: Vrai ou faux Le nuage de soufre lié à l'éruption d'un volcan en Islande est-il dangereux pour la santé en France ?
Une légère odeur de soufre dans l'air. Un nuage gazeux traverse la France depuis dimanche 25 août, et devrait se disperser mardi, selon une modélisation du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme. Ce dégazage provenant du volcan islandais Sundhnuksgigarod, en éruption depuis jeudi, est particulièrement chargé en dioxyde de soufre.
Faut-il s'inquiéter de ce nuage ? Dans une publication très partagée sur X, le chef d'entreprise Silvano Trotta, connu pour être un acteur de désinformation, fait un parallèle avec le scandale du nuage de Tchernobyl, dont les autorités françaises avaient minimisé le danger en 1986. Franceinfo fait le point avec des chercheurs en physique.
Lorsqu'un volcan entre en éruption, il peut cracher de la lave, mais aussi des panaches contenant de la cendre, ou encore des gaz comme le dioxyde de carbone (CO2), la vapeur d'eau ou le dioxyde de soufre (SO2). C'est ce dernier qui figure sur la carte montrant un nuage rouge traversant l'hexagone. "Le SO2 est nocif pour la santé", confirme Hervé Herbin, enseignant-chercheur en physique au laboratoire d'optique atmosphérique du CNRS et de l'université de Lille. "Il est irritant pour la peau, les yeux et les voies respiratoires. Il peut être problématique, allant jusqu'à affecter tout le système respiratoire, jusqu'aux poumons", détaille celui qui étudie notamment les effets des éruptions volcaniques sur l'atmosphère.
Des concentrations trop faibles pour être vraiment dangereuses
Pourtant, il n'y a pas de quoi s'inquiéter des effets de la dernière éruption du volcan Sundhnuksgigarod. "Ces taux de SO2 restent limités et ne représentent pas de danger pour la santé, d'autant que le nuage a tendance à se diluer", assure le météorologiste Guillaume Séchet sur X.
C'est ce que confirme Marie Boichu, elle aussi chercheuse au laboratoire d'optique atmosphérique du CNRS et de l'université de Lille. "Pour qu'il y ait pollution, il faut des particules au sol", c'est-à-dire dans l'air qui circule à hauteur d'homme, explique-t-elle. "Or, nous mesurons la qualité de l'air au sol et nous ne constatons pas d'anomalie en surface. Le nuage se situe plutôt à haute altitude, à environ 5 km du sol".
Par ailleurs, "ce gaz a une durée de vie très courte, de l'ordre de la journée", ajoute son confrère Hervé Herbin. "Selon les données satellitaires, quand il arrive en France, il retombe de façon diluée. Ça peut participer à une dégradation de l'air, mais ce n'est pas le principal facteur de pollution", tranche-t-il.
"A l'échelle planétaire, les éruptions volcaniques ont lieu tout le temps. Elles représentent 10 à 15% des émissions de SO2, alors que 90% proviennent de l'industrie."
Hervé Herbinenseignant-chercheur en physique au CNRS et à l'université de Lille
Depuis l'éruption en Islande, les taux de dioxyde de soufre observés dans l'air sont loin du seuil de référence établi par l'Organisation mondiale de la santé, qui juge sa concentration alarmante au-delà de 40 μg/m3 sur 24 heures. "Il faut qu'il y ait des centaines de microgrammes par mètre cube pendant plusieurs heures pour que ce soit dangereux, notamment pour les bébés et les personnes asthmatiques, insiste Marie Boichu. Là, on est à quelques microgrammes par mètre cube, et il n'est pas sûr que cette concentration soit d'origine volcanique."
"C'est une fausse alerte."
Marie Boichuenseignante-chercheuse en physique au CNRS et à l'université de Lille
De manière générale, la France n'a pas beaucoup à craindre des émissions de SO2 liées à l'activité des volcans. Les régions volcaniques les plus proches de la France sont l'Italie, où l'Etna est entré en éruption début août, et l'Islande. "Les vents ramènent rarement des panaches vers la France et lorsque cela arrive, les concentrations ne sont pas suffisamment élevées" pour être nocives, rassure le physicien Hervé Herbin.
Selon le chercheur, le danger le plus préoccupant lié au dioxyde de soufre est celui pour l'environnement, du fait des émissions d'origines humaines. "Le SO2 se dissout très facilement dans l'eau et dans l'humidité de l'air, ce qui provoque des pluies acides. Elles peuvent poser des problèmes localement, dans le cadre de l'agriculture", relève-t-il.
Des éruptions polluantes par le passé
"On reste attentifs en volcanologie, car on a déjà eu des éruptions islandaises très importantes, reconnaît tout de même Marie Boichu. Il y a eu celle du Laki en 1783, juste avant la Révolution française, causant une surmortalité liée aux émissions de dioxyde de soufre." Plus récemment, "on a pu aussi observer un épisode de pollution de l'air à la Réunion, liée au volcan du Piton de la Fournaise", ajoute la physicienne. En juillet 2023, les seuils d'alerte à la pollution au dioxyde de soufre avaient été dépassés sur la station de Bourg-Murat.
D'autant que le taux de SO2 n'est pas le seul indicateur de pollution à prendre en compte. Au contact de l'air, le dioxyde de soufre gazeux peut se transformer en aérosols sulfatés, des "particules fines et persistantes", comme le rappelle une étude du CNRS dirigée par Marie Boichu, au sujet de l'éruption du volcan islandais Bardarbunga entre septembre 2014 à février 2015. Celle-ci avait entraîné "une vaste pollution de l'air" jusqu'en France, notamment liée à ces particules capables, de par leur petite taille, de "pénétrer profondément dans les poumons et avoir des conséquences néfastes sur la santé". Mais le volcan avait alors rejeté une quantité de soufre nettement plus importante que celle liée à l'éruption de jeudi, et l'avait fait "à basse altitude dans l'atmosphère", alors que le nuage actuel circule bien plus haut.
L'éruption islandaise la plus médiatisée, celle du volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010 qui avait paralysé le trafic aérien européen, n'avait pas entraîné de pollution au dioxyde de soufre notable. Mais environ 70 à 80 millions de mètres cube de tephra, ces fragments de roche éjectés lors d'une éruption volcanique, étaient partis dans l'atmosphère, selon une estimation du Bureau français de recherches géologiques et minières. Toutefois, "le niveau de concentrations [de particules] au sol n'a pas dépassé quelques dizaines de μg/m3, soit dans une gamme de valeurs habituelles caractéristiques d'un épisode de pollution urbaine", d'après une note de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
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