. Auprès de France 2, elle dénonce un "viol de l'esprit avant tout".  

Jacques Doillon accusé par trois actrices 

Dans cette vague de libération de la parole, Jacques Doillon, autre héritier de la Nouvelle Vague, est lui aussi accusé de violences sexuelles. Si elle n'a pas porté plainte contre lui, Isild le Besco a dénoncé, toujours dans Le Monde, une forme de chantage sexuel du cinéaste en 2000, alors qu'elle espérait tourner dans le film Carrément à l'ouest, sorti l'année suivante. "Lorsque j'ai refusé de coucher avec lui, il m'a retiré du projet et a donné le rôle à sa fille", accuse-t-elle. Son témoignage vient étayer celui de Judith Godrèche, qui a révélé sur France Inter, début février, avoir été abusée par le réalisateur de RodinPonette ou Le Petit Criminel.

Judith Godrèche évoque d'abord des faits qui se sont déroulés "dans la maison de Jane [Birkin, compagne à l'époque du cinéaste], dans le bureau de Jacques Doillon""Personne ne l'a vu et je n'en ai parlé à personne", précise-t-elle. Elle revient également sur le tournage du film La Fille de quinze ans, sorti en 1989. "Tout d'un coup, il décide qu'il y a une scène d'amour, une scène de sexe entre lui et moi", rapporte l'actrice, expliquant que "45 prises" ont été faites pour cette scène. "J'enlève mon pull, je suis torse nu, il me pelote, me roule des pelles", décrit-elle. La plainte qu'elle a déposée contre Benoît Jacquot vise ainsi également Jacques Doillon.

L'actrice Anna Mouglalis a également témoigné dans Le Monde contre le cinéaste. Elle relate une agression sexuelle dont elle accuse le réalisateur "à l'été 2011" dans la région d'Uzès (Gard). "Un soir après le dîner, nous n'étions plus que deux dans la pièce. C'était dans la cage d'escalier sur le palier qui donnait sur la chambre de ma fille et la mienne dans laquelle j'allais rejoindre Samuel [Benchetrit, son compagnon à l'époque] qui s'était couché plus tôt. Il m'a embrassée de force et je l'ai repoussé", assure-t-elle.

Une plainte pour diffamation du cinéaste

Dans une déclaration auprès de l'AFP, Jacques Doillon nie ces allégations"Que Judith Godrèche, et d'autres femmes à travers elle, aient à cœur de dénoncer un système, une époque, une société, est courageux, louable et nécessaire. Mais la justesse de la cause n'autorise pas les dénonciations arbitraires, les fausses accusations et les mensonges", écrit-il. Sur les accusations de Judith Godrèche, il rétorque que la scène en cause était "dans le scenario original. (...) Judith Godrèche a évidemment lu et relu le scénario puisqu'elle a même prétendu l'avoir écrit". Quelques jours plus tard, Jacques Doillon annonce porter plainte pour diffamation contre la comédienne et réalisatrice. Une décision qui fait suite à un message sur Instagram dans lequel elle écrit : "En 2022, ce journal écrit que la spécialité de Doillon est de tourner avec des enfants. Il manque une phrase : 'Avec qui il couche'."

"Oser affirmer publiquement, comme elle l'a encore fait le 21 février dernier, que celui-ci aurait 'couché avec des enfants' qui tournaient dans ses films est ignoble et dépasse l'entendement", dénonce alors l'avocate du cinéaste, Marie Dosé. Après le placement en garde à vue de son client, celle-ci a estimé qu'il "aurait dû être entendu dans le cadre d'une audition libre au vu de l'ancienneté des faits, de leur prescription acquise depuis plus de deux décennies, et de l'inéluctable classement sans suite qui clôturera cette enquête".  

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