Nicolas Hulot : sa bataille perdue sur le bien-être animal
Quatre jours après la démission retentissante de Nicolas Hulot, retour sur l'un des échecs qui expliquent peut-être sa décision : quand les lobbies et Stéphane Travert ont vidé la loi Alimentation de ses amendements sur la cause animale.
Il a beaucoup été question des lobbies après la démission de Nicolas Hulot, mardi 28 août 2018. L’ex-ministre de la transition écologique et solidaire regrette alors s’être trouvé en opposition avec le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert, et déplore l’omniprésence de lobbies qui "parasitent l’action politique".
En quoi Stéphane Travert aurait-il joué un rôle contre lui ? Comment ces lobbies ont-ils manœuvré ? Notre journaliste Laetitia Cherel a enquêté.
Interdiction des œufs issus de poules en cage : une promesse de campagne…
Au printemps 2018, la loi Alimentation est débattue à l'Assemblée nationale. Des promesses de campagne d’Emmanuel Macron sur le bien-être animal, il ne reste que des miettes. Les avancées souhaitées par Nicolas Hulot ont pour la plupart été rejetées par les députés de la majorité avec le soutien de Stéphane Travert, le ministre de l’Agriculture.
Parmi les promesses du candidat Macron, l’interdiction des œufs de poules élevées en cage en 2002. Il s’y engage en février 2017 dans une interview donnée à WWF France : "Je souhaite qu'il soit interdit dans les grandes surfaces de vendre des œufs issus des élevages en batterie, annonce le futur président de la République. Je veux qu'on puisse apporter à nos concitoyens la garantie que lorsque l'on va acheter ses œufs, il y a derrière le respect du bien-être animal, qui est en même temps le respect d'une qualité pour le consommateur."
Immédiatement, les représentants de la filière œufs montent au créneau. Le candidat Macron les rencontre le 1er mars 2017, au salon de l’agriculture. Devant eux, il lâche du lest, comme en témoigne la vidéo de cet entretien publiée sur son compte Facebook : "Je ne vais pas en faire un objectif de campagne. On va la fermer là-dessus. Je n'en fais pas un objectif politique. Je ne la répèterai pas [cette promesse, NDR]. Est-ce que cela vous semble correct ?"
À ce moment-là, Emmanuel Macron recule sur la forme, mais ne renonce pas pour autant sur le fond. En octobre 2017, alors président de la République, il renouvelle cette promesse à Rungis pour lancer les États généraux de l’alimentation, en préfiguration de la loi Alimentation : "J'ai pris l'engagement pendant la campagne que les œufs vendus au consommateur ne seraient issus que d'élevages en plein air d'ici 2022. Ce n'est pas pour stigmatiser les éleveurs qui ont déjà fait énormément d'investissements."
Cinq mois plus tard, en février 2018, Stéphane Travert confirme cette promesse sur Europe 1 : "À l'horizon 2022, nous souhaitons que les 'œufs coquille' soient issus d'élevages en plein air, ou en tout cas ne soient plus issus d'élevages en cage. C'est un engagement du président de la République, il sera tenu".
… qui se transforme en "ni contraintes, ni sanctions"
Fureur des producteurs d’œufs qui, dès le lendemain de cette déclaration se font menaçants, dans un communiqué cinglant : "Les producteurs d’œufs ne peuvent pas laisser les choses en l’état (...) Après avoir discuté avec leurs parlementaires locaux et avant la discussion devant l’assemblée nationale de ces deux amendements, ils se réservent la possibilité, comme ça a déjà été le cas par le passé, d’agir de manière plus directe." Ils demandent un rendez-vous au ministre de l’agriculture qui le leur accorde.
C'est à partir de là que la position du ministre va changer. À l'Assemblée nationale, il n'est plus question d’interdire les œufs issus de poules en cage. Désormais, ce sont les producteurs d’œufs qui doivent eux-mêmes s'engager à modifier leurs pratiques, à travers ce qu’on appelle un plan de filière. "Une interdiction enverrait un signal contraire à la filière, et en outre, ferait porter la charge uniquement sur les producteurs, qui sont déjà parfois dans des situations économiques très difficiles, et sans rémunération supplémentaire. C'est la responsabilisation des acteurs que nous avons cherché avec ce plan de filière" explique le ministre, qui compte sur les éleveurs pour être de bons élèves.
