Cet article date de plus de quatre ans.

Document franceinfo
"J'ai fermé le rideau de fer et j'ai eu l'impression de nous enterrer vivant" : la caissière de l'Hyper Cacher raconte son face-à-face avec Amedy Coulibaly

Zarie Sibony témoigne sur franceinfo avant de s'exprimer mardi au procès des attentats de janvier 2015.

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'Hyper Cacher porte de Vincennes à Paris, après l'attentat du 9 janvier 2015. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / MAXPPP)

Elle a passé 4h04 minutes enfermée dans l’Hyper Cacher avec le terroriste Amedy Coulibaly. Zarie Sibony, 28 ans, doit témoigner mardi 22 septembre devant la cour d’assise spéciale des attentats de janvier 2015. Le procès s’intéresse cette semaine à la prise d’otage du supermarché, qui a fait 4 morts le 9 janvier 2015. Malgré les cinq ans et demi qui ont passé, Zarie Sibony se souvient de chaque détail de cette terrible journée.

À l’époque, la jeune fille longiligne aux long cheveux noirs n’a que 22 ans et vient d’être embauchée comme caissière à l’Hyper Cacher. Ce vendredi 9 janvier 2015, c’est Shabbat, jour de repos pour les Juifs, et le magasin doit bientôt fermer. Il est 13h06, quand Amedy Coulibaly entre. Zarie Sibony entend la première détonation. Autour, les clients prennent la fuite. Elle se cache sous la caisse. "J'ai entendu des pas lourds qui revenaient vers moi, raconte-t-elle. J'ai vu ses bottes militaires, j'ai vu comment il était habillé. J'ai vu ses armes. Là, j'ai compris qu'il y a avait un problème. C'est là qu'il s'est mis en face de moi et il m'a dit : 'Ah ! T’es pas encore morte, toi, tu ne veux pas mourir'. Il a tiré. J'ai entendu la détonation. Il est parti et j'ai remarqué qu'après, je pouvais bouger. Je ne comprenais pas comment il avait réussi à me rater."

Un client abattu sous ses yeux

Épargnée, Zarie Sibony va devoir obéir au terroriste : descendre chercher les otages cachés au sous-sol, montrer les caméras de vidéo-surveillance, ou encore se dépêcher d’aller fermer le rideau de fer à l'entrée du magasin. "J’ai commencé à baisser le rideau de fer. Et là, j'ai vu qu'il y avait quelqu'un qui essayait d'entrer. C'était un client que j'avais déjà vu. Il m'a dit : 'Ne vous inquiétez pas, je prends vraiment une ou deux choses et je sors.' Et donc il est rentré. Il a tout de suite compris. Il a vu un corps. Il a vu le terroriste en face de lui, armé. Il s'est retourné pour sortir. Mais il lui a tiré deux balles dans le dos. Il est tombé en arrière et il est mort. J'ai fermé le rideau de fer et j'ai eu l'impression de nous enterrer vivant."

Zarie Sibony va passer plus de quatre heures avec Amedy Coulibaly. Et il va lui parler. Beaucoup. Face à elle se trouve un homme armé jusqu’aux dents : deux kalachnikovs sous le bras, son sac de sport est rempli de grenades, de bâtons de dynamite, et de couteaux. Musclé, visiblement entraîné au combat, il est là pour tuer.

"Il avait un ton très détaché, très sûr de lui" : la caissière de l'Hyper Cacher raconte son face à face avec Amedy Coulibaly

Aux otages, Amedy Coulibaly détaille son projet mortifère et parle d’une action coordonnée. "Au début, je pensais qu'il était venu pour l'argent, se souvient Zarie Sibony. Parce que pour moi, même si ce n'est pas croyable, on ne peut pas tuer pour rien. Et il a rigolé. Il m'a dit que les frères Kouachi et lui, c'était une même équipe, qu'ils s'étaient divisés en deux, qu'eux étaient responsables de 'Charlie Hebdo' et que lui, il était responsable de la policière et de nous." À 17h10 ce vendredi 9 janvier 2015, l’assaut est donné par les forces de l'ordre. Amedy Coulibaly riposte longuement. Au milieu des balles, Zarie Sibony attend la mort, mais c’est le terroriste qui est abattu. Vingt-six otages sont libérés, dont Zarie Sibony.

Cinq ans après, le traumatisme est toujours là

Commence alors une longue reconstruction. La première année après l’attentat a été très dure, mais la jeune femme se considère comme une miraculée. De quoi lui donner la force de se battre pour refaire surface. À force de séances dans le bureau d’un psychologue, les cauchemars ont disparu. Mais les images, les bruits, l'odeur... tout cela reste gravé. Zarie Sibony a finalement quitté la France pour Israël où elle suit des études d’infirmière. "C'est vrai que même si là-bas, c'est un pays sous tension, que oui, c'est la guerre et que là-bas aussi, il y a des attentats, ce n'est pas du tout à la même échelle. Je me sens beaucoup plus en sécurité parce que l'endroit est beaucoup plus sécurisé. Justement, ils s'attendent à ce que puisse arriver ce genre de choses. Donc il y a des soldats et des policiers partout."

Je me sens plus comprise en Israël.

Zarie Sibony

à franceinfo

Malgré le reconfinement imposé en Israël vendredi dernier, Zarie Sibony a réussi à venir en France pour assister au procès des attentats de janvier 2015. Une épreuve qui l’angoisse, mais elle espère franchir un cap : "J'espère que c'est l'étape cruciale, en fait. Et qu'enfin, après ça, ce sera fini, que je vais pouvoir me détacher de ça."

Quelle réaction face aux accusés ?

Mardi, elle doit témoigner à la barre. C’est une responsabilité envers "son amie et collègue, Andrea, caissière comme elle, et qui était à ses côtés pendant toute la durée de la prise d’otage, explique leur avocat, maître Elie Korchia. Zarie a eu la ressource insoupçonnée ce jour-là d’être face au terroriste pendant quatre heures. Andrea a vécu ça avec un énorme stress sur le moment. Et dans le temps qui a suivi, Andrea a vécu un traumatisme très lourd. Elle habite aujourd’hui comme Zarie en Israël, elle voulait venir, mais pour elle, c’était vraiment trop lourd."

À l'approche de l'audience, Zarie Sibony s’interroge. Aura-t-elle "le cran" de regarder les accusés dans les yeux ? Elle ne sait pas. Ceux qui sont présentés par l’accusation comme les complices des terroristes sont "responsables, ils ont eux aussi du sang sur les mains", assure Zarie Sibony. Elle est prête à "témoigner, témoigner à l'infini" pour que justice soit rendue.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.