"Il a écouté les souffrances, mais il ne les a pas entendues" : au procès de l'ex-père Preynat, les victimes doutent de la sincérité de ses excuses
L'ex-prêtre Bernard Preynat, jugé à Lyon pour avoir abusé sexuellement de nombreux scouts, âgés de 7 à 15 ans au moment des faits, entre 1971 et 1991.
C'est une affaire d'agressions sexuelles emblématique de l'omerta de l'Église sur la pédophilie. Au moins huit ans de prison ferme ont été requis, vendredi 17 janvier à l'encontre de l'ex-prêtre Bernard Preynat, jugé à Lyon (Rhône) pour des faits commis entre 1971 et 1991. Le tribunal rendra sa décision le 16 mars dans ce dossier "hors du commun" selon la procureure, Dominique Sauves.
Ce procès était très attendu depuis que l'affaire a éclaté fin 2015, quand des plaintes ont enfin été déposées, éclaboussant la hiérarchie catholique à travers le cardinal Philippe Barbarin, condamné l'an dernier pour ses silences sur l'affaire. "Dieu merci nous y sommes", a ainsi déclaré la magistrate au début de son réquisitoire, durant lequel l'ex-prêtre est resté impassible, figé sur sa chaise et regardant droit devant lui, comme pendant toute l'audience.
"Ce n'est pas le procès d'une lâcheté collective ou d'une institution mais celui d'un homme qui avait mis en place sa propre structure pour répondre à ses pulsions car il avait besoin de disposer d'un vivier varié et toujours alimenté de petites victimes", a dit la magistrate, accusant le prévenu d'avoir d'avoir "brisé" les vies de scouts âgés de 7 à 15 ans au moment des faits.
#Preynat La magistrate commence par évoquer « ce dossier tant attendu, 531 cotes, 5 tomes, des auditions pendant des dizaines d’heure, quatre ans et demi de procédure car il a fallu que les langues se délient »
— Catherine Fournier (@cathfournier) January 17, 2020
"Il n’entend pas. [Il] reconnaît mais minimise (...)"
"Je m'excuse auprès des victimes, de leurs familles, des autres prêtres, du diocèse et de toute l'Église que j'ai salie par mes agissements", a déclaré le prévenu à la fin de l'audience, réaffirmant que "depuis 1991", il a été "fidèle à la promesse faite à monseigneur Decourtray", l'archevêque de l'époque, en ne touchant plus aucun enfant.
Mais au cours de ces jours de procès, l'atitude et les paroles de l'accusé, qui a demandé pardon, n'ont pas convaincu les neuf victimes venues livrer des témoignages douloureux (de nombreuses autres n'ont pu porter plainte du fait de la prescription). Il a d'autant moins convaincu les parties civiles que le prévenu, s'il reconnaît la plupart des faits qu'on lui reproche, en a démenti certains et minimisé d'autres. Pour la procureure, "il a écouté les souffrances des victimes, mais il ne les a pas entendues".
#Preynat #requisitoire « Cette perversité prend toute sa dimension à travers cette audience. Il n’entend pas. Ses victimes non prescrites en sont convaincues. Pour eux, il joue un rôle, il sauve sa peau, reconnaît mais minimise, ne se souvient pas »
— Catherine Fournier (@cathfournier) January 17, 2020
La procureure pointe les dénégations de #Preynat: « des baisers sur la bouche avec la langue, ah non ce n’est pas son habitude, ils étaient ses préférés ses chouchous, ah non il n’a jamais dit ça, des agressions dans son bureau, la sacristie... ah non, pas dans l’église »
— Catherine Fournier (@cathfournier) January 17, 2020
Alors que ses victimes ont fait le récit, glaçant et poignant, des attouchements, baisers sur la bouche et masturbations qu'il leur imposait, s'est dessiné le profil d'un aggresseur en série, qui avait beaucoup d'emprise sur son entourage qui l'adulait. Le nombre de victimes potentielles donne le vertige : jusqu'à "quatre ou cinq enfants" par semaine durant les camps d'été, a-t-il admis.
"On m'a laissé devenir prêtre"
"Pour moi, à l'époque, je ne commettais pas d'agressions sexuelles, mais des câlins. Je me trompais. Ce qui me l'a fait comprendre, ce sont les accusations des victimes", a expliqué le prévenu. Et de pointer la responsabilité de l'Église. "On m'a dit: 'tu es un malade' (...) On aurait dû m'aider... On m'a laissé devenir prêtre", constate l'ancien prêtre.
Cet aîné d'une fratrie de sept, élevé dans la religion, commet ses premières agressions vers 16 ans, après en avoir subi lui-même dans son enfance, selon ses dires. Ce qui l'aurait conduit à les reproduire, pour une experte psychiatre. Ces confidences n'ont pas convaincu les parties civiles. "Preynat, c'est un menteur", a accusé vendredi Me Yves Sauvayre."On n'est pas obligé de me croire" mais "je n'ai pas menti. J'ai été sincère dans les réserves que j'ai exprimées" sur certaines accusations, a répondu le prévenu, conscient des "limites de sa mémoire".
"Vous allez prendre en considération que c'est 30 ans après qu'on le juge. Juger 30 après, c'est compliqué", a demandé son avocat au tribunal, en mettant en doute, à son tour, la véracité de certains témoignages. "Dur à entendre", a réagi l'une des victimes au sortir de l'audience.
#Preynat #defense « Mais est-ce que le drame ce n’est pas de ne pas l’avoir jugé en 1991? Vous allez devoir prendre en considération qu’on est 30 ans après et qu’on ne peut pas juger pareil »
— Catherine Fournier (@cathfournier) January 17, 2020
#Preynat #defense Me Doyez se met enfin à parler de son client et dénonce « le procès de sincérité qui lui est fait » (par rapport à sa reconnaissance des faits)
— Catherine Fournier (@cathfournier) January 17, 2020
#Preynat #defense Sur les réquisitions (au moins 8 ans de prison): « Il y a dans l’excès de la réclamation tout le caractère décalé d’une réponse d’actualité à des faits du passé »
— Catherine Fournier (@cathfournier) January 17, 2020
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