: Vrai ou faux Le système des allocations nourrit-il le chômage, comme l'affirme Fabien Roussel ?
Le secrétaire national du PCF estime que le système actuel contribue à la "précarité" de la société. Pour les économistes et les sociologues interrogés par franceinfo, l'assurance-chômage demeure un "filet de sécurité" essentiel pour un fonctionnement efficace du marché du travail.
La sortie a ulcéré certains membres de la Nupes. Le 9 septembre, en pleine Fête de l'Humanité, Fabien Roussel s'est fendu d'une saillie qui a scandalisé plusieurs de ses alliés au sein de la coalition : "La gauche doit défendre le travail et ne pas être la gauche des allocations et minima sociaux." Un discours jugé "quasiment réactionnaire" sur franceinfo le 11 septembre par Marine Tondelier, conseillère régionale EELV des Hauts-de-France, qui suspecte le secrétaire national du PCF d'user d'une "stratégie [pour] choquer [et] faire parler de lui".
Le même jour, Fabien Roussel enfonce pourtant le clou et précise sa pensée sur TF1 : "Je veux mettre fin à un système qui, aujourd'hui, nourrit le chômage par les allocations chômage (...) Il faut permettre à chacun de vivre de son travail, car c'est le travail qui redonne la dignité." Le dirigeant communiste a-t-il raison d'incriminer ainsi le régime d'assurance-chômage dans la situation de l'emploi ?
Je souhaite que nous puissions garantir aux français, aux générations futures une vie avec un travail et un salaire digne.
— Fabien Roussel (@Fabien_Roussel) September 10, 2022
Pas une vie de chômage. #JT13H #fetedelhuma pic.twitter.com/N2ayfnPczq
"En grande majorité, les chômeurs veulent travailler"
Fabien Roussel reprend en creux une idée défendue à droite selon laquelle l'assurance-chômage peut favoriser le chômage en encourageant une forme de fraude à la déclaration de recherche d'emploi. Un "aléa moral", explique Bruno Coquet, expert du marché du travail affilié à l'OFCE. Plutôt que d'accepter un poste proposé par Pôle emploi pourtant "conforme à ses compétences" et à ses "exigences salariales", un chômeur pourrait, selon cette idée, être tenté de refuser pour continuer de toucher ses allocations sans travailler.
"La France est plutôt un pays où il y a peu d'aléa moral", rassure Bruno Coquet. D'après Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'OFCE, environ 8% des chômeurs ne jouent pas le jeu. Et selon une note de Pôle emploi publiée en 2018, la fraude, toutes causes confondues, ne représentait que 0,5% de la totalité des montants versés au titre des allocations chômage en 2016. "En grande majorité, les chômeurs veulent travailler", tient à rappeler Cathel Kornig, sociologue et membre associée du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail (Lest). "Ils cherchent du boulot, ils ne veulent [juste] pas travailler à n'importe quel prix."
L'assurance-chômage est également critiquée "parce qu'elle allongerait la durée du chômage", enchaîne Bruno Coquet. Mais "c'est [précisément] l'objectif que les économistes donnent à [ce système] : offrir la possibilité à un chômeur de maintenir sa consommation jusqu'à ce qu'il retrouve un emploi conforme à ses compétences, rétorque l'expert. Un senior de 50 ans qui travaillait pour Airbus et qui perd son emploi ne va pas aller demain matin prendre un travail dans une brasserie." Une telle reconversion, non planifiée, entraînerait une perte de compétences et d'investissement en formation.
Moins d'un chômeur sur deux est indemnisé
Il apparaît aussi que le niveau des allocations n'a qu'un impact "faible" sur la durée du chômage, selon un article de la Revue d'économie politique publiée en 2006. En France, "une extension d'un mois de la durée des droits n'entraînera qu'un allongement de quatre ou cinq jours" d'inactivité, confirme Bruno Coquet. Une fourchette qui correspond à la moyenne observée à l'étranger, selon une étude de l'Annual Review of Economics, une revue académique américaine.
L'influence négative de l'assurance-chômage sur l'emploi est d'autant plus réduite que seuls 40% des chômeurs sont indemnisés, "soit moins d'un sur deux", rappelle Cathel Kornig. En fin de droits, ou n'ayant pas travaillé assez d'heures, une majorité de chômeurs n'est pas éligible à l'indemnisation. Et parmi les allocataires, "la moitié travaille en activité réduite : ce sont des demandeurs d'emploi qui vont rester inscrits à Pôle emploi, travailler trois mois, et revenir au chômage".
En revanche, une diminution drastique des allocations provoquerait des effets délétères, prévient Laura Khoury, chercheuse à la Norwegian School of Economics, à Bergen, en Norvège.
"Si les travailleurs sont incités à chercher un emploi à tout prix et se dirigent vers des postes qui ne correspondent pas à leurs qualifications ou sont de moins bonne qualité, cela va potentiellement créer des emplois à faible productivité, ce qui sera dommageable pour l'économie."
Laura Khoury, économisteà franceinfo
"Il existe 2,3 millions de chômeurs [d'après l'Insee] et 355 000 emplois vacants au deuxième trimestre [selon la Dares]", rappelle Clément Brébion, chercheur à la Copenhagen Business School au Danemark. Donc "si vous baissez les allocations chômage exclusivement dans le but d'encourager les chômeurs à chercher de l'emploi et que le nombre d'emplois vacants est, de toute façon, limité, le résultat ne va pas être une disparition complète du chômage". Cela conduira à "une petite diminution du taux de chômage et une plus grande précarisation des chômeurs qui ne trouveront pas d'emploi du fait de l'absence d'emplois vacants", raisonne le chercheur.
"Le système des allocations a vocation à être transitoire"
Sollicité par franceinfo, Ian Brossat, porte-parole du PCF, précise la pensée de Fabien Roussel : "Le système est très défavorable aux travailleurs. Nous disons que l'ambition de la gauche ne doit pas être simplement le traitement social du chômage. Cela doit être l'éradication du chômage."
Le 12 septembre, sur Sud Radio, l'ancien candidat à la présidentielle a par ailleurs estimé que "les gouvernements (…) de droite ont abîmé le travail en créant une société avec beaucoup de CDD, de précarité", engendrant "une armée de chômeurs, comme disait Karl Marx, qui permet de faire pression sur les travailleurs".
Sur ce dernier point, le secrétaire national du PCF rejoint les conclusions d'une note publiée en 2015 par le Conseil d'analyse économique (CAE). Celui-ci écrivait que les caractéristiques de "l'assurance-chômage favorisent le développement des emplois instables", les entreprises n'étant pas incitées "à prendre en compte le coût qu'elles font peser sur les comptes de l'assurance-chômage lorsqu'elles ont fréquemment recours aux contrats très courts".
Ian Brossat tient également à rappeler que le PCF est "évidemment contre la baisse des allocations chômage" tout en précisant que le "système [des allocations] a vocation à être transitoire", le parti souhaitant "se battre pour une société sans chômage". Dans une tribune publiée le 13 septembre dans Le Monde, Fabien Roussel affirme, lui, qu'il sera aux côtés des salariés "pour dénoncer toutes les attaques du gouvernement contre eux", comme "la réforme de l'assurance chômage" menée par l'exécutif.
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