Les provocations de Serge Ayoub, la question du poing américain... Trois moments forts qui ont marqué le procès Méric
Après huit journées d'audience, la cour d'assises de Paris rend son verdict vendredi. L'avocat général a requis sept ans d'emprisonnement et douze ans de réclusion criminelle contre les deux principaux accusés.
"Cette sauvagerie est parfaitement inadmissible." Rémi Crosson du Cormier, l'avocat général, s'est montré offensif au moment de qualifier le meurtre de Clément Méric, jeudi 13 septembre. Le 15 juin 2013, ce jeune homme a succombé à ses blessures à la suite d'une bagarre entre militants antifascistes et skinheads d'extrême droite, à Paris.
Dénonçant une attaque menée par un groupe déterminé, soudé par "la haine" et une "fierté mal placée", l'avocat général a requis une peine de 12 ans de réclusion criminelle à l'encontre d'Esteban Morillo, qui a reconnu être l'auteur des coups mortels, et sept ans d'emprisonnement contre Samuel Dufour, qui se battait à ses côtés. Les deux hommes sont poursuivis pour des coups mortels portés en réunion et avec arme, des circonstances aggravantes. Une peine de quatre ans dont deux avec sursis a été demandée contre Alexandre Eyraud, arrivé plus tard dans la rixe mais dont "la seule présence" a favorisé "l'action collective", a affirmé le magistrat.
Franceinfo revient sur trois moments forts de ce procès.
La question de l'utilisation éventuelle d'un poing américain
Le 15 juin 2013, en fin d'après-midi, Clément Méric s'effondre dans une rue de Paris, après une bagarre avec des jeunes d'extrême droite. Touché par deux coups portés par le principal accusé dans cette affaire, Esteban Morillo, il décédera quelques heures plus tard, à la suite d'un œdème cérébral diffus. Clément Méric a-t-il été frappé avec un poing américain ? Pendant les huit jours de procès, cette question a été au cœur des débats. Si l'usage de cette arme est confirmé, les principaux accusés encourent jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle, contre quinze si ce n'est pas le cas.
"Je n'ai pas la possibilité d'affirmer l'utilisation d'un poing américain, a déclaré au tribunal le médecin légiste qui a pratiqué l'autopsie. C'est un objet métallique lourd, cela aurait entraîné des fractures des os propres du nez, des pommettes, de la zone temporale." Pourtant, pendant l'enquête, ces conclusions ont été remises en question par d'autres experts, ainsi que par l'accusation, qui suggèrent la possibilité d'une "erreur" ou d'une possible fracture.
J'ai disséqué, j'ai regardé. Je ne changerai pas aujourd'hui mes conclusions.
Le médecin légistedevant la cour d'assises de Paris
Les plaies constatées sur le visage de Clément Méric, notamment une blessure de deux centimètres sur l'aile du nez, auraient-elles pu être causées par des coups portés à mains nues ? A cette dernière question posée par l'avocat général, le médecin légiste répond par l'affirmative : "La peau étant fine, elle éclate et donne cette plaie." Il n'exclut pas, cependant, l'utilisation de bagues.
Mais cette théorie est mise en doute par certains éléments de l'enquête. Samuel Dufour, l'un des principaux skinheads accusés, a en effet envoyé plusieurs textos ce soir-là. "J'ai frappé avec ton poing américain. Le mec est à l'hôpital. On les a défoncés", écrit-il à un ami, quelques heures après le drame. Matthias Bouchenot, un témoin qui accompagnait Clément Méric ce jour-là, a assuré à la cour avoir vu cette arme dans les mains des deux accusés. "Dufour portait un poing américain, témoigne-t-il. Non seulement je l'ai vu, car la première chose que j'ai regardée, ce sont ses mains, mais j'ai aussi senti le contact d'un objet métallique."
Le témoignage d'Agnès Méric et les "regrets" d'Esteban Morillo
Jeudi 6 septembre, Agnès Méric a témoigné devant la cour. A la barre, la mère de la victime s'est adressée au principal accusé du meurtre de son fils, Esteban Morillo. "Est-ce qu'on a quelque chose d'humain en commun ? le questionne-t-elle. Si on est humain, on doit se sentir concerné par quelque chose d'aussi important, qui nous lie." Deux jours plus tôt, Esteban Morillo faisait profil bas, se disant "catastrophé" par cette affaire. Devant la mère de la victime, il assure "regretter" tout ce qu'il a pu faire : "Je ne sais pas quoi dire, comment me faire pardonner. J'aurais voulu ne pas être là."
Agnès Méric, elle, défend la mémoire de son fils. "C'était un jeune garçon gai, vif, espiègle, se souvient-elle. Il avait une forme d'élégance. Pas seulement physique, mais aussi morale et intellectuelle." En décrivant les passions de son fils, qui étudiait à Sciences Po, elle cite ses engagements contre "le racisme", "le sexisme" et "l'homophobie".
Clément a été beaucoup présenté au moment de sa mort comme un militant d'extrême gauche, ce qu'il était (...). Mais pour nous, il était bien d'autres choses : un fils, un frère affectueux.
La mère de Clément Méricdevant la cour d'assises de Paris
Esteban Morillo, ancien membre du mouvement d'extrême droite Troisième Voie (dissous en 2013), a reconnu durant le procès avoir asséné deux coups à Clément Méric, à mains nues. "J'ai frappé une première fois pour le repousser. Puis j'avais aussi un autre gars devant moi, qui me frappait également. Ensuite, j'ai frappé une deuxième fois Clément, qui était derrière moi et allait me frapper dans le dos", a-t-il déclaré devant la cour.
Les provocations de Serge Ayoub
C'était l'un des moments les plus attendus de ce procès : l'audition de Serge Ayoub, 53 ans, parrain de groupuscules d'extrême droite français, qui fréquentait les accusés à l'époque du drame. Fondateur du groupe Troisième Voie, auquel Esteban Morillo appartenait, l'homme est connu dans le monde des skinheads sous le nom de "Batskin", pour son amour de la batte de base-ball qu'il utilisait contre des groupes rivaux.
Le 15 juin 2013, après avoir mis Clément Méric à terre, Esteban Morillo et ses amis s'enfuient et se retrouvent au Local, le bar de Serge Ayoub, dans le 15e arrondissement de Paris. Pendant la nuit, ils échangent appels et SMS. Témoin incontournable, "Batskin" s'est pourtant fait désirer lors du procès. Convoqué lors de la première semaine de procès, il avait fait faux bond à la cour, certificat médical à l'appui. Il s'est finalement présenté mardi 11 septembre, et n'a cessé de choquer l'assistance. "La violence n'est pas forcément du côté qu'on croit", lâche-t-il ainsi. Il reprend maintes fois sa théorie, répétant que Clément Méric et ses amis sont les premiers à avoir déclenché l'altercation.
Qui est la victime ? Celui qui impose son choix ou celui qui subit ? Il faut toujours se poser la question, quelles que soient les conséquences...
Serge Ayoubdevant la cour d'assises de Paris
Interrogé sur les appels échangés avec les principaux accusés le soir du meurtre, Serge Ayoub se défend en expliquant qu'il leur a "seulement conseillé de prendre un avocat et de se rendre". Il tente de dédramatiser les faits, notamment l'idéologie fasciste affichée à l'époque par les accusés. En évoquant les signes nazis tatoués sur leurs corps, il assure qu'ils "veulent juste dire 'va te faire foutre'". Sur la mort de Clément Méric, il se fend même d'un "Il l'a voulu" qui scandalise l'assistance.
Le verdict doit être prononcé dans la soirée du 14 septembre.
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