Projet de loi sur l'immigration : comment les négociations avec la droite menacent de "faire exploser la majorité"

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La Première ministre, Elisabeth Borne, à l'Assemblée nationale (Paris), le 17 novembre 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Les pourparlers en cours entre l'exécutif et Les Républicains afin d'aboutir à un compromis en commission mixte paritaire font craindre des divisions dans le camp présidentiel. L'aile gauche de Renaissance et les centristes du MoDem sont aux aguets.

Le camp présidentiel est en plein dilemme. Faut-il préserver l'unité de la majorité coûte que coûte, quitte à renoncer au projet de loi immigration ? Ou bien faut-il absolument faire voter ce texte, en négociant avec Les Républicains, et ainsi prendre le risque de perdre des voix du côté de l'aile gauche de Renaissance et des centristes du MoDem ? "C'est toute la question", sourit un conseiller de l'exécutif. "Il faut atterrir sur un texte, car les Français nous le demandent, et préserver l'unité de la majorité : c'est le chemin que nous devons trouver et c'est possible", veut croire le député Paul Midy. Un "en même temps" qui s'annonce bien complexe. 

Passé l'adoption de la motion de rejet lundi à l'Assemblée nationale et la sidération qui a suivi, le camp présidentiel a tenu à aller vite. Une commission mixte paritaire (CMP) a été convoquée, qui doit se réunir lundi 18 décembre à 17 heures. Si les quatorze parlementaires qui la composent arrivent à s'entendre sur une mouture du texte, l'Assemblée et le Sénat seront appelés à se prononcer dès le lendemain. Mais la balle est dans le camp des Républicains. Faute de texte à l'Assemblée, c'est la version durcie et votée par le Sénat qui sert de base aux négociations entre l'exécutif et la droite.

Les pontes de la droite ont prévenu : ils ne mêleront leurs voix à celle de la majorité qu'à condition de reprendre l'intégralité de la copie sénatoriale. Un message qu'Eric Ciotti, le président du parti Les Républicains, affirme sur le réseau social X avoir martelé à la Première ministre Elisabeth Borne lors d'une nouvelle réunion à Matignon. 

"Sans capacité de gouverner, l'unité n'est pas très utile"

C'est là que les choses se compliquent. Chez Horizons, le parti d'Edouard Philippe, on est prêt à toper sur les bases de cet accord sénatorial. "Il n'y a pas de sujet chez nous, on avait déjà dit, avant l'examen en commission des lois, que la version du Sénat nous convenait très bien", rappelle-t-on au sein du groupe. Si les troupes de l'ex-chef du gouvernement ne seront pas représentées lundi faute de titulaire en commission mixte paritaire, leurs 30 voix seront nécessaires ensuite pour faire passer le texte à l'Assemblée.

Sur cette ligne, on trouve aussi Bruno Le Maire. "Notre pays a-t-il besoin d'un texte sur l'immigration ? Cela me semble évident, a estimé le ministre de l'Economie dans Le Figaro. Or quel est le seul moyen aujourd'hui pour qu'une telle loi passe ? C'est de reprendre la version du Sénat, en espérant que les LR comprennent qu'il faut bouger les lignes sur deux points sensibles pour notre majorité : l'AME [l'aide médicale d'Etat] et les conditions d'accès aux aides sociales."

Sur RTL, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a lui aussi jugé "évident qu'on doit se rapprocher du texte du Sénat". Forcément, cette ligne politique se répercute au sein de certains chez Renaissance.

"Je plaide pour aller le plus loin possible avec la version du Sénat. Il faut un texte et vite."

Un député Renaissance

à franceinfo

Un compromis avec la droite au prix d'une division de la majorité ? Certains ne sont pas loin de le penser. "ll faut d'abord atterrir sur un texte. Si on n'y arrive pas, cela posera une question sur la capacité à gouverner, explique un autre député Renaissance. Sans capacité de gouverner, l'unité n'est pas très utile. Mais atterrir sur un texte ne veut pas dire qu'on se compromet à n'importe quelle condition, d'où le mandat donné à nos négociateurs."

Mercredi soir, Sylvain Maillard, le président du groupe Renaissance, a en effet réuni ses troupes pour donner "mandat" aux trois députés membres de la CMP : Florent Boudié, Sacha Houlié et Marie Guevenoux. Selon l'entourage de Sylvain Maillard, sur les 110 votants, quatre seulement ont rejeté la proposition. Sur le fond, les députés ont approuvé le fait de s'aligner sur la mesure de régularisation, telle que votée par le Sénat, ou de conserver l'interdiction de placer des mineurs étrangers de moins de 16 ans en centre de rétention. Parmi leurs lignes rouges figurent la suppression de l'AME ou le conditionnement des prestations sociales contributives à cinq années de résidence en France.

