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Pédocriminalité dans l'Eglise : l'indemnisation des victimes, un "dû" difficile à financer par le don

Le chemin pour indemniser les nombreuses victimes s'avère compliqué. Entre ses finances limitées, le frein juridique de la loi de 1905 et le rapport Sauvé qui donne ses recommandations, l'Eglise doit trouver des solutions.

Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La messe de Pâques dans une église de Normandie, le 20 avril 2019. (Photo d'illustration)  (PREVOST VINCENT / HEMIS.FR / AFP)

Au lendemain de la publication du rapport de la commission Sauvé, la commission indépendante sur les violences sexuelles dans l'Eglise (Ciase), la question qui se pose est la suivante : qui va indemniser les victimes ? Car le nombre de victimes – 216 000 personnes qui ont fait l'objet de violences ou d'agressions sexuelles dans leur enfance de la part de religieux depuis les années 50, 330 000 si l'on ajoute les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l'Eglise catholique  – est vertigineux et montre bien l'ampleur de la pédocriminalité dans l'institution. Un problème récurrent et déjà dénoncé par le passé qui a poussé l'Eglise à créer, au printemps dernier, un fonds de dotation spécifique.

C'est ce fonds, alimenté par des évêques, des prêtres et des fidèles, qui devait verser, à partir de 2022, des indemnisations aux victimes qui le souhaitent. Problème : ce fonds ad hoc pourrait bien se montrer trop limité face à l'ampleur des réparations. Pour l'archevêque de Strasbourg, Mgr Luc Ravel, "le chemin qui s'ouvre devant nous est abyssal. Nous avions pensé à cinq, six, huit millions d'euros, en fait aujourd'hui il faudra peut-être compter en centaines de millions d'euros."

Autre problème : le rapport de la Ciase préconise que les réparations, "un dû" et non "un don", soient financées "à partir du patrimoine des agresseurs et de l'Eglise de France". En d'autres termes, c'est aux diocèses de mettre la main à la poche, pas aux fidèles. Pour la Conférence des évêques de France (CEF), ce n'est pas si simple. "La Ciase critique sévèrement le système que nous avons monté, donc il nous faut reprendre notre copie" reconnaît Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, mercredi sur franceinfo. Il regrette les fantasmes sur les richesses de l'Eglise catholique et rappelle que l'institution ne vit que des dons des fidèles. "Toutes nos ressources, ce sont des dons des fidèles. Nous n'avons aucune autre ressource." Par conséquent, demander aux associations diocésaines de financer ces réparations, c'est, de fait, demander aux fidèles de payer.

"Je ne vois pas bien qui va se porter acquéreur de nos églises"

Si on additionne les sommes totales des dons de tous les diocèses, les ressources courantes de l'Eglise catholique de France dépasse les 500 millions d'euros par an. La moitié de cet argent est utilisée pour les salaires des 15 000 prêtres et des 8 000 laïcs. Un tiers, 30%, pour l'immobilier, l'entretien des églises diocésaines et des bâtiments paroissiaux qui appartiennent à l'institution. Le reste, soit 20% de la somme, est dédié aux charges courantes. Alors, l'Eglise peut-elle vendre son patrimoine immobilier ? Pour Ambroise Laurent, secrétaire général de la Conférence des évêques de France en charge des affaires financières, la réponse n'est encore une fois pas si simple : "Je ne vois pas bien comment on va vendre des églises qui, en grande majorité, ne nous appartiennent pas. Pour les églises construites dans la banlieue parisienne, dans la banlieue lyonnaise ou bien dans les nouveaux quartiers de Rennes ou de Nantes, je ne vois pas très bien qui va se porter acquéreur de nos églises."

"Ce n'est pas un patrimoine immobilier de taille gigantesque. Notre patrimoine est essentiellement cultuel."

Ambroise Laurent, Conférence des évêques de France

à franceinfo

L'Eglise possède bien une trésorerie, une réserve d'argent constituée d'investissements divers issus de dons et de legs de fidèles. Cette enveloppe s'élève à 500 millions d'euros – l'équivalent d'une année de fonctionnement – et permet la prise en charge matérielle des prêtres, dont les retraites sont très faibles, et ce jusqu'à leur mort. 

Indemnisation des victimes : la réflexion reste ouverte

Autre obstacle dans ce dossier, cette fois juridique. La loi de 1905, qui encadre l'utilisation des ressources financières de l'Eglise. Selon le texte, les dons des fidèles, le denier du culte récolté dans chaque paroisse, ne peuvent être utilisés que pour les frais et l'entretien du culte. Un évêque ne peut pas, par exemple, verser de l'argent issu de ces dons au Secours catholique. Il ne peut donc pas davantage le verser aux victimes. Et c'est pour cela, que l'Eglise a créé ce fonds de dotation spécifique. Les évêques ont d'ailleurs commencé à y contribuer, avec leurs fonds personnels, en septembre dernier.

La Conférence des évêques de France précise que la réflexion sur le processus d'indemnisation des victimes se poursuit. Le sujet sera au menu de son assemblée plénière avec la Conférence des religieuses et religieux des instituts et congrégations (Corref), à Lourdes, au mois de novembre.

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