La CJR, un tribunal pour ministres dans le viseur de Hollande
Le candidat PS souhaite supprimer la Cour de justice de la République. Chargée de juger les membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions, elle est critiquée pour son manque d'indépendance.
Doit-on continuer à faire juger les ministres par des pairs politiques ? Le candidat socialiste à l'Elysée, François Hollande, a proposé de "faire voter une loi supprimant la Cour de justice de la République" (CJR) dans un discours prononcé lundi 6 janvier à Paris. Ce tribunal d'exception, chargé de juger les ministres dans l'exercice de leurs fonctions et composé d'une majorité de parlementaires, est selon lui contraire à l'égalité des citoyens devant la loi. Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a lui dénoncé mardi une entreprise de déconstruction de "toutes les institutions, tous les principes et toutes les valeurs de la République".
• La Cour de justice de la République, c'est quoi ?
C'est le tribunal des ministres. Il juge les crimes et délits commis en tant que membres du gouvernement. La Cour concerne aussi bien le Premier ministre, que les ministres ou les secrétaires d'État, qui restent passibles des tribunaux ordinaires pour les infractions ne relevant pas de leurs attributions officielles.
Créée en 1993 sous François Mitterrand, la CJR est composée de quinze juges nommés de façon "juridico-politique" : trois magistrats sont issus de la Cour de cassation, six sont députés et six, sénateurs, élus par leurs pairs. Elle peut être saisie à l'occasion de plaintes individuelles ou de demandes du parquet, qui passent d'abord par deux "filtres" de magistrats professionnels. Ses décisions sont susceptibles d'un pourvoi en cassation uniquement.
Parmi les mille plaintes reçues par la CJR et la dizaine de décisions rendues depuis sa naissance, l'une des affaires les plus marquantes de la Cour demeure celle du "sang contaminé" en 1999. Accusés d'homicides involontaires et d'atteintes involontaires à l'intégrité physique, l'ancien Premier ministre Laurent Fabius et les anciens ministres Georgina Dufoix et Edmond Hervé n'ont alors écopé d'aucune peine, bien que le troisième a été reconnu coupable.
En 2010, impliqué dans trois affaires de malversation, Charles Pasqua a été condamné après huit ans de procédure à une année de prison avec sursis.
• Pourquoi la CJR est-elle critiquée ?
Pour François Hollande, "les ministres doivent être des citoyens comme les autres" et donc être "soumis aux juridictions de droit commun", même dans l'exercice de leurs fonctions. Or la composition de la CJR "crée un doute sur son impartialité", du fait de la présence d'une majorité de parlementaires. La proposition du candidat socialiste s'inscrit donc dans son argumentaire sur l'indépendance de la justice, "une exigence qu'il faut garantir au justiciable".
"Très souvent, les 'juges' sénateurs ou députés connaissent très bien les ministres qui passent en jugement, donc ils ont beaucoup de mal à s'abstraire et à juger en toute objectivité", reconnaissait en 2011 le président de la CJR de l'époque, Henri-Claude Le Gall, dans un reportage de l'AFP. La suppression de ce tribunal d'exception avait déjà été réclamée par Robert Badinter en 2010.
Lors de sa création il y a près de 20 ans, la CJR représentait pourtant une avancée. L'institution qui pouvait juger les ministres dans l'exercice de leurs fonctions était auparavant la Haute Cour, dont la saisine n'appartenait qu'aux parlementaires. Le comité Vedel, chargé de la révision constitutionnelle de 1993, voyait dans ce mode de saisine un "risque d'obéir à des considérations plus politiques que juridiques et judiciaires". Il a donc proposé la "création d'une juridiction proche des juridictions ordinaires, mais néanmoins spécifique", la CJR.
• Pourquoi la droite s'oppose à cette suppression ?
Henri Guaino a dénoncé mardi "à titre personnel" sur Europe 1 "une très mauvaise idée". Rappelant que l'Etat lui-même "a une justice spécifique, la justice administrative, faite pour protéger l'action, la souveraineté, l'autorité de l'Etat", le conseiller spécial du président Sarkozy a affirmé que "les ministres exercent une fonction particulière de souveraineté et la procédure spécifique répond à la spécificité de leur fonction". Il s'est "opposé à cette volonté qu'ont certains de détruire pas à pas toutes les institutions, tous les principes et toutes les valeurs de la République".
Deux dossiers sont actuellement instruits par la CJR. L'un vise la revente d'un terrain compiégnois par Eric Woerth quand il était ministre du Budget ; l'autre concerne Christine Lagarde, actuelle directrice du Fonds monétaire international et ex-ministre de l'Economie de Nicolas Sarkozy, à propos d'un arbitrage ayant abouti au versement de 285 millions d'euros de fonds publics à Bernard Tapie. Dans l'hypothèse où la CJR serait supprimée, ces affaires devraient vraisemblablement être menées à terme et deviendraient donc les deux dernières de la Cour, abandonnée ensuite au profit des tribunaux ordinaires.
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