Nucléaire : ce que l'on sait des fissures découvertes récemment dans plusieurs réacteurs français
La maintenance des centrales nucléaires françaises est-elle à revoir ? L'Autorité du sûreté du nucléaire a annoncé, jeudi 9 mars, qu'EDF avait découvert un défaut "non négligeable" sur une soudure d'une tuyauterie à Penly 2 (Seine-Maritime) et Cattenom 3 (Moselle). Cela vient s'ajouter à la découverte, quelques jours plus tôt, d'une fissure de taille encore jamais vue dans le réacteur de Penly 1. Voici ce que l'on sait de ces défauts qui posent la question du calendrier de maintenance des centrales nucléaires françaises.
Deux fissures "non négligeables" à Penly 2 et Cattenom 3
Les deux derniers défauts "non négligeables" détectés dans les centrales nucléaires françaises ont été révélés mercredi par l'Autorité de sûreté du nucléaire. Selon une note de l'ASN, des contrôles "ont permis de détecter la présence de fissures de fatigue thermique", dans le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime) et le réacteur 3 de la centrale de Cattenom (Moselle).
A Penly 2, la fissure mesure 57 mm de long, représentant moins de 10% de la circonférence de la tuyauterie, pour une profondeur maximale de 12 mm. L'autre fissure a été repérée à Cattenom 3, longue de 165 mm (représentant environ le quart de la circonférence du tuyau), pour une profondeur maximale de 4 mm.
La fatigue thermique apparaît sur les aciers inoxydables quand une pièce est soumise à des variations de températures. Ce phénomène est "bien connu et surveillé de longue date au titre des programmes historiques de maintenance préventive", selon EDF. En revanche, il n'était pas attendu sur la zone de la tuyauterie où il a été découvert, d'après l'ASN.
Une fissure "particulièrement profonde" à Penly 1
La première alerte a été donnée par l'entreprise EDF elle-même dans une note publiée le 24 février, mais médiatisée seulement le 7 mars après la publication d'un article sur le site Contexte. L'énergéticien français annonce avoir décelé à Penly 1 (Seine-Maritime) un "défaut significatif de corrosion sous contrainte" sur une conduite de secours servant à refroidir le réacteur en cas d'urgence. Cette fissure a été détectée lors d'"expertises métallurgiques" sur le réacteur à l'arrêt pour maintenance.
Jusqu'ici, dans les cas de corrosion sous contrainte, il n'était question que de microfissures, de l'ordre de quelques millimètres. Mais la nouvelle fissure qui se trouve à proximité d'une soudure, "s'étend sur 155 mm, soit environ le quart de la circonférence de la tuyauterie, et sa profondeur maximale est de 23 mm, pour une épaisseur de tuyauterie de 27 mm", détaille l'ASN. "C'est une fissure particulièrement profonde. On était donc assez proche d'une fuite", explique Karine Herviou, la directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
"En raison de ses conséquences potentielles et de l'augmentation de probabilité d'une rupture", l'Autorité de sûreté nucléaire a classé cet événement "au niveau 2 de l'échelle INES", l'échelle internationale de classification des incidents nucléaires civils, qui en compte huit au total. La tuyauterie aurait pu être fragilisée par une opération de réparation visant à "réaligner" des circuits, au moment même de la construction du réacteur dans les années 1980.
Le phénomène de "corrosion sous contrainte" pointé du doigt
La fissure la plus importante, à Penly 1, est liée au phénomène dit de "corrosion sous contrainte". Bien connue dans l'industrie, la corrosion sous contrainte signifie qu'un matériau se dégrade et se fissure au contact d'un environnement chimique, sur quelques millimètres. Ce phénomène a été décelé en octobre 2021, à proximité de soudures sur des portions de tuyauterie en acier inoxydable. Cela touche notamment les circuits d'injection de sécurité, qui servent à envoyer des trombes d'eau borée (contenant de l'acide borique) pour refroidir le réacteur en cas d'accident.
Depuis sa détection, EDF s'est aperçu que le problème touchait surtout les réacteurs les plus récents et puissants (1 300 et 1 450 MW), à cause de leurs sections de tuyauteries plus longues, avec plus de soudures, donc plus fragiles.
Les fissures détectées à Penly 2 et Cattenom 3 ne sont pas liées à la "corrosion sous contrainte" mais sont présentes sur des zones sensibles à ce phénomène.
EDF sommé de réviser sa stratégie de contrôle et de réparation
EDF a été forcée depuis fin 2021 d'arrêter nombre de réacteurs pour les contrôler et les réparer : 16 des 56 réacteurs français sont concernés. Les travaux sont en cours ou prévus en 2023 pour 10 d'entre eux. Initialement, EDF avait prévu d'inspecter les réacteurs d'abord par ultra-sons (sans avoir à découper les tuyaux) avant d'annoncer en décembre des réparations d'office.
Avec ces nouvelles fissures, de nouvelles incertitudes émergent. EDF doit ainsi remettre à l'Autorité de sûreté nucléaire une stratégie de contrôle révisée dans les prochains jours. Après la fissure importante détectée à Penly 1 dans une zone normalement "non sensible" au phénomène de corrosion sous contrainte, "EDF va donc devoir contrôler un peu plus largement ses tuyauteries susceptibles d'être concernées", explique Karine Herviou.
Les deux fissures de Penly 2 et Cattenom 3, elles, ne changent pas le programme de contrôles à court terme, mais "EDF devra adapter son programme de maintenances pour inclure les contrôles sur la fatigue thermique sur des zones plus larges", précise Julien Collet, le directeur général adjoint de l'ASN, interrogé par l'AFP.
La production d'électricité française probablement affectée
Ces fissures sont une mauvaise nouvelle pour le niveau de production d'énergie nucléaire en France. Au total, l'électricien va devoir vérifier 200 soudures dans l'ensemble de son parc, selon l'ASN. "Il ne va pas y avoir des arrêts massifs des réacteurs pendant des mois, mais ça aura un impact en termes de durée des arrêts", fait savoir Julien Collet, le directeur général adjoint de l'Autorité de sûreté nucléaire. Dans ce contexte, faut-il alors s'attendre à un nouvel hiver difficile, sur le plan de la production d'électricité ? "C'est vraiment trop tôt pour le dire", estime Yves Marignac, porte-parole et responsable de l'expertise nucléaire au sein de l'association NégaWatt.
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