Certains s’interrogent pourtant sur les limites de cette stratégie. "Les filières sont censées fournir un document (un plan de filière) dans lequel elles prévoient des aménagements, des améliorations, explique Jean-Pierre Kieffer, président de l’OABA, une association de défense des animaux d’abattoirs. Le problème, c'est que ces plans de filières n’ont pas d'aspect contraignant. Ce sont des vœux pieux." Ni contraintes, ni sanctions, une position bien loin de la promesse d’interdiction d’Emmanuel Macron. Comment Stéphane Travert a-t-il pu changer aussi radicalement de position ?
Tout ne peut pas être dans la loi.
Stéphane Travert
Interrogé par la cellule investigation de Radio France, le ministre de l'Agriculture estime que la loi ne peut pas tout. "L'histoire nous montre que sur beaucoup de sujets, il y a des choses qui ont été inscrites dans la loi sans pour autant que cela soit effectif au moment où la loi devait s'appliquer, précise Stéphane Travert. Tout ne peut pas être dans la loi. Mais ce n'est pas parce que ce n'est pas dans la loi que l'on ne fait pas."
Résultat : au lieu d’interdire les œufs issus de poules en cages, la loi prévoit d'interdire tout nouvel élevage de poules en cages. Sauf que ces élevages sont de moins en moins nombreux, parce que les Français consomment de moins en moins d’œufs de poules élevées en batterie. Mais la filière des œufs est satisfaite. La mesure a été votée avec son plein accord, comme le confirme Stéphane Travert dans l’hémicycle le 27 mai 2018 : "Je veux souligner la qualité de la co-construction gouvernement/filière. L'amendement a été travaillé avec la filière lors d'un rendez-vous qui nous a permis de trouver cette solution."
Le même jour, dans un tweet, le ministre se félicite que cet amendement ait été voté en accord avec les producteurs d’œufs. Un tweet effacé quelques heures après et que l'association L214 s'est procuré.
Dans les bâtiments, y‘a un truc sympa pour les poules : les copains !
Thibault Bazin
Au cours de ces débats, la filière aura utilisé tous les arguments possibles pour faire valoir son point de vue, y compris les plus surprenants. Devant la Commission des affaires économiques, le député Les Républicains Thibault Bazin tente d'argumenter. "L'élevage à l'intérieur évoque la prison, alors que la poule peut être stressée à l'extérieur." Le député évoque alors les travaux de Christine Leterrier, chercheuse à l'INRA et spécialiste des émotions chez les oiseaux d'élevage. "Dans les bâtiments, il y a un truc sympa : les copains. Les poules sont des animaux très sociables, et il y a une mortalité plus élevée dans les élevages en plein air" termine le député. Christine Leterrier, que nous avons interrogée, estime que l'on a déformé ses propos. "D'un point de vue scientifique, il est beaucoup plus bénéfique aux poules d'être élevées en plein air, par rapport à l'élevage en cage, tranche la chercheuse. Aucun scientifique ne peut remettre cela en question."
Caméras de surveillance dans les abattoirs : histoire d'un raté
Une autre promesse de campagne d’Emmanuel Macron a été sortie de la loi : la vidéosurveillance obligatoire dans tous les abattoirs français. En avril 2017, le candidat s’était pourtant engagé par écrit sur le site d'Animal politique, un collectif d’associations de protection animale, à rendre obligatoire la présence de caméras de surveillance à l’intérieur des abattoirs. Cette promesse intervenait après l’émotion suscitée par plusieurs vidéos en caméra cachée dévoilées par l’association de protection animale L214, montrant des scènes insoutenables de souffrance animale. L'obligation de caméras avait été votée en 2017 par l'Assemblée sous François Hollande, mais n'avait pas été adoptée, calendrier électoral oblige.
L’interprofession de la viande avait listé les députés anti-viande.