"Une minorité cherche à faire dériver le groupe à droite"

Mais, pour beaucoup, ce vote, organisé à la va-vite, n'avait pas grand sens. "C'est prématuré, on n'a pas le texte de la CMP, ça ne va pas", s'agace Stéphane Travert. L'ancien ministre de l'Agriculture, tendance aile gauche, qui n'était pas là lors du vote, assure qu'il se serait abstenu. "Le texte du Sénat est pour moi et d'autres totalement inacceptable", promet-il.

"Je n'ai pas de doutes sur l'unité de la majorité qui sera derrière le président et le gouvernement mais à un moment, il y aussi des valeurs et des convictions."

Stéphane Travert, député Renaissance

à franceinfo

La position du Sénat sur les métiers en tension est ainsi loin de lui convenir. Et il n'est pas le seul. Le texte de la chambre haute, "c'est un texte d'extrême droite, ça n'a pas de sens de voter ces mesures, c'est impossible", fustige Stella Dupont. "Je préfère l'unité de la majorité à un mauvais texte avec les idées du LR", renchérit un autre député du camp présidentiel, qui pointe "une minorité active qui cherche à faire dériver le groupe plus à droite".

La députée Nadia Hai a, elle, carrément claqué la porte de la réunion, mercredi soir, mécontente des conditions d'organisation de ce vote. "Il faut que l'on reste unis et pour rester unis, il faut l'équilibre du texte. Quelle est la priorité ? L'unité du groupe ou avoir un texte ?", a lancé l'ancienne ministre, avant de quitter la salle. L'élue des Yvelines dit attendre que la CMP accouche d'un texte pour se prononcer sur son éventuel vote. 

Au regard de l'urgence décrite par l'exécutif, elle affirme aussi être prête à voter uniquement le volet sécuritaire. "Avec une partie des collègues, on est prêt à accepter de voter le texte sans le volet des régularisations et à porter nous-mêmes cette partie en tant que parlementaires", abonde un autre député, classé à l'aile gauche. La porte, à peine entrouverte, a été vite refermée par Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR. "Nous n'accepterons pas une petite loi saucissonnée, qui aurait pour seul objectif de contourner les divisions de la majorité présidentielle", a-t-il prévenu sur le réseau social X.

"La négociation la plus dure sera avec le MoDem"

Si une partie des troupes Renaissance n'est donc pas prête à s'aligner sur une bonne partie du texte du Sénat, le problème se pose de manière accrue avec les alliés centristes. "La négociation la plus dure sera avec le MoDem, ce sont les plus durs", confie une cadre de la majorité. "Ils vont chercher à en faire un élément de différenciation", peste un député Renaissance. Mais le parti de François Bayrou dispose de 51 députés, ce qui en fait un soutien indispensable lors du vote à l'Assemblée. "On sent aussi que le gouvernement craint ce que fera ou ne fera pas le MoDem", livre d'ailleurs l'entourage de Bruno Retailleau à France Télévisions.

"On considère que le travail de compromis a déjà été fait en commission. Tout texte qui s'éloignerait de ce texte de commission nous poserait un problème."

Erwan Balanant, député MoDem

à franceinfo

François Bayrou est lui sorti de son silence, jeudi soir, sur France 5. S'il n'a pas donné la position du MoDem, dans cette négociation entre la majorité et la droite, il a cependant qualifié d'"équilibrée" la mouture du texte écrite par la commission des lois de l'Assemblée. "Nous sommes prêts à trouver un accord, mais pas à renoncer à tout", appuie la vice-présidente de l'Assemblée nationale, Elodie Jacquier-Laforge, qui représentera lundi son groupe en commission. D'autres mettent en garde : "A force de vouloir à tout prix un texte, on va arriver à faire exploser la majorité, ce n'est pas le but, l'acharnement thérapeutique, ça suffit", s'agace ainsi un parlementaire MoDem. 

Pourtant, même au sein du MoDem, tout le monde n'est pas sur la même ligne. "Il y a un principe de réalité qui prévaut : les Français veulent de cette loi. Si la CMP est conclusive, il ne faut pas faire de conneries, car ça engage le reste du quinquennat", nuance le député Bruno Millienne. Cette séquence politique pourrait laisser des traces durables. "Si au final, c'est globalement le texte du Sénat, je pense que, sous la pression du président, ce sera voté par notre majorité, mais avec des fractures et des rancœurs qui resteront", confie un ministre à France Télévisions. 

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