Projet de loi contre les "séparatismes" : quelles sont les principales mesures du texte présenté en Conseil des ministres ?
Ce projet de loi, qui a pour ambition de fermer les angles morts de la République face à l'islamisme, a été présenté mercredi dans un contexte politique sensible.
Ecole obligatoire dès 3 ans, neutralité et protection des services publics, contrôle des associations, financement des cultes... Le texte contre les "séparatismes", rebaptisé projet de loi "confortant les principes républicains", a été présenté en Conseil des ministres mercredi 9 décembre, jour du 115e anniversaire de l'emblématique loi de 1905 sur la laïcité. Ce projet de loi d'une cinquantaine d'articles traduit la volonté du gouvernement, à la suite des discours d'Emmanuel Macron au Panthéon, à l'occasion du 150e anniversaire de la IIIe République, le 4 septembre, et aux Mureaux (Yvelines), le 2 octobre.
Les "principes" de laïcité "font l'objet d'attaques répétées, insidieuses" et ce "travail de sape est bien souvent le fait d'une idéologie pernicieuse portant le nom d'islamisme radical", a souligné le Premier ministre, qui a détaillé mercredi, depuis l'Elysée, le texte, entouré des principaux ministres concernés (Intérieur, Education, Justice). "Ce projet de loi n'est pas un texte contre les religions, ni contre la religion musulmane en particulier", a insisté Jean Castex. "C'est à l'inverse, une loi de liberté, c'est une loi de protection, c'est une loi d'émancipation face au fondamentalisme religieux", a-t-il argué. En attendant l'examen du projet de loi début 2021 à l'Assemblée nationale, franceinfo en liste les principales mesures.
Un article dit "Samuel Paty"
L'article qui instaure un délit contre la haine en ligne est l'un de ceux qui crispent les tensions. Dans le détail, le texte prévoit de créer un "nouveau délit de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser". Par exemple, diffuser le nom et l'adresse de quelqu'un à son insu sur les réseaux sociaux pourra être réprimé. Le but est de punir la divulgation d'informations nominatives qui pourraient exposer une personne à des violences. Cette disposition a été ajoutée après l'assassinat de Samuel Paty. Le nom et l'adresse du collège de professeur ont été diffusés sur Facebook, avant qu'il ne soit décapité par un terroriste islamiste à Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre. Interrogé à ce sujet, mercredi soir sur BFMTV, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a estimé que cet aspect du projet de loi aurait permis d'éviter sa mort. "C'est toujours difficile à dire mais je le crois", a-t-il répondu.
"Je suis parti de la mort de Samuel Paty", a expliqué, lors de la conférence de presse organisée sur le projet de loi, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. "C'est parti d'une vidéo, puis de propos haineux devenus mortifères, qui ont conduit à la mort de cet homme. Nous avons donc créé un délit de mise en danger de la vie d'autrui par divulgation d'informations relatives à sa vie privée", a-t-il justifié. Le texte prévoit de punir ce délit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Une peine aggravée à 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende lorsque la personne visée est dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.
Le Code de procédure pénale sera par ailleurs modifié afin de permettre des comparutions immédiates pour juger les propos haineux sur les réseaux sociaux, qui relèvent aujourd'hui de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Il s'agit de donner les moyens à la justice d'agir face à la "spirale de haine" en ligne sans toucher "une virgule" à la loi de 1881, soulignait le ministère de la Justice avant la présentation du texte. Cela permettra de faire juger bien plus rapidement les personnes qui ne relèvent pas de la responsabilité d'un directeur de la publication et ne concernera donc pas les journalistes dans le cadre professionnel, assurait la Chancellerie. "Qu'il n'y ait aucune confusion : les journalistes ne sont en aucune façon visés par ce texte", a insisté mercredi Eric Dupond-Moretti.
Le matin même, le garde des Sceaux a également annoncé que le numéro d'article de ce projet de loi a finalement été changé pour éviter tout imbroglio avec l'article 24 de la proposition de loi sur la "sécurité globale". "Je me suis dit si on fait 24 dans une loi et 25 dans l'autre, il y aura un risque de confusion. Et donc cet article 25 s'appelle l'article 18", a-t-il ajouté au sujet de cette "précision numérologique". "Trois magistrats, un juriste et des greffiers seront dédiés à la haine en ligne", a par ailleurs précisé Eric Dupond-Moretti à propos de cet article 18. Avant d'ajouter : "Ce n'est pas une compétence exclusive, et nous sommes non pas sur le terrain expérimental, mais presque. Pour le moment, c'est suffisant."
Des dispositifs pour améliorer la transparence des lieux de culte
Alors que les lieux de culte musulmans sont, pour des raisons historiques, en majorité régis par la loi de 1901 sur les associations, le texte les incite à s'inscrire sous le régime de 1905 visant les cultes, plus transparent sur le plan comptable et financier. En contrepartie, ils pourront avoir accès à des déductions fiscales ou encore tirer des revenus d'immeubles acquis à titre gratuit.
