Reportage Autorité parentale : à Montpellier, une association de quartier vient en aide aux parents "démunis" mais pas "défaillants"

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
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Selma De Wit, psychologue de l'Ecole des parents et des éducateurs, reçoit Hend en consultation au centre social CAF l'Ile aux Familles à La Mosson, à Montpellier, le 18 juin 2024. (LUCIE BEAUGE / FRANCEINFO)
Alors que le gouvernement insiste sur la responsabilisation des parents des quartiers populaires depuis la mort de Nahel, la structure de l'Hérault préfère s'inscrire dans une posture qui ne culpabilise pas les familles.

En donnant naissance à son premier enfant en 2017, Aïcha est devenue parente. Rapidement, elle tâtonne avec ses nouvelles responsabilités. L'envie de bien faire, la peur de ne pas y arriver. Aïcha se sent vite "perdue". "Cela m'a renvoyée à mes propres blessures", témoigne la jeune femme de 37 ans, dont le voile bleu azur est assorti aux motifs de sa robe. Elle voit éclater certains de ses défauts, aussi. "Maniaque", selon ses dires, elle essaye de ne pas surréagir lorsque ses enfants "mettent des miettes sur le canapé". Aïcha comprend qu'être parent, cela s'apprend. Qu'on le veuille ou non. Ces derniers mois, le gouvernement a d'ailleurs régulièrement évoqué les enjeux de l'autorité parentale. En particulier depuis la mort de Nahel à Nanterre, le 27 juin, et les émeutes urbaines qui ont suivi.

Il y a quelques mois, Aïcha a découvert l'existence de l'Ecole des parents et des éducateurs (EPE) de l'Hérault, une association d'aide à la parentalité nichée dans le centre social CAF l'Ile aux Familles, dans le quartier de la Mosson, à Montpellier (Hérault). Depuis, elle participe chaque semaine à l'atelier "Parents pause", sorte de café rencontre avec d'autres mères de ce quartier classé prioritaire de la ville.

Rapport à l'école, punitions et "mauvaises fréquentations"

Mardi 18 juin, elles sont trois avec Aïcha, assises en tailleur sur un tapis, à échanger sur leurs problématiques du quotidien. Il y a aussi Virginie Kersaudy, psychothérapeute familiale, chargée d'encadrer les séances. L'animatrice remarque que certaines discussions surgissent plus souvent : le rapport à l'école (comment s'y investir en tant que parent ?), à la punition (quand et comment dire "non" ?), mais aussi l'appréhension des "mauvaises fréquentations". "Avec les phénomènes de drogue en bas des immeubles, elles craignent souvent que leurs garçons se fassent embarquer par les plus grands. Pour leurs filles, en revanche, elles espèrent qu'elles soient libres, qu'elles puissent s'asseoir à une table de café en étant tranquilles", relate Virginie. Ce jour, le débat porte plutôt sur la répartition des tâches familiales. Car si Aïcha et celles qui l'entourent sont mariées, elles se sentent parfois seules. La présence d'hommes à "Parents pause" est d'ailleurs rare.

 "Les gens croient qu'on ne travaille pas, alors qu'être mère, c'est un travail du matin au soir.

– C'est vrai, on fait plein de choses, mais ça ne se voit pas !

– On est cuisinière, chauffeuse taxi, infirmière… Quand mes enfants pleurent, ils n'appellent pas papa."

Khadyja soupire, triture ses bracelets en argent. Son mari ? "Il est là sans être là". Lui travaille, elle est mère au foyer. Ils ont quatre enfants, entre 3 et 10 ans. "Des fois, il donne des coups de main. Pour le linge et tout ça, il aide", concède la trentenaire. Elle redresse ses grosses lunettes à la monture dorée. "Parents pause" est, pour Khadyja, un exutoire : "On se libère, on pleure, on rigole. Ça fait du bien parce qu'il n'y a pas de tabou."

"Cette aide n'est pas du luxe"

En plus des échanges collectifs, l'association propose, entre autres, des temps d'écoute individuels. Selma De Wit, psychologue, assure ce type de consultation. Dans son bureau, les peluches pour les enfants côtoient la boîte de mouchoirs pour les adultes. "Ceux qui viennent sont souvent démunis, isolés avec leur problématique. Le but est qu'ils se sentent soutenus et qu'ils retrouvent leurs ressources", explique la professionnelle de l'EPE depuis un an et demi. 

"Chaque parent reste l'expert de son enfant."

Selma De Wit, psychologue de l'Ecole des parents et des éducateurs

à franceinfo

Il est 15h30 quand Hend - prononcez "Hind" - franchit le pas de la porte. Cheveux rebelles autour du visage, elle pose son chapeau sur la table. "Je ne sais pas si je vais bien répondre", lance-t-elle d'abord. Mais rapidement, la trentenaire débite : ses études en sciences de l'éducation, sa grossesse, sa fille de 14 mois, et puis, "les nuits sans sommeil". C'est sa troisième séance avec Selma de Wit. "Au départ, on vient en détresse. Cette aide n'est pas du luxe, on vient ici parce que ça nous soulage", atteste Hend. Autour d'elle, la jeune mère assure avoir "beaucoup parlé" de l'EPE. De manière générale, "on a de la chance, à la Mosson, d'avoir des associations qui font des choses pour nous et nos enfants", juge-t-elle.

