Pédocriminalité dans l'Eglise : que peut-on attendre de la Conférence des évêques de France après le rapport Sauvé ?
L'Assemblée des évêques de l'Eglise catholique se tient à Lourdes (Hautes-Pyrénées) pour une semaine, jusqu'au lundi 8 novembre.
Ils seront observés de près sur le dossier des violences sexuelles dans l'Eglise. Réunis à Lourdes (Hautes-Pyrénées) jusqu'au lundi 8 novembre, les évêques de France doivent se pencher sur les suites à donner au rapport choc de la Commission indépendante sur les violences sexuelles dans l'Eglise, présidée par l'ancien vice-président du Conseil d'Etat Jean-Marc Sauvé. Celle-ci a révélé l'ampleur du nombre de victimes de viols et agressions en France, évalué à 330 000 depuis 1950, tandis que le nombre de prédateurs, pendant ces 70 ans, est évalué à environ 3 000 hommes, prêtres ou religieux. Alors que l'Eglise est désormais sommée d'apporter des réponses concrètes à l'attente des victimes et des fidèles, que peut-on attendre de la Conférence des évêques de France ?
L'aveu de la responsabilité de l'Eglise
Dans ses recommandations, la commission Sauvé estime que l'Eglise doit "reconnaître, pour l'ensemble de la période analysée par la commission, (...) la responsabilité civile et sociale de l'Eglise indépendamment de toute faute personnelle de ses responsables". Elle juge aussi qu'il faut, plus globalement, "reconnaître la responsabilité systémique de l'Eglise" et "à ce titre, examiner les facteurs qui ont contribué à sa défaillance institutionnelle".
La Conférence des évêques de France sera-t-elle prête à prononcer un discours en ce sens ? "Il y a une très, très forte attente", a déclaré la directrice de la rédaction du magazine Témoignage Chrétien Christine Pedotti, mardi 2 novembre sur franceinfo. Mais parallèlement, la journaliste souligne que "depuis la publication du rapport Sauvé, finalement, on a surtout entendu beaucoup de silence". "Il y a une véritable inquiétude, me semble-t-il, sur le fait que les évêques ne se rendent pas compte de la déflagration qui vient de se produire, y compris à l'égard de leurs prêtres", a-t-elle conclu.
Selon un sondage Ifop pour le journal La Croix publié le 27 octobre, 76% des catholiques estiment que la réaction de l'épiscopat n'a pas été à la hauteur jusqu'à présent. Pour François Devaux, cofondateur de l'association de victimes La parole libérée, il est "impératif" que les évêques prononcent pendant leur réunion à Lourdes la "reconnaissance de la responsabilité de l'Eglise et engagent un processus de réparation".
D'éventuelles précisions sur l'indemnisation des victimes
Conséquence logique de cette responsabilité, l'indemnisation des victimes de viols et d'agressions sexuelles commis par des prêtres figurent parmi "les priorités" de cette Assemblée des évêques, a assuré l'épiscopat. Mais encore faut-il savoir à quelle hauteur, qui sera concerné et comment seront financées ces indemnités. Dans ses recommandations, la commission Sauvé préconise d'individualiser le calcul des indemnités en fonction des "préjudices subis". Elle propose de financer le fonds d'indemnisation "à partir du patrimoine des agresseurs et de l'Eglise de France", mais écarte la piste d'un appel aux dons des fidèles.
La Conférence des évêques de France s'est pourtant intéressée à cette dernière solution, au moins de façon partielle. En mars 2021, pour contribuer à l'indemnisation des victimes, l'épiscopat a en effet annoncé la création d'un "fonds de dotation" qui pourra être abondé par "les dons des évêques, des prêtres, des fidèles et de toute personne qui voudra y participer". Les statuts de ce fonds ont été "déposés" pendant l'été, selon les évêques. Interrogé sur franceinfo mardi 2 novembre, l'archevêque de Strasbourg a cependant, lui aussi, écarté "complètement" l'hypothèse de faire un appel aux dons pour financer l'indemnisation des victimes. "Ce serait très mal pris, très mal vécu, ça n'aurait pas de sens, a estimé monseigneur Luc Ravel. Donc il faut trouver de l'argent autrement."
Des réformes de l'Eglise catholique
Dans une Eglise catholique très hiérarchisée, les réformes doivent passer par un concile, une réunion d'évêques qui se tient sous l'autorité du pape. L'Assemblée des évêques peut néanmoins montrer qu'elle a entendu les critiques sur son fonctionnement. Dans ses recommandations, la commission Sauvé s'interroge sur le célibat, "au regard de la représentation du prêtre et du risque qui consisterait à lui conférer une position héroïque ou de domination". Il pose également la question de l'"ouverture de la prêtrise aux hommes mariés".
Selon un sondage commandé par le magazine Témoignage Chrétien, "sur les grandes réformes qui sont attendues dans l'Église, ce qui arrive en tête, c'est la demande d'un concile", précise Christine Pedotti. "Cela veut dire qu'il y a vraiment une très forte demande des catholiques pour qu'il y ait une grande mise à jour de l'Eglise", explique-t-elle. Les fidèles interrogés réclament notamment "des prêtres mariés, la présence des femmes" et "le partage du pouvoir entre les clercs et les laïcs", toujours selon Christine Pedotti.
Le sondage du quotidien La Croix publié le 27 octobre témoigne des mêmes attentes. Les catholiques français "réclament du changement sur la gouvernance avec un meilleur partage du pouvoir dans l'Eglise, en faisant notamment davantage de place aux femmes", écrit le journal.
La prise en compte de la parole des victimes
Certaines victimes seront entendues à Lourdes. Après s'être réunis à huis clos mardi matin pour commencer à examiner le rapport Sauvé, les évêques en ont reçu cinq dans l'après-midi, également à huis clos. Des victimes sont également invitées à s'exprimer en assemblée plénière vendredi 5 novembre, avec des membres de la Conférence des religieux et religieuses de France, des laïcs et clercs ayant participé à des groupes de travail, des membres de cellules d'écoute et des responsables de l'enseignement catholique. Enfin, samedi matin, un "geste mémoriel" symbolique est prévu en direction des victimes.
Mais cette écoute n'est jugée que très partielle par les collectifs et associations qui représentent les victimes. Regrettant que le rapport Sauvé ne soit pas le sujet unique de l'assemblée, aucun d'entre eux ne participe à la réunion. "Nous ne voulons pas être la caution d'un processus a minima, a déploré auprès de l'AFP Olivier Savignac, du collectif Parler et revivre. Ce qu'on attend, c'est une application pure et simple des recommandations de la commission Sauvé. (...) Cette thématique devrait être uniquement le centre de cette assemblée plénière." Jean-Marc Sauvé, d'ailleurs, n'a pas été invité à Lourdes.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.