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Projet de loi de bioéthique : comment la gestation pour autrui est apparue dans le débat, contre l'avis du gouvernement

Jeudi soir, les députés ont voté un amendement au projet de loi de bioéthique, permettant la reconnaissance en France de la filiation faite à l'étranger d'enfants issus de gestation pour autrui (GPA) dans des pays où cette pratique n'est pas illégale. Le vote a pris de cours le gouvernement.  

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le député LREM Jean-Louis Touraine, rapporteur du projet de loi relatif à la bioéthique, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 15 janvier 2019.  (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Jusqu'à présent, "tout se passait formidablement bien". "Le débat était apaisé, c'était très confortable", relate le député LREM Guillaume Chiche, coresponsable et fervent défenseur du projet de loi de bioéthique, auprès du Journal du Dimanche. "Il y avait un vrai consensus pour ne pas faire figurer la GPA dans le projet de loi", explique-t-il à franceinfo. 

Mais à deux jours de la manifestation de "Marchons enfants", collectif opposé à ce projet de loi, un vote inattendu a pris de cours le gouvernement, comme une partie de la majorité. Jeudi 3 octobre dans la soirée, un amendement proposé par l'un des rapporteurs du projet de loi, Jean-Louis Touraine, avec 13 autres députés LREM, a été voté. Il propose la reconnaissance en France de la filiation des enfants nés de gestation pour autrui (GPA) à l'étranger – malgré l'opposition du gouvernement.

Depuis le lancement des débats sur la révision des lois de bioéthique (qui prévoit notamment l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation à toutes les femmes) l'exécutif avait réitéré son refus de légaliser la GPA en France. Un moyen de faire face à l'un des principaux arguments des anti-PMA pour toutes : l'idée selon laquelle la GPA viendrait inévitablement après l'extension de la PMA. Le vote d'un amendement mentionnant cette pratique a mis à mal cette stratégie, à 48 heures d'une première mobilisation de "Marchons enfants". 

Surprise dans l'Hémicycle

Ce soir du 3 octobre, quelque 30 députés sont présents dans l'Hémicycle pour l'examen de l'article 4 du projet de loi de bioéthique, relate Le MondeVers 22 heures, un amendement proposé par Jean-Louis Touraine et 13 autres élus de la majorité est adopté. Il est décisif : s'il entre en vigueur, il permettra de retranscrire dans le droit français une filiation faite à l'étranger pour un enfant né d'une gestation pour autrui dans un pays où cette pratique est autorisée. "La transcription sera soumise au contrôle du juge français qui devra notamment vérifier l’authenticité de l’acte étranger", précise un journaliste de La Croix suivant le débat au Palais Bourbon. 

A l'heure actuelle, la loi française stipule que la mère d'un enfant né de GPA à l'étranger est celle qui accouche. La "mère d'intention" de cet enfant, ou son "père d'intention" dans le cas d'une famille homoparentale, doit lancer une procédure d'adoption en France afin que la filiation soit établie dans l'Hexagone. En avril, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a appelé à la reconnaissance de la filiation pour la "mère d'intention", dans l'intérêt de l'enfant, rappelle Le MondeLa justice européenne a néanmoins laissé aux Etats la possibilité de trouver d'autres voies pour reconnaître cette filiation, telle que l'adoption. 

A l'heure du vote, Jean-Louis Touraine défend sa décision. 

Les enfants ne sont pas responsables de leur mode de procréation et ne doivent pas être pénalisés. Ils doivent être reconnus comme les autres. Fini le temps des bâtards qui n'avaient pas les mêmes droits que les enfants légitimes.

Jean-Louis Touraine, député LREM et rapporteur du projet de loi de bioéthique

à l'Assemblée nationale

Au Palais Bourbon, l'adoption de cet amendement prend de cours la majorité et les ministres en charge du projet de loi. "Ça m'a fait bien rire de voir paniquer tout le monde : les responsables du groupe, les collaborateurs de la ministre [de la Justice, Nicole Belloubet], et du Premier ministre", se remémore auprès du JDD une députée présente lors du vote. "C'est très simple, cela a été une véritable surprise", relate auprès de franceinfo Guillaume Chiche. 

Au sein de la majorité, les gens étaient très surpris et plutôt mécontents. Franchement, ce n'est pas du tout à l'image de ce que l'on porte majoritairement dans le groupe. Et à deux jours de la manifestation, ce n'est quand même pas très responsable.

Guillaume Chiche, député LREM

à franceinfo

Le président du groupe LREM à l'Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, évoque même "une erreur de vote". Quant à Coralie Dubost, autre rapporteure du projet de loi, elle émet un avis défavorable contre l'amendement. Son adoption montre des divisions dans la majorité, et ébranle sa volonté d'un "débat apaisé". "Aborder la GPA est de nature à défouler les passions", regrette Guillaume Chiche.

