: Témoignage Violences sexuelles dans l'Eglise catholique : Nanou raconte avoir été violée par des prêtres dès son plus jeune âge
Pendant les treize premières années de sa vie, elle et sa sœur ont été victimes d'abus commis par des prêtres. La commission Sauvé a recueilli son témoignage.
Les photos de famille sont rares, dans son petit pavillon de La-Tour-du-Pin (Isère). Il faut dire que Claudette Couturier, appelée Nanou, n'a pas eu d'enfance. "Ils m'ont volé treize ans de ma vie", dit-elle en parlant de ses agresseurs. La femme, aujourd'hui âgée de 65 ans, fait partie des toutes dernières personnes à avoir témoigné devant la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase), dont les conclusions sont dévoilées mardi 5 octobre.
A l'époque, elle habite avec sa sœur, à Vaulx-en-Velin (Rhône), chez sa grand-mère, une femme alcoolique et maltraitante. Régulièrement, le soir, les pères D., B. et F. viennent souvent dîner "chez la grand-mère". Mais pas seulement. "J'ai le souvenir d'être assise sur leurs genoux. Il mettait sa main dans ma culotte et il mettait ma main dans sa culotte", se souvient-elle. Quand la petite fille est couchée, ils viennent l'agresser sexuellement, lui imposer des fellations à tour de rôle.
La "sidération" des membres de la commission
Avant qu'elle ne partage son histoire devant la commission Sauvé, Nanou et sa sœur, également victime, ont vécu dans le silence. "A partir du moment où je ne dénonçais pas ce qu'ils faisaient, c'était moi la dégoûtante, c'était moi la coupable… A qui dire ce qui m'arrivait, avec cette profonde pensée que j'étais coupable parce que je les ai laissés faire ?", confie-t-elle.
Joël Molinario, théologien, membre de la Ciase, a écouté Nanou témoigner, pendant plus de deux heures, devant la commission d'enquête. Son témoignage est venu s'ajouter aux milliers d'autres recueillis pendant deux ans et demi. Il raconte comment, peu à peu, lui et les autres membres de la commission Sauvé ont dû ouvrir les yeux sur les violences sexuelles commises au sein de l’Eglise depuis les années 1950.
"Je n'avais pas idée de l'ampleur, de la gravité. Il y avait une part d'occultation, de ne pas trop vouloir entendre, de ne pas accepter ça. (...) Quand on a commencé à comprendre le phénomène, cela a été la sidération", raconte-t-il à franceinfo.
Réparer et prévenir
Au moment où l'affaire Preynat éclate dans la région lyonnaise, Nanou décide de mener l'enquête et de retrouver ses agresseurs. Deux d'entre eux sont morts, mais le troisième, le père B., est toujours en vie. En invoquant un faux motif, elle lui donne rendez-vous dans sa maison de retraite.
Leur entretien est filmé en caméra cachée par une journaliste de France 3. "Vous n'avez pas le souvenir d'avoir abusé de Nanou ?" lui demande-t-elle · "Non…" répond le vieil homme, à qui elle montre des photos d'elle enfant. Malgré ses dénégations, la réaction du prêtre est, pour elle, un aveu. "Je ne pouvais pas rêver mieux" assure-t-elle aujourd’hui.
La question de la réparation est au cœur du travail de la Ciase. Pour Joël Molinario, il faut envisager une "justice restaurative, sur le modèle de ce qui s’est passé en Afrique du Sud. Il ne suffit pas d'un jugement, parce qu'il y a des choses qui sont prescrites, mais une reconnaissance par la parole, par l'institution, par la victime, que cette personne a vécu cela."
Un autre enjeu crucial est de formuler des recommandations pour que ces violences sexuelles cessent enfin. Car selon les analyses statistiques menées par la commission, les agressions sexuelles continuent au sein de l'Eglise, comme l'explique Joël Molinario : "Cela ne baisse plus aujourd'hui, le phénomène ne disparaît pas".
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