Olivier Falorni
Déjà en 2016, lors de la préparation de sa proposition de loi, le député Olivier Falorni s’était heurté à la mobilisation de la profession contre sa proposition. "J'ai le souvenir d'un mail de l'interprofession de l'industrie de la viande, qui avait listé les députés membres de la commission d'enquête lorsque j'en étais président, pour déterminer les pro-viande et les anti-viande, se souvient le député aujourd’hui non-inscrit. L'industrie de la viande avait listé ceux qui auraient pu saboter l'idée du contrôle vidéo, avant même qu'une proposition de loi puisse être proposée. Cela montre bien qu'il y avait une volonté, dès le départ, d'empêcher ce dispositif d'exister." Au printemps 2018, rebelote, les éleveurs et agriculteurs se mobilisent contre la promesse d’Emmanuel Macron.
La veille du débat à l'Assemblée, la FNSEA avertit les députés dans un communiqué : "Nous attirons l'attention des parlementaires sur le fait qu'il serait totalement contre-productif de créer trop de normes nouvelles qui engendreraient toujours plus de charges et de distorsions de concurrence. Sur le bien-être animal par exemple, ne faisons pas de surenchère." Sous la pression, certains députés de la majorité vont renoncer à se battre sur le sujet. "Sur le bien-être animal, nous avons dénombré une cinquantaine de députés du groupe La République En Marche qui n'ont soit pas défendu leurs amendements, soit les ont retirés des séances avant même qu'ils aient été votés, constate Sylvain Dibiane, de l’association L214. Pourtant, ces députés étaient sensibles à la condition animale. Pourquoi ont-ils renoncé ?"
J'avais un veto strict, définitif, sur un certain nombre d'amendements que je voulais porter.
Loïc Dombreval
Certains députés ont expliqué à la cellule investigation de Radio France avoir subi des pressions du groupe LREM. Mais l’un d’entre eux est encore plus explicite. Loïc Dombreval est le président du groupe d’étude sur la condition animale à l’Assemblée nationale, donc très investi sur le sujet. Auteur d'une dizaine d’amendements sur le bien-être animal, dont un pour rendre les caméras obligatoires dans les abattoirs, il ne les a pourtant pas soutenus en Commission des affaires économiques. "C'était peine perdue, se désole le député. J'ai eu toute une série de discussions préalables et je me suis rendu compte qu'il était inutile d'aller plus loin. J'avais un véto strict, définitif, sur un certain nombre d'amendements que je voulais porter, de la part du gouvernement, du cabinet du ministre, et du rapporteur du texte."
A-t-il était contacté directement par le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert ? "Oui, répond Loïc Dombreval. C'est toujours comme ça que cela se passe. Il y a une négociation entre le ministre, les députés et les rapporteurs, c'est tout à fait classique." Interrogé par Laetitia Cherel, Stéphane Travert reconnaît s’être opposé à la présence de caméras de surveillance dans les abattoirs, mais dément avoir imposé quoi que ce soit aux députés. "Je n'ai jamais exprimé de véto vis-à-vis d'un député, se défend le ministre. Jamais je n'ai demandé à un député de ne pas défendre ses amendements. Mais il est de ma responsabilité de ministre au sein de ce gouvernement d'y donner une suite favorable ou défavorable. Les réponses que j'ai pu formuler ont toujours été motivées et expliquées."
Une simple expérimentation
Résultat, les amendements rendant obligatoire la vidéosurveillance dans les abattoirs ont été rejetés par la majorité. L’obligation est remplacée par une simple expérimentation pendant deux ans et uniquement dans les abattoirs volontaires. Un revirement qui ne passe pas chez les associations de protection des animaux, qui ont le sentiment d’avoir été flouées, mais aussi chez certains vétérinaires qui regrettent ce recul. "Les bons abattoirs demandent que les animaux soient manipulés avec douceur, explique Michel Courat, qui effectue des audits dans les abattoirs pour l’OABA et observe régulièrement des pratiques qui vont à l'encontre du bien-être animal. Les opérateurs ne peuvent utiliser un aiguillon électrique que si l'animal ne répond pas aux autres sollicitations. Mais, lors des contrôles, dès que l'on détourne les yeux et qu'on les observe en se cachant les salariés vont avoir tendance à utiliser l'aiguillon électrique sans raison". Cette technique étant la plus efficace pour faire avancer l'animal "c'est malheureusement très fréquent, constate le vétérinaire. Cela arrive une fois sur deux."
