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Affaire Urvoas : "Quand un ministre demande une remontée d'informations, il y a suspicion sur la décision du procureur"

L'ancien ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas est soupçonné d'avoir transmis au député Thierry Solère des informations sur une enquête pour fraude fiscale le concernant. L'Union syndicale des magistrats réclame, de nouveau, l'indépendance du parquet.

Article rédigé par Vincent Daniel - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Jean-Jacques Urvoas à la sortie du Conseil des ministres, le 10 mai 2017.  (MAXPPP)

Une nouvelle affaire embarrassante pour Jean-Jacques Urvoas. Le socialiste, qui a été ministre de la Justice de janvier 2016 à mai 2017, est soupçonné d'avoir transmis une note confidentielle au député (ex-LR) des Hauts-de-Seine Thierry Solère pendant l'entre-deux-tours de la présidentielle, selon des informations publiées mercredi 13 décembre par Le Canard enchaîné

Le document émanait de la Direction des affaires criminelles et des grâces et détaillait "les investigations en cours" contre l'élu des Républicains (qui a adhéré depuis à La République en marche). Thierry Solère était visé par une enquête pour fraude fiscale, blanchiment et trafic d'influence.

Pour Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), interrogée par franceinfo, ces soupçons relancent le débat récurrent sur l'indépendance du parquet, quelques jours après une décision du Conseil constitutionnel sur le sujet

Franceinfo : Jean-Jacques Urvoas, alors ministre de la Justice, avait-il le droit de demander une synthèse dans une enquête en cours ?

Virginie Duval : La remontée d'informations est prévue dans le Code de procédure pénale. Puisqu'il y a lien hiérarchique entre le pouvoir exécutif et les magistrats du parquet, ceux-ci doivent faire remonter des informations dans des dossiers particuliers, au procureur général d'abord puis au ministre de la Justice. C'est grâce à ce lien que le ministre peut avoir connaissance de ce qu'il se passe dans des affaires. 

Nous contestons ce lien. Il est normalement prévu que le ministre n'a pas le droit de donner des instructions dans des affaires individuelles. Et s'il n'en a pas le droit, alors il ne devrait pas avoir le droit d'obtenir des informations dans des dossiers individuels. L'indépendance de la justice suppose que le pouvoir exécutif n'ait pas son mot à dire, n'ait pas de droit de regard dans la procédure. Avec ce dossier, on a un exemple flagrant des dérives permises par ces remontées d'informations. 

Il n'avait donc pas le droit de transmettre ces informations ?

Le ministre n'est pas soumis au secret de l'enquête et de l'instruction car cela ne concerne que ceux qui concourent à l'enquête. En revanche, il y a le délit d'entrave à la justice qui peut être caractérisé par le fait de divulguer des informations à une personne dont on sait qu'elle est susceptible d'être concernée. Dans ce cas, la question de l'application de ce texte se pose. Il s'agit de l'article 434-7-2 du Code pénal [un délit passible de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende]. 

Etes-vous contre les remontées d'informations auprès du ministre de la Justice ?

Il est notamment prévu qu'il y ait des remontées d'informations pour des affaires qui posent des problèmes juridiques. Cela s'entend. Dans ce cas-là, on peut imaginer des remontées d'informations à visée générale. Par exemple, on peut dire que l'on constate de plus en plus d'infractions de tel type, or, il y a un problème de qualification pénale. C'est tout à fait envisageable. La remontée se ferait sans parler d'un dossier en particulier. 

Dans ce cas précis [concernant Jean-Jacques Urvoas et Thierry Solère], si les faits sont avérés, il s'agirait d'une remontée d'informations dans un dossier qui concerne une personnalité politique. Pourquoi ? A quoi cela sert-il ? Pourquoi le pouvoir exécutif se sent-il autorisé soit à intervenir, soit à diffuser ces informations ? C'est scandaleux. Après cette demande de remontée d'informations dans cette affaire, la décision du procureur, quelle qu'elle soit, sera entachée de suspicion. Il ne faut pas oublier que le parquet est soumis au ministre. Il peut nommer un procureur, il peut le muter, le poursuivre disciplinairement et prendre la décision disciplinaire. Donc le ministre de la Justice a tout pouvoir, ou presque, sur le parquet. 

Comment empêcher ces suspicions ?

Il faut couper le lien hiérarchique entre les magistrats du parquet et le pouvoir exécutif. Cela peut se faire avec une loi organique, en passant par le Parlement. Sauf qu'il n'y a pas de volonté politique, nous l'avions déjà demandé lors de la réforme du statut des magistrats en 2016, sans succès. Il faut également modifier le statut des magistrats du parquet pour qu'ils soient indépendants. Cela nécessite une réforme constitutionnelle. 

La Cour de justice de la République est saisie pour avis dans le cas de Jean-Jacques Urvoas. Quelle pourrait être la suite ?

Si jamais l'infraction est caractérisée, le ministre sera renvoyé devant la Cour de justice de la République, juridiction habilitée à juger les anciens membres du gouvernement. Mais celle-ci est composée de députés et de sénateurs. La question de son impartialité se pose... Emmanuel Macron s'est d'ailleurs prononcé en faveur d'une réforme de la composition de cette Cour de justice.

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