Les associations restant sous le statut loi 1901 auront les mêmes obligations que les associations loi 1905, mais pas les mêmes avantages. Les dons étrangers dépassant 10 000 euros seront soumis à un régime déclaratif de ressources. En outre, "la certification des comptes annuels par un commissaire aux comptes est prévue dès lors que l'association bénéficie d'avantages ou de ressources provenant de l'étranger".
Une disposition "anti-putsch" est prévue pour éviter toute prise de contrôle d'une mosquée par des extrémistes. Une "interdiction de paraître dans les lieux de culte peut être prononcée par le juge (...) en cas de condamnation pour provocation à des actes de terrorisme ou provocation à la discrimination, la haine ou la violence", indique le projet de loi. Le droit d'opposition du service Tracfin, organisme de Bercy chargé de la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, va être élargi pour contrer les "flux indésirables".
Sur ce point, le Conseil d'Etat est critique, selon Le Monde, qui a consulté l'avis rendu sur le texte. "Le projet de loi alourdit les contraintes pesant sur les associations cultuelles et modifie l'équilibre opéré en 1905 par le législateur entre le principe de la liberté de constitution de ces associations et leur nécessaire encadrement du fait qu'elles bénéficient d'avantages publics", note-t-il. Le Conseil d'Etat constate en outre que le projet impose des contraintes à des comportements qui "sont dans leur grande majorité respectueux des règles communes" et s'interroge sur la "capacité de la réforme à atteindre tous ses buts".
La scolarisation obligatoire à 3 ans
C'est une autre mesure très contestée. Actuellement, l'instruction est obligatoire en France dès l'âge de 3 ans et jusqu'à 16 ans, mais les familles peuvent choisir de faire l'école à la maison sur simple déclaration, comme le rappelle le site Service public. Cela concerne 62 000 enfants, selon l'Education nationale. En limitant l'instruction à domicile aux seuls problèmes de santé, le président de la République cherchait à éviter que des enfants se coupent du système scolaire et, par la suite, des valeurs de la République. Lors de son discours aux Mureaux, Emmanuel Macron s'était aussi alarmé de l'apparition de "structures nullement déclarées" sur le territoire français : "Des murs, presque pas de fenêtres, des femmes en niqab qui accueillent [les enfants], des prières, certains cours, voilà leur enseignement."
Si la scolarisation obligatoire à 3 ans vise clairement l'islamisme radical, elle a provoqué la colère de familles dont les enfants rencontrent des difficultés avec le système scolaire traditionnel. De son côté, le Conseil d'Etat a mis en garde le gouvernement, dans un avis, sur un risque d'inconstitutionnalité, l'obligeant ainsi à revoir sa copie. La plus haute juridiction administrative française propose, selon Le Monde, "plutôt que de supprimer la possibilité d'instruction dans la famille, de retenir une rédaction énonçant dans la loi les cas dans lesquels il sera possible d'y recourir". Lors de son interview accordée à Brut, Emmanuel Macron a en conséquence nuancé sa position : "Il faut que les bonnes exceptions qui correspondent aux situations que les gens vivent et qui correspondent à une liberté légitime, conforme aux valeurs de la République, puissent continuer à se faire."
Ainsi, dans sa version finale, le projet de loi mentionne que l'instruction à domicile sera plus strictement encadrée et ne sera possible que dans des cas spécifiques. Ces exceptions "doivent être conformes aux droits de l'enfant", a détaillé, mercredi, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Elles concernent "l'état de santé de l'enfant, son handicap (...), la pratique d'activité sportive ou artistique intensive (...), l'itinérance de la famille en France, (...) l'existence d'une situation particulière" si elle est justifiée par l'intérêt supérieur de l'enfant.
"L'instruction à domicile doit être tout à fait exceptionnelle. (...) Dans un certain nombre de cas, cela camoufle des structures clandestines salafistes, a estimé Jean-Michel Blanquer. Cette réalité sociologique, nous voulons la regarder en face : c'est pourquoi nous mettrons en place un régime d'autorisation de scolarisation à domicile, et non plus une simple déclaration."
Le texte renforce aussi l'encadrement des écoles hors contrat, notamment en introduisant "un régime de fermeture administrative" en cas de "dérives". "Nous pourrons désormais procéder à la consultation du casier judiciaire de tous les professeurs des écoles privées hors contrat. Nous pourrons renforcer le contrôle sur le financement de ces écoles", a précisé Jean-Michel Blanquer. Ouvrir un établissement scolaire privé en dépit d'une opposition des autorités serait passible d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende. En outre, il est prévu d'attribuer "à chaque enfant d'âge scolaire un identifiant national permettant aux autorités académiques de s'assurer qu'aucun enfant n'est privé de son droit à l'instruction".