Son mari "gagne un peu plus que le smic". Elle, aimerait trouver un travail. Ils vivent pour l'instant dans un logement social. Hend ne se plaint pas, au contraire, c'est un T3, propre et fonctionnel. De la part de l'Etat, elle aimerait cependant que le job "de mère" soit mieux considéré. Cela passe, selon elle, par un congé maternité rallongé. En l'espace de 10 semaines (pour le congé postnatal), "on a à peine le temps de comprendre comment fonctionne notre enfant", glisse-t-elle. Comme annoncé début mai, Emmanuel Macron veut toutefois mettre en place, d'ici août 2025, un congé de naissance de trois mois, qui s'additionnera au congé maternité.

Des "soucis du quotidien multipliés"

A cela s'est ajoutée l'évocation de mesures plus répressives de la part de l'exécutif. En décembre, la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, a annoncé la mise en place de travaux d'intérêt général pour les "parents défaillants". En avril, le Premier ministre, Gabriel Attal, s'est dit favorable à la signature, par les parents, d'"un contrat de droits et d'obligations" chaque année. En cas de "dérive de leur enfant", ils pourront être sanctionnés.

Pourtant, la réalité de ce qui se passe dans les familles des quartiers populaires est plus complexe qu'un simple laxisme, plaide Selma De Wit. "C'est difficile d'exercer sa parentalité au mieux, car les soucis du quotidien sont multipliés, remarque la psychologue. Ici, les familles peuvent avoir des préoccupations sur comment tenir sur la fin de mois. Il y a aussi de nombreux problèmes de logement, comme l'insalubrité, le manque d'espace et les difficultés avec le voisinage." Selon l'Insee en 2018, plus de la moitié des habitants de la Mosson vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Selma De Wit ajoute que les violences conjugales sont fréquemment abordées à l'EPE, et "sont possiblement exacerbées par les difficultés socioéconomiques, bien que ce fléau touche tous les milieux".

Pour Virginie Kersaudy la parentalité de certains de ses patients est même "empêchée. Ce ne sont pas des parents démissionnaires, ils font au mieux !", s'exclame-t-elle.

"Il y a des parents qui ne savent pas jouer avec leurs enfants, car on n'a jamais joué avec eux."

Virginie Kersaudy, psychothérapeute familiale

à franceinfo

Pour Blandine Sagot, directrice de l'EPE de l'Hérault, agiter la menace de sanctions n'est donc pas la bonne porte d'entrée. "Plus on désigne les parents comme la cause unique des problèmes des ados, plus on les stigmatise et on les enferme là-dedans", suggère la responsable. Il existe, selon elle, des réponses concrètes et matérielles à apporter aux parents et à leurs enfants. Elle salue notamment le "pass colo" lancé en avril, cette aide financière de l'Etat pour que les jeunes de 11 ans puissent partir cet été.

Accompagner les mères seules

Dans le hall du centre social, Malika sort d'un rendez-vous avec une conseillère du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). Une structure qui, de manière plus indirecte que l'EPE, l'aide à exercer dans de bonnes conditions sa parentalité. Cette quadragénaire vit seule avec ses quatre enfants. Son mari a claqué la porte de la maison en février. "Il ne paye plus rien, ni le loyer ni l'électricité." Chaque mois, elle assure survivre avec le RSA, les allocations familiales et 300 euros de pension alimentaire. Mais Malika ne se laisse pas abattre. "Je suis une combattante", assure la mère de famille.

Elle va bientôt concrétiser son rêve de devenir coiffeuse, aidée par le CIDFF pour trouver un stage, dans un premier temps. Puis, elle imagine la suite : "Je compte m'installer à domicile pour assurer au mieux tous les rendez-vous de mon fils handicapé". Deux fois par semaine, elle se rend chez l'orthophoniste. Une fois par semaine, chez la psychomotricienne. Alors que ces trajets lui prennent au minimum deux heures aller-retour en transports, Malika est aussi accompagnée pour passer le permis de conduire. Son deuxième rêve ? S'acheter une Clio. "C'est facile à conduire, elle est petite et ne prend pas beaucoup de place". Dans cette nouvelle vie de mère seule, elle espère alléger son quotidien, mais surtout celui de ses enfants.

Pour venir en aide aux familles monoparentales, qui concernent dans 83% des cas les femmes, le président de la République a par ailleurs déclaré début mai vouloir impliquer de force les pères absents, avec notamment un "devoir de visite". Mais plusieurs associations et élues se sont montrées sceptiques. Elles alertent sur le fait que certains pères absents sont "violents". Il faudrait, selon elles, les obliger à suivre une thérapie et à verser des pensions alimentaires.

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