Un ancien directeur d’abattoir comme rapporteur de la loi
Dans le débat sur la loi Alimentation, le ministre de l'Agriculture a pu compter sur l’appui du rapporteur de la loi, Jean-Baptiste Moreau, éleveur et ancien directeur d’abattoir. Un profil qui pose problème pour certains députés. "Comment ne pas comprendre qu'en tant qu'éleveur, il s'opposait à toutes les mesures qui pouvaient être favorables au bien-être animal et qui pouvaient être considérées comme défavorables à l'agriculture traditionnelle, s'insurge Yves Jégo, ancien député UDI. Il a même été jusqu'à déposer, de sa propre initiative, un amendement pour interdire qu'on puisse parler de steak végétal. On voit bien que la personnalité du rapporteur participait à cette barrière invisible dressée par les lobbies du monde agricole pour empêcher qu'un certain nombre de sujets ne prospèrent."
Mis en cause par Yves Jégo, Jean-Baptiste Moreau réfute tout conflit d'intérêt. "Yves Jégo insinue qu'étant éleveur, je ne m'intéresse pas au bien-être animal, s'exclame le rapporteur de la loi. Les éleveurs font sans aucun doute beaucoup plus chaque jour pour le bien-être animal que Monsieur Jégo dans toute sa vie. De plus, si l'on suit sa logique, un médecin ne pourrait plus s'occuper d'une loi sur la santé et un avocat ou un juge ne devrait carrément plus pouvoir voter de loi tout court." Jean-Baptiste Moreau rappelle que la loi Alimentation a fait avancer la défense de la cause animale. "Sur la vidéosurveillance, une expérimentation a été votée afin de mesurer les modalités de mise en place de ce procédé et mesurer son utilité. Et toute nouvelle installation de poules en cage est interdite."
Le coup de fil du Premier ministre à Nicolas Hulot
Dans ce bras de fer sur la loi Alimentation, Nicolas Hulot a perdu d’autres batailles. Aucun amendement retenu sur l’interdiction du broyage des poussins, ni sur l’interdiction de la castration à vif des porcelets. Déjà, en décembre 2017, Nicolas Hulot avait boycotté la clôture des États généraux de l’alimentation, estimant que les conclusions proposées n’allaient pas assez loin. Ayant très vite compris que les arbitrages ne lui étaient pas favorables, l'ex-ministre ministre de la Transition écologique n’est jamais venu à l’Assemblée pendant la loi Alimentation.
Nicolas Hulot a-t-il été délibérément mis en retrait de ces dossiers par Matignon ? Deux proches de l'ex-ministre racontent qu'en juin 2018, Nicolas Hulot est invité au palais Bourbon à un colloque sur le bien-être animal, organisé par le député LREM Loïc Dombreval et l’association Ensemble pour les animaux. La veille, il aurait reçu un coup de fil du premier ministre Edouard Philippe lui demandant de ne pas s'y rendre. Sans doute pour ne pas cautionner les défenseurs de la cause animale par sa présence. Nicolas Hulot y est allé quand même. Matignon dément, mais nos sources maintiennent.
Même sur des sujets aussi consensuels que le bien-être animal, nous n'y sommes pas parvenus.
Yves Jégo
Cette loi Alimentation, Nicolas Hulot n’est pas le seul à l’avoir en travers de la gorge. L'ex-député UDI Yves Jégo a lui aussi a mis fin à sa carrière politique en juin dernier, après le débat sur la loi Alimentation. "Ce serait faux de dire que c'est la loi qui a déclenché mon départ, mais c'est quelque chose qui a participé largement à me convaincre, confie Yves Jégo. Même sur des sujets qui peuvent sembler consensuels, comme le bien-être animal, alors que nous étions convaincus sur tous les bancs de l'Assemblée que cela allait dans le bon sens, nous ne sommes pas parvenus à le faire passer."
Les annonces de Stéphane Travert du 29 août 2018 sur le bien-être animal peuvent paraître pour des avancées. Mais à y regarder de près, elles ne sont que de reprises d’amendements qu’il avait lui-même rejetés. La loi Alimentation revient à l'Assemblée nationale le 18 septembre 2018, en deuxième lecture. Sauf surprise, pas d’avancée spectaculaire prévue sur le sujet.
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