La neutralité religieuse imposée aux agents du privé ayant une mission de service public
L'article 1 du projet de loi inscrit le principe de neutralité (religieuse) des agents de droit privé chargés d'une mission de service public (SNCF, Aéroports de Paris, par exemple). Jusqu'ici, seule la jurisprudence faisait référence en la matière. "Il s'agit d'étendre aux délégations de service public les devoirs de neutralité qu'on impose aux agents. Il ne sera plus possible d'observer des comportements communautaires ou des ports de signe religieux pour ces agents qui travaillent au nom du service public, même si ils ne sont pas formellement fonctionnaires", a précisé le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lors de la conférence de presse sur le projet de loi. Le champ d'application du fichier des auteurs d'infractions terroristes (Fijait) est également modifié pour y intégrer "les délits relatifs à la provocation et à l'apologie d'actes terroristes". Leurs auteurs seront interdits "d'exercer des fonctions au contact du public".
Est créée dans la foulée une procédure de "carence républicaine" permettant au préfet de suspendre les décisions ou actions de toute collectivité qui méconnaîtrait gravement la neutralité du service public, sous contrôle du juge administratif. Le ministre de l'Intérieur a pris l'exemple de piscines "réservées aux femmes pour des raisons religieuses", sur lequel les préfets pourront agir. "Nous permettrons aux préfets d'intervenir pour faire imposer les valeurs de la République et les faire respecter lorsque des atteintes aux principes républicains ont lieu", a déclaré Gérald Darmanin. Renforcer le contrôle du préfet de cette manière suscite de vives récriminations de la part des associations d'élus, ainsi que les réserves du Conseil d'Etat.
En outre, pour "mieux protéger les agents chargés du service public", les menaces, violences ou intimidations les visant seront sanctionnées. Là aussi, un nouveau délit est créé pour ceux qui s'en prennent à un agent pour motif religieux ou par conviction idéologique.
Une obligation pour les associations de "respecter" la République
Toute demande de subvention fera l'objet d'un "engagement de l'association à respecter les principes et valeurs de la République". La violation de ce contrat d'engagement républicain aura pour conséquence "la restitution de la subvention". Cet aspect du texte est clair : l'objectif est de conditionner les subventions au respect de la laïcité.
Les motifs de dissolution d'une association en Conseil des ministres sont élargis. Il sera aussi possible "d'imputer à une association (...) des agissements commis par ses membres et directement liés aux activités de cette association". En cas d'urgence, les activités de l'association pourront être suspendues à titre conservatoire, pour trois mois maximum.
Des mesures contre la polygamie et les mariages forcés
Le texte renforce l'arsenal juridique de la France sur la polygamie – interdite – en généralisant l'interdiction de délivrer un quelconque titre de séjour aux étrangers vivant en France en état de polygamie. "Nous souhaitons protéger les droits des femmes en matière de polygamie (...). Nous ne donnerons pas de titre de séjour à des personnes qui sont polygames. Et si la situation de la polygamie est découverte lors d'un contrôle, une fois que la personne est déjà avec un titre de séjour, ce titre de séjour lui sera retiré", a détaillé Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, mercredi.
Par ailleurs, pour lutter contre les mariages forcés, l'officier d'état civil a pour obligation de "s'entretenir séparément avec les futurs époux lorsqu'il existe un doute sur le caractère libre du consentement" et de "saisir le procureur de la République aux fins d'éventuelle opposition à mariage s'il conserve ses doutes". Le texte prévoit également des dispositions interdisant qu'une fille ne puisse pas hériter comme un garçon au seul motif que c'est une fille.
Enfin, le projet de loi interdit aux professionnels de santé d'établir des "certificats attestant de la virginité d'une personne". Les contrevenants seront passibles d'une peine d'un an de prison et 15 000 euros d'amende.
La mixité sociale écartée du texte
Le logement ne figurera finalement pas dans le projet de loi : les deux articles prévus à ce sujet ont été écartés. L'un visait à mieux mélanger les habitants des logements sociaux. Il devait faire écho à la volonté de la ministre déléguée au Logement "d'en finir avec les ghettos". Dans une tribune au JDD, Emmanuelle Wargon et une cinquantaine de députés de l'aile gauche de la majorité plaidaient en effet pour que les HLM accueillent à la fois des "personnes dans le besoin" mais aussi des gens dont les emplois sont jugés essentiels au pays : soignants, policiers, éboueurs…
L'autre article devait établir un cadre pour légiférer par ordonnance afin de prolonger l'emblématique loi SRU, qui oblige depuis vingt ans les maires à atteindre un taux minimum de HLM dans leur commune, mais qui arrive à échéance en 2025.
"Sur des sujets sensibles comme ceux-là, légiférer par ordonnances, c'est plus difficile", a reconnu sur franceinfo Emmanuelle Wargon, qui préfère "donner le temps de la concertation" avec les élus, les bailleurs sociaux et les associations. La ministre, qui "regrette" l'absence de la mixité sociale dans ce projet de loi, promet que ce sujet sera abordé dans un autre texte en janvier. "Nous allons également construire davantage de logements sociaux, mieux répartis sur tout le territoire afin de rompre avec les logiques de ghettos. J'ai demandé à Emmanuelle Wargon de me faire des propositions pour prolonger cet effort", lui a répondu le Premier ministre mercredi, en conférence de presse.
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