"La porte à la légalisation de la GPA en France"

Immédiatement, plusieurs élus de droite s'estiment trahis. Des tensions apparaissent dans l'Hémicycle. Coralie Dubost appelle ses collègues au calme, et le député de l'UDI Yannick Favennec Becot doit rappeler que "cet amendement n’a pas pour but de légaliser la GPA en France", relève Le Monde.

"On vous avait dit que la GPA s'inviterait dans le débat. Ce soir, elle a partiellement obtenu gain de cause", dénonce la députée LR du Doubs Annie Genevard. Et l'élu LR du Bas-Rhin Patrick Hetzel de renchérir : "Ce soir, je suis très triste pour mon pays. Je vis un cauchemar. (...) Avec l’adoption de l’amendement Touraine, vous venez de mettre le pied dans la porte de la légalisation de la GPA en France."

Sur les réseaux sociaux, d'autres opposants haussent le ton. La Manif pour tous, qui prépare sa mobilisation contre l'extension de la PMA, ne tarde pas à réagir. Pour elle, l'amendement est l'occasion de répéter son argumentaire d'un lien entre PMA et GPA. Et "pour dire non à la GPA, il faut donc commencer par dire non à la PMA sans père", glisse-t-elle dans un communiqué le lendemain matin.

Le message est stratégique, à deux jours de la manifestation de "Marchons enfants". Une évolution vers une légalisation de la GPA est en effet l'une des principales craintes exprimées par les anti-PMA pour toutes. "Qui peut encore croire que la GPA ne sera pas la suite logique de la PMA ?" dénonce auprès de franceinfo Bénédicte Louis, de l'association lyonnaise proche de la Manif pour tous Cosette et Gavroche. "En 2012 et 2013, nous étions contre le mariage et l'adoption par les couples de même sexe, car il allait ouvrir au droit à la PMA pour toutes et à la GPA", poursuit Benoît Sevillia des Eveilleurs d'espérance, un mouvement "néo-conservateur" ayant rejoint "Marchons enfants". 

Aux yeux d'un élu d'opposition cité par La Croix, l'adoption de cet amendement est "une faute politique mais aussi stratégique, surtout à 48 heures d’une manifestation". "Le débat n'est pas si apaisé que le gouvernement le voudrait."

Le gouvernement dans l'embarras

La réaction des ministres concernés est, elle aussi, immédiate. "Nous avons interdit dans notre droit la GPA, c'est une question d'ordre public", réaffirme la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. "Nous voulons aussi la reconnaissance d'un état civil pour les enfants", mais à travers "une retranscription partielle de l'acte d'état civil au regard du père biologique et un processus d'adoption pour l'autre parent", défend la garde des Sceaux. Dans la foulée, Nicole Belloubet assure que le gouvernement "demandera une seconde délibération" sur l'amendement. Celle-ci peut-être initiée par l'exécutif, et aura lieu à la fin de l'examen du projet de loi, précise l'Assemblée nationale

Vous avez un vote qui s'est déroulé un jeudi soir à 22 heures... Il faut reconvoquer la représentation nationale, lui redonner l'opportunité de s'exprimer sur ce sujet.

Guillaume Chiche, député LREM

à franceinfo

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, suit la réaction de Nicole Belloubet en réitérant l'opposition du gouvernement. "Nous sommes résolument contre et définitivement contre la GPA et la légalisation automatique des enfants. Nous redonnerons le sens de la loi", prévient-elle sur Twitter, le soir même du vote. 

Une position réaffirmée par la majorité LREM, en réponse aux auteurs de l'amendement. Dans l'Hémicycle, Aurore Bergé, s'exprimant au nom du président du groupe Gilles Le Gendre, insiste : "Notre groupe est opposé à la GPA, ne considère pas qu'il n'y a de GPA éthique et entend bien en seconde délibération voter contre cet amendement". La députée, coresponsable du projet de loi, répète ces propos auprès de Public Sénat le lendemain. 

La réponse de l'exécutif et de la majorité est délicate car, comme le défend Jean-Louis Touraine, "la reconnaissance des enfants nés par GPA à l'étranger" est un engagement de campagne d'Emmanuel Macron. Le président de la République "s’est engagé à faciliter la transcription", tempère auprès de La Croix Aurore Bergé. "Une circulaire est en préparation pour homogénéiser les procédures sur le territoire et faire en sorte qu’elles ne prennent pas deux ans", assure-t-elle. 

Le débat reprend de plus belle vendredi quand, au lendemain du vote à l'Assemblée nationale, la Cour de cassation reconnaît le lien de filiation dans le cas de la famille Mennesson, dont les jumelles ont été conçues par GPA en Californie (Etats-Unis). La justice autorise donc, comme le préconise l'amendement voté la veille, la transcription dans le droit français des actes de naissance étrangers reconnaissant la mère de Fiorella et Valentina. "La prohibition de la GPA reste la règle, mais l’intérêt de l’enfant est pris en compte", réagit sur franceinfo Agnès Thibault-Lecuivre, porte-parole du ministère de la Justice. Avant d'insister : "La GPA reste une ligne rouge infranchissable."

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